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La droite française remet en question un engagement historique

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  • La droite française remet en question un engagement historique

    Le Monde, France
    9 Avril 2004

    La droite française remet en question un engagement historique de
    l'Europe vis-à-vis de la Turquie

    L'UMP entre en opposition avec le président de la République sur
    la candidature d'Ankara à l'Union. La "vocation européenne" de
    la Turquie avait été reconnue par de Gaulle en 1963 Le ministre
    des affaires étrangères français, Michel Barnier, a dû
    faire une mise au point, jeudi 8 avril, à propos des relations de
    la Turquie avec l'Union européenne : "La ligne de la France reste
    la même", a-t-il dit, après qu'Alain Juppé eut pris, la
    veille, le contre-pied de la politique officielle française en
    contestant, au nom de l'UMP, la vocation européenne de ce pays. A
    l'Elysée, on appuyait, jeudi, les déclarations de M. Barnier, en
    confirmant que la position de la France n'avait pas changé, et
    restait "celle que le président n'a cessé de répéter ces
    dernières années".

    Le parti de la majorité est donc entré en opposition avec le
    président de la République et le gouvernement, sur une question qui
    promet de devenir l'un des sujets sensibles du débat préélectoral.
    Même si l'on fait valoir, à l'Elysée, que "chacun est dans son rôle"
    et qu'il ne s'agit là que du "jeu démocratique" normal, il est peu
    probable que les électeurs s'y retrouvent.

    On sentait à vrai dire depuis quelque temps que la question turque
    posait quelques problèmes à la droite française. La perspective d'une
    adhésion, même lointaine, de la Turquie à l'ensemble européen est en
    effet contestée dans son principe sur deux fronts : par les droites
    extrémistes et souverainistes, décidées à en faire un de leurs thèmes
    de mobilisation pour les élections européennes, mais aussi par des
    milieux proeuropéens, notamment à l'UDF. Des hommes comme Valéry
    Giscard d'Estaing ou Jean-Louis Bourlanges se sont affichés comme
    farouchement opposés à l'entrée de la Turquie dans l'Union.

    En estimant, mercredi, qu'il faut fixer des limites à l'Union sous
    peine de la "dénaturer" et que la Turquie ne doit pas être dedans,
    Alain Juppé reprend les arguments de ces derniers. Il a reconnu qu'il
    avait "évolué" sur le sujet, et c'est peu dire.

    M. Juppé, lorsqu'il était minis- tre des affaires étrangères, avait
    en effet activement défendu une vision stratégique des relations avec
    la Turquie : sa démocratisation, le rapprochement de ce grand pays
    musulman avec l'Europe pouvaient avoir un effet stabilisateur dans la
    région, et l'Europe avait tout à y gagner. Alain Juppé a été
    l'artisan de l'accord d'union douanière de 1995, qui faisait de la
    Turquie le pays non membre le plus étroitement associé à l'Europe. Il
    eut à le défendre contre la Grèce, contre une partie des députés
    européens, contre les socialistes français qui s'enflammaient soudain
    de compassion pour les Kurdes maltraités.

    Ce n'était certes qu'un accord d'union douanière. Mais dès lors, et
    depuis l'arrivée de Jacques Chirac à l'Elysée, la France est
    considérée par les Turcs tournés vers l'Europe comme leur meilleur
    soutien dans l'Union. Cette idylle n'a connu que quelques incidents
    de parcours sans lendemain, quand les parlementaires français
    s'emparaient de la question du génocide arménien.

    A de multiples reprises ces dernières années, Jacques Chirac a
    rappelé sa position invariable, la dernière fois avec peut-être un
    peu plus de prudence, lors du Conseil européen du 26 mars : "Les
    efforts de la Turquie en vue d'intégrer toutes les règles de la
    démocratie et de l'économie de marché sont indiscutables, a dit le
    président. C'est le rapport de la Commission -attendu pour octobre-
    qui nous permettra de décider s'il y a lieu ou non d'engager des
    négociations, qui seront longues, pour son adhésion."

    La question qui est posée est donc de savoir si les changements
    introduits par la Turquie dans sa législation sont suffisants pour
    satisfaire aux normes européennes, et s'ils sont effectivement mis en
    œuvre dans la pratique. Pour les autorités françaises, c'est une
    question "technique". Aucune question de principe ne se pose en
    revanche sur la "vocation européenne" de la Turquie, sur sa
    légitimité à intégrer à terme, même si c'est dans longtemps,
    l'ensemble européen.

    C'est sur ce point qu'Alain Juppé a rompu, mercredi, avec la position
    officielle.

    Le débat sur la Turquie n'est pas propre à la France. Le chancelier
    Kohl avait en son temps mis les pieds dans le plat en faisant
    référence à l'héritage chrétien de l'Europe ; l'Union
    chrétienne-démocrate (CDU) lui emboîte le pas aujourd'hui, de même
    que d'autres démocrates-chrétiens et diverses extrêmes droites
    européennes, notamment au Danemark. Mais la position officielle de la
    France ne lui est pas propre non plus : c'est la position officielle
    de l'Union.

    Ce qui fait la particularité de la Turquie dans le débat sur "les
    limites de l'Europe" c'est, plus que sa petite partie de territoire
    située en Europe continentale, l'engagement historique qu'avaient
    pris envers elle de Gaulle et Adenauer en 1963, impulsant un accord
    d'association qui proclamait la "vocation européenne" de ce pays.
    Pendant de longues années, l'évolution politique tourmentée de la
    Turquie a épargné aux Européens d'avoir à se préoccuper de cette
    promesse ; la Turquie n'était pas même reconnue comme pays candidat.

    C'est en 1999, au sommet d'Helsinki qui trace les grandes lignes de
    l'élargissement jusqu'en 2005, qu'Ankara se voit reconnaître le
    statut de candidat. Le texte d'Helsinki est sans ambiguïté sur le
    fond : "La Turquie, dit ce texte, est un pays candidat, qui a
    vocation à rejoindre l'Union" quand il aura rempli les critères de
    conformité définis en 1993 à Copenhague. En 2002, lors d'un autre
    sommet à Copenhague, les Quinze font un grand pas de plus vers
    Ankara. Si la Turquie répond aux critères fin 2004 (ce sera l'objet
    du rapport de la Commission en octobre), "l'Union ouvrira avec elle
    des négociations d'adhésion", déclare le sommet dans ses conclusions.

    Claire Tréan
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