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La seconde vie de l'OTAN

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  • La seconde vie de l'OTAN

    Le Monde
    21 Avril 2004

    La seconde vie de l'OTAN

    À quoi sert l'Alliance atlantique ? Légitime en 2002, lorsque les
    Etats-Unis, la considérant davantage comme une contrainte que comme
    un atout dans le cadre de la lutte antiterroriste, l'avaient
    marginalisée, cette question ne l'est plus en 2004.

    A tel point que l'optimisme de son secrétaire général, Jaap de Hoop
    Scheffer, pour qui "elle fait mieux que résister, elle s'élargit et
    prospère", n'apparaît pas déplacé. En accueillant sept nouveaux pays
    d'Europe de l'Est (Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie,
    Slovaquie et Slovénie), elle démontre qu'elle n'est plus seulement un
    club suranné datant de la guerre froide, mais une alliance militaire
    et politique à laquelle souhaitent adhérer un nombre croissant de
    candidats.

    En intervenant en Afghanistan et en Irak, en envisageant de le faire
    dans le cadre du "Grand Moyen-Orient" et en Afrique, elle a fait
    sauter le verrou qui, selon le traité de l'Atlantique nord, la
    cantonnait au théâtre euro-atlantique. Ses limites tiennent à la
    volonté politique des gouvernements, elles ne sont plus
    géographiques. Elle se transforme en acquérant flexibilité et
    réactivité avec la mise sur pied d'une Force de réaction capable
    d'être projetée rapidement sur les zones de conflit. Enfin, elle se
    réconcilie avec elle-même : la crise du début de l'année 2003,
    lorsque la France, l'Allemagne et la Belgique s'étaient opposées à la
    "logique de guerre", est surmontée.

    Soucieux de reprendre des relations décrispées avec Washington, ces
    trois pays sont rentrés dans le rang, et la France, principal
    contributeur à la Force de réaction, est désormais citée en exemple
    par les dirigeants américains, qui n'hésitent plus à lui confier des
    postes-clés : un amiral français a été affecté au commandement chargé
    de la transformation de l'Alliance, et un général français à la Force
    de réaction. L'Alliance atlantique et l'Union européenne,
    traditionnellement soupçonneuses l'une de l'autre, ont enfin trouvé
    un gentleman's agreement. La première accepte désormais l'existence
    de la défense européenne, comprenant que celle-ci puisse être
    complémentaire et non pas forcément concurrente.

    Dans les Balkans et en Afghanistan, on voit que s'élabore sans le
    dire un partage des tâches qui peut être fécond. Cette évolution de
    l'Alliance est largement due aux revers essuyés par les Américains.
    Si les affrontements sanglants en Irak soulignent autant les limites
    de leur puissance militaire que celles de leur capacité à analyser
    les failles de leur stratégie, ils en ont pourtant tiré une
    importante leçon : l'Amérique ne peut tout faire seule. Cette
    redécouverte est dictée par le souci de partager un fardeau de plus
    en plus lourd avec ses alliés, c'est-à-dire la responsabilité d'un
    éventuel échec.

    "MULTILATÉRALISME EFFECTIF"

    C'est pour cette raison que le président George W. Bush vient de
    demander "un rôle plus formel pour l'OTAN" en Irak. Ce n'est pas un
    hasard si le choix de l'Amérique en faveur d'un "multilatéralisme
    effectif" se porte sur l'OTAN, seul forum international où Washington
    dispose d'une influence prépondérante. Cela signifie-t-il que le ciel
    transatlantique se soit dégagé ? Partiellement, puisque ces avancées
    sont fragiles, mais il est vrai que l'OTAN et l'Union européenne,
    parce qu'elles poursuivent un objectif commun (la stabilisation du
    continent européen, l'effacement des lignes de fracture de la guerre
    froide), se rejoignent de plus en plus.

    Les deux organisations ont suivi une stratégie identique,
    s'élargissant pour l'essentiel aux mêmes pays, exigeant d'eux des
    réformes étrangement semblables comme condition d'entrée dans leur
    "club": un Etat de droit et une société démocratique, une économie de
    marché qui fonctionne, la lutte contre la corruption, la bonne
    gouvernance, le respect des minorités, la résolution des conflits
    frontaliers. S'y ajoutent pour les pays qui rejoignent l'Alliance une
    réforme en profondeur de leur armée, afin que celle-ci soit
    "standardisée" avec celles de l'OTAN.

    Ce faisant, les deux organisations ont pratiqué une même fuite en
    avant. L'OTAN, parce qu'elle voulait échapper à l'obsolescence
    gagnant une alliance militaire soudainement privée d'ennemi, l'Union
    européenne, parce qu'elle se révèle incapable de définir son
    identité, et donc ses frontières. Nul ne sait quelle est la finalité
    de ce double exercice.

    L'OTAN a-t-elle vocation à devenir une sorte de coalition mondiale
    contre un terrorisme devenu lui aussi planétaire ? Elle est en tout
    cas appelée à se renforcer. Les 18 et 19 mars, à Bratislava, au cours
    d'une conférence internationale sur le "nouvel agenda de la grande
    Europe", une étonnante unanimité s'est manifestée pour rejoindre au
    plus vite la "famille euro-atlantique". L'Albanie, la Macédoine, la
    Bosnie-Herzégovine, la Croatie, mais aussi l'Azerbaïdjan, l'Arménie,
    la Moldavie, la Géorgie et l'Ukraine, voire la Moldavie et la
    Biélorussie, aspirent à rejoindre l'Union européenne pour son
    développement économique, et l'Alliance atlantique pour son
    "parapluie" de sécurité. Ce double élargissement provoque
    l'irritation de la Russie, qui voit fondre son "glacis" avec
    l'avancée vers l'est de l'Europe des limites territoriales de l'UE et
    de l'OTAN. Moscou élève le ton depuis que les F-16 de l'OTAN assurent
    la sécurité du ciel des pays baltes, et menace de faire dérailler le
    traité sur les armes conventionnelles en Europe (CFE).

    Comme la Russie ne peut plus se permettre d'avoir de mauvaises
    relations économiques et politiques avec l'Union européenne et
    qu'elle s'est engagée dans un partenariat stratégique avec l'OTAN, il
    s'agit surtout d'une posture de négociation. Il est probable qu'à
    terme les pays baltes parviendront à normaliser leurs relations avec
    leur puissant voisin, à l'image de la Pologne depuis son entrée dans
    l'OTAN, en 1999.

    Les Européens ont contribué à cet aggiornamento transatlantique. La
    vieille tentation française de miner de l'intérieur l'organisation
    atlantique s'est émoussée, et la stratégie consistant à renforcer un
    "pilier européen" dans l'Alliance n'a plus beaucoup de raisons d'être
    depuis qu'il n'existe plus "d'opposition entre l'UE et l'OTAN", ainsi
    que l'affirme Jacques Chirac. "Notre implication dans l'Alliance se
    justifie d'autant plus qu'elle va de pair avec nos ambitions pour
    l'Europe de la défense", a expliqué la ministre de la défense,
    Michèle Alliot-Marie. "Nous avons réeuropéanisé l'OTAN", se félicite
    un diplomate français.

    Les Européens en voient une démonstration dans le fait que leurs
    pressions, ainsi que celles des pays arabes, ont convaincu les
    Etats-Unis d'amender profondément leur plan pour le "Grand
    Moyen-Orient". C'est sans doute vrai, encore que le sanglant bourbier
    irakien fait de toute façon perdre beaucoup de sa crédibilité à un
    plan régional censé s'inspirer de la pacification démocratique à
    Bagdad.

    L'Irak marque ainsi les limites de la réconciliation et de la
    confiance au sein de l'Alliance atlantique. Car le sentiment gagne
    chez les Européens que l'administration américaine leur a menti, afin
    de les entraîner dans une guerre qui, au lieu de pacifier, risque
    d'embraser.

    Laurent Zecchini
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