Agence France Presse
13 décembre 2004 lundi 12:53 PM GMT
Le processus européen oblige la Turquie à affronter le tabous des
minorités (DOSSIER - PAPIER D'ANGLE)
Par Sibel UTKU-BILA
ANKARA 13 déc
Les chrétiens et les musulmans turcs sont-ils égaux ? Les musulmans
non-sunnites constituent-ils une minorité en Turquie ? Les exigences
de l'Union européenne en matière de minorités ouvrent un débat sur
les tabous concernant l'identité nationale turque.
Hrant Dink se souvient de son enfance, quand sa mère, soucieuse
d'éviter toute réaction d'hostilité, lui demandait de ne pas
l'appeler "mama" dans la rue et de ne pas parler arménien.
"La Turquie perçoit les minorités comme une menace (...) un problème
de sécurité", estime le directeur de la publication d'Agos, un
quotidien stambouliote bilingue, turc et arménien.
Cette méfiance remonte au traumatisme provoqué par la Première guerre
mondiale, au cours de laquelle les populations grecques et
arméniennes de l'Empire ottoman se sont rangées du côté des
puissances alliées victorieuses quand celles-ci envisageaient la
partition de l'actuel territoire turc.
Aujourd'hui encore, pour beaucoup de Turcs, discuter des droits des
minorités revient à encourager la division du pays.
Des règles non écrites continuent de restreindre l'accès aux postes
éminents de la fonction publique aux quelque 130.000 non-musulmans de
Turquie et les livres d'histoire les décrivent encore comme des
citoyens à la loyauté douteuse.
Ankara ne reconnaît officiellement comme étant des minorités que les
communautés arménienne, juive et grecque, en vertu du Traité de
Lausanne, signé en 1923, qui établit un statut protégé pour les
non-musulmans.
Se référant à ce texte, Ankara a nié pendant des décennies
l'existence de toute autre minorité sur son sol, à commencer par la
communauté kurde qui ne s'est vue reconnaître des droits culturels
que très récemment, sous la pression de l'Union européenne.
Les critiques de l'UE et l'activité des militants des droits de
l'Homme ont en effet placé sur le devant de la scène des secrets
autrefois enfouis dans la mémoire collective.
Accusés de faire barrage au multiculturalisme, le gouvernement, le
président et l'armée ont souvent réagi avec hostilité, tandis que les
nationalistes multipliaient les manifestations.
Au milieu de ces tensions, les alévis -apparentés à l'islam chiite,
ils suivent une interprétation modérée du Coran et défendent la
laïcité- ont commencé à se faire entendre et l'UE a recommandé à
Ankara de leur accorder le statut de minorité.
Bien qu'ils représentent un cinquième de la population turque
-évaluée à 70 millions d'habitants- et que leurs rites diffèrent
profondément de ceux du sunnisme, leur communauté ne dispose d'aucun
statut particulier et ne bénéficie pas des subventions accordées aux
institutions cultuelles sunnites.
"Nous ne demandons pas de droits spécifiques en tant que minorité.
Nous voulons juste être égaux", affirme Izzettin Dogan, président de
la Fondation Cem, une des principales organisations alévies.
"Le processus européen nous apportera des bénéfices. L'UE a certaines
normes pour la liberté de croyance et la Turquie doit s'y conformer",
poursuit-il.
Les alévis mènent campagne pour que leur religion soit mentionnée sur
leurs cartes d'identité et que leur foi soit évoquée dans les manuels
scolaires.
Les a priori contre les alévis découlent des affrontements séculaires
avec les sunnites, mais aussi dans l'ancrage politique très à gauche
de cette communauté, suspectée pendant la Guerre froide de sympathies
à l'égard de l'URSS.
Pour les opposants à l'UE, les efforts du gouvernement en vue de
s'aligner sur les normes démocratiques européennes conduisent le pays
au bord de l'éclatement.
"Accomplir les demandes de l'UE mettra fin à la structure unitaire de
la Turquie", estime ainsi Mehmet Sandir, un homme politique d'extrême
droite. "Peut-être allons nous nous jeter à la gorge les uns des
autres".
Hrant Dink estime pour sa part que les tensions actuelles sont
porteuses de réconciliation. "Je trouve ces débats très utiles. Un
tabou est en cours de destruction", déclare-t-il. "Plus on parle,
plus (...) les attitudes s'adoucissent".
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
13 décembre 2004 lundi 12:53 PM GMT
Le processus européen oblige la Turquie à affronter le tabous des
minorités (DOSSIER - PAPIER D'ANGLE)
Par Sibel UTKU-BILA
ANKARA 13 déc
Les chrétiens et les musulmans turcs sont-ils égaux ? Les musulmans
non-sunnites constituent-ils une minorité en Turquie ? Les exigences
de l'Union européenne en matière de minorités ouvrent un débat sur
les tabous concernant l'identité nationale turque.
Hrant Dink se souvient de son enfance, quand sa mère, soucieuse
d'éviter toute réaction d'hostilité, lui demandait de ne pas
l'appeler "mama" dans la rue et de ne pas parler arménien.
"La Turquie perçoit les minorités comme une menace (...) un problème
de sécurité", estime le directeur de la publication d'Agos, un
quotidien stambouliote bilingue, turc et arménien.
Cette méfiance remonte au traumatisme provoqué par la Première guerre
mondiale, au cours de laquelle les populations grecques et
arméniennes de l'Empire ottoman se sont rangées du côté des
puissances alliées victorieuses quand celles-ci envisageaient la
partition de l'actuel territoire turc.
Aujourd'hui encore, pour beaucoup de Turcs, discuter des droits des
minorités revient à encourager la division du pays.
Des règles non écrites continuent de restreindre l'accès aux postes
éminents de la fonction publique aux quelque 130.000 non-musulmans de
Turquie et les livres d'histoire les décrivent encore comme des
citoyens à la loyauté douteuse.
Ankara ne reconnaît officiellement comme étant des minorités que les
communautés arménienne, juive et grecque, en vertu du Traité de
Lausanne, signé en 1923, qui établit un statut protégé pour les
non-musulmans.
Se référant à ce texte, Ankara a nié pendant des décennies
l'existence de toute autre minorité sur son sol, à commencer par la
communauté kurde qui ne s'est vue reconnaître des droits culturels
que très récemment, sous la pression de l'Union européenne.
Les critiques de l'UE et l'activité des militants des droits de
l'Homme ont en effet placé sur le devant de la scène des secrets
autrefois enfouis dans la mémoire collective.
Accusés de faire barrage au multiculturalisme, le gouvernement, le
président et l'armée ont souvent réagi avec hostilité, tandis que les
nationalistes multipliaient les manifestations.
Au milieu de ces tensions, les alévis -apparentés à l'islam chiite,
ils suivent une interprétation modérée du Coran et défendent la
laïcité- ont commencé à se faire entendre et l'UE a recommandé à
Ankara de leur accorder le statut de minorité.
Bien qu'ils représentent un cinquième de la population turque
-évaluée à 70 millions d'habitants- et que leurs rites diffèrent
profondément de ceux du sunnisme, leur communauté ne dispose d'aucun
statut particulier et ne bénéficie pas des subventions accordées aux
institutions cultuelles sunnites.
"Nous ne demandons pas de droits spécifiques en tant que minorité.
Nous voulons juste être égaux", affirme Izzettin Dogan, président de
la Fondation Cem, une des principales organisations alévies.
"Le processus européen nous apportera des bénéfices. L'UE a certaines
normes pour la liberté de croyance et la Turquie doit s'y conformer",
poursuit-il.
Les alévis mènent campagne pour que leur religion soit mentionnée sur
leurs cartes d'identité et que leur foi soit évoquée dans les manuels
scolaires.
Les a priori contre les alévis découlent des affrontements séculaires
avec les sunnites, mais aussi dans l'ancrage politique très à gauche
de cette communauté, suspectée pendant la Guerre froide de sympathies
à l'égard de l'URSS.
Pour les opposants à l'UE, les efforts du gouvernement en vue de
s'aligner sur les normes démocratiques européennes conduisent le pays
au bord de l'éclatement.
"Accomplir les demandes de l'UE mettra fin à la structure unitaire de
la Turquie", estime ainsi Mehmet Sandir, un homme politique d'extrême
droite. "Peut-être allons nous nous jeter à la gorge les uns des
autres".
Hrant Dink estime pour sa part que les tensions actuelles sont
porteuses de réconciliation. "Je trouve ces débats très utiles. Un
tabou est en cours de destruction", déclare-t-il. "Plus on parle,
plus (...) les attitudes s'adoucissent".
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress