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La porte Etroite

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  • La porte Etroite

    L'Humanité, France
    15 décembre 2004

    La porte étroite;
    Éditorial

    par Patrick Apel-Muller

    * Les mêmes, qui veulent faire gober aux Français une constitution
    qui grave le libéralisme dans le marbre glacé d'un traité, se sentent
    des prurits protectionnistes quand le mot de Turquie est évoqué. *

    La Sublime Porte s'avère d'un coup bien étroite. Ou du moins dans un
    sens, celui de l'entrée en Europe. Les uns après les autres, les
    ténors de la droite marchent au pas de Nicolas Sarkozy et repoussent
    au loin un peuple qui revendique d'être des nôtres. Ceux-là mêmes qui
    voyaient sans tressaillir les démocrates d'Istanbul se faire
    assassiner par les Loups gris, ceux que ne troublaient pas les
    tortures ou les massacres qui ensanglantaient le Kurdistan, les
    belles mes qui attendirent des décennies pour proclamer que les
    Arméniens furent victimes de génocide brandissent cette histoire
    comme un repoussoir.
    Derrière ce bouclier vertueux, où les mêmes qui gardent le silence
    quand l'avortement est mis en cause au Portugal s'inquiètent
    brusquement de la condition féminine en Turquie, se dissimulent des
    sentiments moins avouables. L'Europe, c'est-à-dire ses peuples, doit
    effectivement être exigeante sur le respect des droits des femmes et
    des hommes dans son enceinte et au-delà. C'est d'ailleurs
    l'efficacité, disent les démocrates de ce pays qui tous s'engouffrent
    dans la perspective d'une entrée dans l'Union pour revendiquer plus
    de droits, plus de libertés, plus d'égalité.
    Ici et là, ceux qui voudraient bien qu'en France la laïcité ne soit
    plus qu'un souvenir et rêvent d'une balkanisation nationale entre
    communautés religieuses - organisant même la promotion d'intégrismes
    - agitent la peur. D'un côté, les amis du président de l'UMP flirtent
    avec les organisations les plus conservatrices des musulmans en
    France, de l'autre ils applaudissent ceux qui voudraient avec Giscard
    d'Estaing voir proclamer « chrétienne » l'Europe. Et ils présentent
    comme une incompatibilité majeure le fait qu'une majorité de Turcs se
    disent musulmans. Les Français musulmans viennent donc d'être, mine
    de rien, jugés indésirables sur le continent, et avec eux, ceux qui
    ne se croient ni en dieu ni au diable.
    Derrière l'agitation de l'islamisme comme une menace, le choc présent
    ou à venir des civilisations est annoncé par ceux qui regardent les
    peuples comme « des masses ». C'est une sourde xénophobie qui suinte,
    avec pour prétexte les lignes imaginaires de la géographie ou une
    histoire réduite aux images d'Épinal.
    Les mêmes qui veulent faire gober aux Français une constitution
    européenne qui grave le libéralisme dans le marbre glacé d'un traité
    se sentent des prurits protectionnistes quand le mot de Turquie est
    évoqué. Les beaux apôtres ! Ils justifient jour après jour les
    délocalisations, menacent le droit de grève et démantèlent les acquis
    sociaux à tour de bras sans jamais tressaillir et ils agitent devant
    nos votes le chiffon rouge de la concurrence turque. Quand le sage
    désigne la lune, l'idiot regarde le doigt, dit le proverbe.
    L'état-major de l'UMP nous prend pour des idiots, désignant la
    Turquie là où c'est à la constitution, au traité de Maastricht, à
    l'emballement libéral de l'Europe qu'il faudrait réagir !
    Le danger pour les salariés français n'est pas l'obtention par les
    salariés d'Ankara ou d'Ömerli de meilleurs salaires ou de la
    possibilité de se syndiquer, il réside dans le projet européen de
    refonder le droit social sur les règles du début du XXe siècle, de
    faire d'une concurrence féroce le ferment des divisions d'un
    continent qui les a payées assez cher par le passé.
    Le vote qu'on nous promet après-demain sur l'adhésion de la Turquie à
    l'Union européenne n'aura de portée qu'éclairé par un succès du « non
    » à la constitution dont l'Humanité vient de montrer que les
    autorités européennes ont préparé l'interprétation la plus
    réactionnaire qui se puisse imaginer. On nous a déjà fait le coup de
    la tête de Turc... Ça ne marche plus.
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