L'Humanité, France
15 décembre 2004
La Sublime Porte à la porte ?;
Élargissement. À la veille du sommet de Bruxelles, le chef de l'État
s'exprime ce soir sur TF1 pour expliquer aux Français les
conséquences de l'ouverture éventuelle des négociations avec la
Turquie en vue de son adhésion à l'UE.
par Stéphane Sahuc
C'est sur TF1 que le président de la République a décidé de
s'exprimer à la veille de l'ouverture du sommet de Bruxelles. Avec
cette intervention, Jacques Chirac espère dédramatiser l'enjeu du
sommet des 16 et 17 décembre en ce qui concerne l'ouverture probable
par l'Union européenne des négociations d'adhésion avec la Turquie.
Il devrait rappeler qu'il s'engage à consulter le peuple français par
référendum quand la question de l'adhésion se posera en expliquant
que, lors de la révision constitutionnelle sur la cons- titution
européenne, un article sera introduit prévoyant que toute nouvelle
entrée dans l'UE sera soumise à référendum. Il devrait également
affirmer son souhait que les conclusions du sommet prévoient « un
lien fort » avec Ankara au cas où les négociations échoueraient.
allemands et Français à l'unisson
À quelques mois du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel
européen, le président de la République semble craindre que cette
question ne complique la victoire du « oui » qu'il appelle de ses
voeux. Selon un sondage IFOP publié lundi dans le Figaro, 67 % des
Français seraient contre une adhésion turque. Ils partageraient ce
sentiment avec les seuls Allemands. Parmi les principales raisons de
leur opposition, 39 % des Français estiment que les droits de l'homme
n'y sont pas toujours respectés. Ils invoquent également à 34 % les
différences culturelles et religieuses. Une autre enquête de CSA pour
le Bleu de profession politique donne des résultats moins tranchés.
Un Français sur deux serait opposé à l'entrée de la Turquie dans
l'UE, 37 % favorables, 13 % ne se prononçant pas. Parmi les raisons -
invoquées pour refuser l'adhésion de la Turquie à l'UE, les Français
mettent au premier plan le manque de démocratie à 45 %, puis à 39 %
la question géographique de la non-appartenance de la Turquie à
l'Europe. 34 % avancent comme raison le fait que « le niveau de
développement économique et social de la Turquie est trop éloigné de
celui des autres pays de l'UE ». Enfin 28 % d'entre eux font valoir
que « c'est un pays dont la majorité des habitants sont musulmans ».
Négocier n'est pas adhérer
Reste que ce débat prend une ampleur assez surprenante puisque, comme
le rappelait le ministre français des Affaires étrangères, Michel
Barnier, lundi dans le Parisien, « les négociations d'adhésion (de la
Turquie à l'UE) ne sont pas l'adhésion », rappelant que « la
conclusion des négociations qui vont s'ouvrir n'est, en effet, pas
écrite. C'est un processus dont le résultat n'est pas garanti
d'avance ». D'autant que si adhésion il devait y avoir, celle-ci
n'interviendrait pas avant dix ou quinze ans et sous condition, comme
le rappelait le président de la République en janvier 2003, que « la
Turquie affirme clairement son adhésion sans réserve, dans les
principes et sur le terrain, aux critères de Copenhague, c'est-à-dire
à tout ce qui touche aux exigences des droits de l'homme et de
l'économie de marché ». Dans ce sens, Michel Barnier a d'ailleurs
annoncé qu'au cours des négociations d'adhésion la France demanderait
à Ankara de « reconnaître la tragédie arménienne du début du siècle
».
Pas question d'adhésion de la Turquie demain ou après-demain donc. Ce
qui prouve que ce que remettent en cause les opposants à l'entrée
d'Ankara dans l'UE, c'est le principe même de l'adhésion turque à
l'Europe. Du coup, la tentative de déminage pourrait ne pas suffire
tant cette question agite fortement la classe politique française,
aussi bien la majorité que le PS. À l'Assemblée nationale, la séance
d'hier des questions au gouvernement était marquée par cette
polémique. Et à l'occasion d'un débat parlementaire en octobre, la
majorité des députés, à l'exception notable du groupe communiste,
avait plaidé pour que d'autres « options » que celle de l'adhésion
soient envisagées au terme des négociations, comme celle d'un «
partenariat privilégié » avec Ankara. Particulièrement virulent,
l'UDF de François Bayrou, qui fait de cette question le centre de la
construction européenne qui « porte l'héritage du triptyque
Rome-Athènes-Jérusalem », un club chrétien et libéral, donc sans la
Turquie. Il s'agit aussi, pour François Bayrou, de tenter d'exister
dans le débat entre partisans du « oui » à la constitution, et de
mettre l'UMP en difficulté. Quant à Nicolas Sarkozy, sa position
tranche avec celle de Jacques Chirac. « L'Europe ne peut s'élargir
indéfiniment », estime le nouveau président de l'UMP, qui « souhaite
que la Turquie soit associée à l'Europe et pas intégrée ». Le
secrétaire général délégué de l'UMP, Brice Hortefeux, a annoncé
qu'aujourd'hui la délégation UMP au Parlement européen votera « très
certainement contre » le rapport du Parlement européen, qui
recommande l'ouverture des négociations avec Ankara, sans envisager
un partenariat privilégié comme alternative à une adhésion.
non à la constitution, oui à la turquie
À gauche, le Parti socialiste se positionne « pour l'ouverture de
négociations avec la Turquie » mais souhaite « que ces négociations
ne présagent en aucune manière de la forme de participation de la
Turquie à l'Europe », selon le porte-parole du PS Julien Dray.
Pourtant, dans le même temps, Laurent Fabius et le sénateur des
Hauts-de-Seine Robert Badinter se sont eux farouchement opposés à
toute idée d'adhésion, estimant que la construction d'une Europe
puissance ne pouvait se faire avec la Turquie atlantiste. Seuls les
communistes tentent de poser le débat à un autre niveau en estimant
que « pour que les conditions de l'adhésion de la Turquie soient un
jour remplies, il faut bien sûr scruter l'évolution des conditions
démocratiques et sociales de l'autre côte du Bosphore [...] mais il
faut aussi, de Rome à Berlin en passant par Paris, Londres et
Varsovie, opérer une rupture avec le système libéral ». « Le "non" à
la constitution européenne, c'est la clé pour résoudre la question de
l'adhésion de la Turquie », expliquait ainsi Alain Bocquet, le
président du groupe communiste à l'Assemblée.
Stéphane Sahuc
15 décembre 2004
La Sublime Porte à la porte ?;
Élargissement. À la veille du sommet de Bruxelles, le chef de l'État
s'exprime ce soir sur TF1 pour expliquer aux Français les
conséquences de l'ouverture éventuelle des négociations avec la
Turquie en vue de son adhésion à l'UE.
par Stéphane Sahuc
C'est sur TF1 que le président de la République a décidé de
s'exprimer à la veille de l'ouverture du sommet de Bruxelles. Avec
cette intervention, Jacques Chirac espère dédramatiser l'enjeu du
sommet des 16 et 17 décembre en ce qui concerne l'ouverture probable
par l'Union européenne des négociations d'adhésion avec la Turquie.
Il devrait rappeler qu'il s'engage à consulter le peuple français par
référendum quand la question de l'adhésion se posera en expliquant
que, lors de la révision constitutionnelle sur la cons- titution
européenne, un article sera introduit prévoyant que toute nouvelle
entrée dans l'UE sera soumise à référendum. Il devrait également
affirmer son souhait que les conclusions du sommet prévoient « un
lien fort » avec Ankara au cas où les négociations échoueraient.
allemands et Français à l'unisson
À quelques mois du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel
européen, le président de la République semble craindre que cette
question ne complique la victoire du « oui » qu'il appelle de ses
voeux. Selon un sondage IFOP publié lundi dans le Figaro, 67 % des
Français seraient contre une adhésion turque. Ils partageraient ce
sentiment avec les seuls Allemands. Parmi les principales raisons de
leur opposition, 39 % des Français estiment que les droits de l'homme
n'y sont pas toujours respectés. Ils invoquent également à 34 % les
différences culturelles et religieuses. Une autre enquête de CSA pour
le Bleu de profession politique donne des résultats moins tranchés.
Un Français sur deux serait opposé à l'entrée de la Turquie dans
l'UE, 37 % favorables, 13 % ne se prononçant pas. Parmi les raisons -
invoquées pour refuser l'adhésion de la Turquie à l'UE, les Français
mettent au premier plan le manque de démocratie à 45 %, puis à 39 %
la question géographique de la non-appartenance de la Turquie à
l'Europe. 34 % avancent comme raison le fait que « le niveau de
développement économique et social de la Turquie est trop éloigné de
celui des autres pays de l'UE ». Enfin 28 % d'entre eux font valoir
que « c'est un pays dont la majorité des habitants sont musulmans ».
Négocier n'est pas adhérer
Reste que ce débat prend une ampleur assez surprenante puisque, comme
le rappelait le ministre français des Affaires étrangères, Michel
Barnier, lundi dans le Parisien, « les négociations d'adhésion (de la
Turquie à l'UE) ne sont pas l'adhésion », rappelant que « la
conclusion des négociations qui vont s'ouvrir n'est, en effet, pas
écrite. C'est un processus dont le résultat n'est pas garanti
d'avance ». D'autant que si adhésion il devait y avoir, celle-ci
n'interviendrait pas avant dix ou quinze ans et sous condition, comme
le rappelait le président de la République en janvier 2003, que « la
Turquie affirme clairement son adhésion sans réserve, dans les
principes et sur le terrain, aux critères de Copenhague, c'est-à-dire
à tout ce qui touche aux exigences des droits de l'homme et de
l'économie de marché ». Dans ce sens, Michel Barnier a d'ailleurs
annoncé qu'au cours des négociations d'adhésion la France demanderait
à Ankara de « reconnaître la tragédie arménienne du début du siècle
».
Pas question d'adhésion de la Turquie demain ou après-demain donc. Ce
qui prouve que ce que remettent en cause les opposants à l'entrée
d'Ankara dans l'UE, c'est le principe même de l'adhésion turque à
l'Europe. Du coup, la tentative de déminage pourrait ne pas suffire
tant cette question agite fortement la classe politique française,
aussi bien la majorité que le PS. À l'Assemblée nationale, la séance
d'hier des questions au gouvernement était marquée par cette
polémique. Et à l'occasion d'un débat parlementaire en octobre, la
majorité des députés, à l'exception notable du groupe communiste,
avait plaidé pour que d'autres « options » que celle de l'adhésion
soient envisagées au terme des négociations, comme celle d'un «
partenariat privilégié » avec Ankara. Particulièrement virulent,
l'UDF de François Bayrou, qui fait de cette question le centre de la
construction européenne qui « porte l'héritage du triptyque
Rome-Athènes-Jérusalem », un club chrétien et libéral, donc sans la
Turquie. Il s'agit aussi, pour François Bayrou, de tenter d'exister
dans le débat entre partisans du « oui » à la constitution, et de
mettre l'UMP en difficulté. Quant à Nicolas Sarkozy, sa position
tranche avec celle de Jacques Chirac. « L'Europe ne peut s'élargir
indéfiniment », estime le nouveau président de l'UMP, qui « souhaite
que la Turquie soit associée à l'Europe et pas intégrée ». Le
secrétaire général délégué de l'UMP, Brice Hortefeux, a annoncé
qu'aujourd'hui la délégation UMP au Parlement européen votera « très
certainement contre » le rapport du Parlement européen, qui
recommande l'ouverture des négociations avec Ankara, sans envisager
un partenariat privilégié comme alternative à une adhésion.
non à la constitution, oui à la turquie
À gauche, le Parti socialiste se positionne « pour l'ouverture de
négociations avec la Turquie » mais souhaite « que ces négociations
ne présagent en aucune manière de la forme de participation de la
Turquie à l'Europe », selon le porte-parole du PS Julien Dray.
Pourtant, dans le même temps, Laurent Fabius et le sénateur des
Hauts-de-Seine Robert Badinter se sont eux farouchement opposés à
toute idée d'adhésion, estimant que la construction d'une Europe
puissance ne pouvait se faire avec la Turquie atlantiste. Seuls les
communistes tentent de poser le débat à un autre niveau en estimant
que « pour que les conditions de l'adhésion de la Turquie soient un
jour remplies, il faut bien sûr scruter l'évolution des conditions
démocratiques et sociales de l'autre côte du Bosphore [...] mais il
faut aussi, de Rome à Berlin en passant par Paris, Londres et
Varsovie, opérer une rupture avec le système libéral ». « Le "non" à
la constitution européenne, c'est la clé pour résoudre la question de
l'adhésion de la Turquie », expliquait ainsi Alain Bocquet, le
président du groupe communiste à l'Assemblée.
Stéphane Sahuc