Le Monde
15 décembre 2004
L'Europe est prête à ouvrir ses portes à la Turquie ;
Plus aucun obstacle ne s'oppose à l'ouverture des négociations
d'adhésion avec Ankara que devront décider, lors d'un sommet à
Bruxelles, jeudi et vendredi, les dirigeants des 25 pays membres de
l'Union. La France, qui a prévu un référendum, réclame toutefois que
l'issue ne soit pas garantie
Arnaud Leparmentier
BRUXELLES de notre bureau européen
Le SOMMET de l'Union européenne, convoqué jeudi et vendredi à
Bruxelles, devrait décider l'ouverture de négociations d'adhésion
avec la Turquie en 2005. L'intégration de la Turquie n'est pas
envisagée avant la fin de la prochaine PROGRAMMATION financière
2007-2013. Les négociations se dérouleront selon un processus destiné
à garantir à chaque étape que les règles de l'Union soient
effectivement mises en oeuvre, ce qui n'a pas été le cas dans les
élargissements antérieurs. A la demande principalement de la FRANCE
et de l' AUTRICHE, une formulation de compromis doit encore être
trouvée afin que l'issue du processus reste ouverte. Lundi, à
Bruxelles, MICHEL BARNIER a également demandé à Ankara, sans en faire
un préalable à l'ouverture des négociations, de reconnaître le
génocide arménien.
Sauf coup de thétre, les chefs d'Etat et de gouvernement européens,
réunis jeudi et vendredi 17 décembre à Bruxelles, décideront d'ouvrir
des négociations d'adhésion avec la Turquie. A deux jours de leur
conseil, le dossier est largement décanté. La bataille ne devrait
porter que sur des détails, certes importants ou affectifs, mais
mineurs au regard de l'enjeu.
« Les Turcs nous ennuient en prétendant qu'ils n'auront pas ce qu'ils
demandent. Ils auront l'ouverture des négociations et une date »,
rappelle un ambassadeur. En dépit des réticences de certaines
populations européennes, en particulier des Français, tous les
dirigeants veulent aller de l'avant. Le plus réticent, le chancelier
autrichien Wolfgang Schüssel, défenseur du « partenariat privilégié »
plutôt que d'une adhésion pleine et entière, ne brandit aucune menace
de veto.
Suivant les recommandations de la Commission, qui a considéré fin
octobre que la Turquie respectait « suffisamment » les critères
démocratiques dits de Copenhague, les « 25 » vont fixer jeudi soir au
cours d'un dîner la date d'ouverture des négociations. L'idée d'avoir
un nouveau rendez-vous courant 2005, pour vérifier une dernière fois
que la Turquie reste sur la voie des réformes, a été abandonnée. Elle
aurait contribué à éterniser le débat sur une adhésion peu populaire
et créé une crise avec Ankara.
Les Européens avaient précisé en 2002 à Copenhague que les
négociations s'ouvriraient « sans délai » après le sommet du 17
décembre. Mais Jacques Chirac veut gagner du temps, pour que ce début
de négociations intervienne le plus tard possible après le référendum
français sur la Constitution, histoire d'éviter que les deux débats
ne se télescopent. Le contretemps devrait être bref. Après avoir
réclamé une ouverture fin 2005-début 2006, Michel Barnier ne parlait
plus, lundi à Bruxelles, où avait lieu une réunion préparatoire des
ministres des affaires étrangères, que d'une ouverture « au plus tôt
au deuxième semestre 2005 ». Les pourparlers s'ouvriraient donc sous
la présidence du Royaume-Uni, grand partisan de l'adhésion turque, ce
qui est aussi le voeu du chancelier allemand Gerhard Schröder.
Le deuxième sujet litigieux porte sur le caractère des négociations,
dont il est précisé que leur issue est « ouverte ». Il s'agit là de
sauver la face des Turcs, qui ne veulent rien envisager d'autre que
l'adhésion, mais aussi des Français et des Autrichiens, favorables à
l'évocation d'une troisième voie en cas d'échec des négociations. Les
diplomates sont à la recherche d'une formule de compromis,
volontairement vague, stipulant que la Turquie restera quoi qu'il
arrive ancrée à l'Europe. Mais il n'est pas question d'expliciter un
quelconque statut spécial, partenariat privilégié ou scénario
alternatif. Ce serait humilier le gouvernement turc, qui a averti
qu'il le refuserait ; et c'est inacceptable pour le chancelier
Schröder, parce que cela ferait le jeu de son opposition
chrétienne-démocrate.
Malgré une mobilisation intense de la diaspora arménienne, la
dernière réticence française, le génocide arménien, ne devrait pas
non plus être une pierre d'achoppement. Certes, Michel Barnier a
demandé sa reconnaissance par Ankara : « Je pense qu'un grand pays
comme la Turquie doit faire son devoir de mémoire », a déclaré à
Bruxelles le ministre français qui, en invoquant la réconciliation
franco-allemande, a estimé que la Turquie, qui nie le génocide
arménien, devait également faire la paix avec ses voisins. Mais
Michel Barnier n'en a nullement fait une condition préalable à
l'ouverture des négociations d'adhésion.
Reste Chypre, dont le Nord est occupé par les Turcs et dont le
gouvernement chypriote grec n'est pas reconnu par Ankara. Mais nul ne
croit à un veto des Chypriotes grecs. A Bruxelles, leur ministre des
affaires étrangères, George Iacovou, a déclaré souhaiter que la
Turquie manifeste sa volonté de normaliser ses relations avec Nicosie
avant le sommet européen de mars 2005, ce qui équivaut, selon les
exégètes, à renoncer à en faire un préalable à l'ouverture des
négociations le 17 décembre.
Les Chypriotes grecs sont isolés en Europe, depuis que, contrairement
aux Chypriotes turcs, ils ont rejeté par référendum au printemps le
plan de réunification de l'île sous l'égide des Nations unies et
qu'ils bloquent un projet visant à aider économiquement le nord de
l'île. Le soutien de la Grèce va faiblissant, ce pays ayant obtenu
dans le projet de conclusions finales les garanties nécessaires pour
le règlement de ses conflits frontaliers avec la Turquie et ayant
fait de son rapprochement avec Ankara un axe stratégique de sa
politique.
D'autres réticences ont, elles aussi, été levées. Les Danois, qui
craignent une arrivée massive d'immigrés turcs en vertu de la libre
circulation des personnes, ont obtenu que l'on évoque de possibles
clauses de sauvegarde permanentes. Les Britanniques, qui tentaient de
s'opposer à ces clauses, disant qu'elles empêchaient une pleine
adhésion turque, ont eu droit aux sourires narquois de leurs
collègues continentaux, qui leur ont rappelé le nombre de clauses
d'exemption dont bénéficie l'Albion. Dans ce contexte, les diplomates
tablent sur un accord au Conseil européen de Bruxelles.
15 décembre 2004
L'Europe est prête à ouvrir ses portes à la Turquie ;
Plus aucun obstacle ne s'oppose à l'ouverture des négociations
d'adhésion avec Ankara que devront décider, lors d'un sommet à
Bruxelles, jeudi et vendredi, les dirigeants des 25 pays membres de
l'Union. La France, qui a prévu un référendum, réclame toutefois que
l'issue ne soit pas garantie
Arnaud Leparmentier
BRUXELLES de notre bureau européen
Le SOMMET de l'Union européenne, convoqué jeudi et vendredi à
Bruxelles, devrait décider l'ouverture de négociations d'adhésion
avec la Turquie en 2005. L'intégration de la Turquie n'est pas
envisagée avant la fin de la prochaine PROGRAMMATION financière
2007-2013. Les négociations se dérouleront selon un processus destiné
à garantir à chaque étape que les règles de l'Union soient
effectivement mises en oeuvre, ce qui n'a pas été le cas dans les
élargissements antérieurs. A la demande principalement de la FRANCE
et de l' AUTRICHE, une formulation de compromis doit encore être
trouvée afin que l'issue du processus reste ouverte. Lundi, à
Bruxelles, MICHEL BARNIER a également demandé à Ankara, sans en faire
un préalable à l'ouverture des négociations, de reconnaître le
génocide arménien.
Sauf coup de thétre, les chefs d'Etat et de gouvernement européens,
réunis jeudi et vendredi 17 décembre à Bruxelles, décideront d'ouvrir
des négociations d'adhésion avec la Turquie. A deux jours de leur
conseil, le dossier est largement décanté. La bataille ne devrait
porter que sur des détails, certes importants ou affectifs, mais
mineurs au regard de l'enjeu.
« Les Turcs nous ennuient en prétendant qu'ils n'auront pas ce qu'ils
demandent. Ils auront l'ouverture des négociations et une date »,
rappelle un ambassadeur. En dépit des réticences de certaines
populations européennes, en particulier des Français, tous les
dirigeants veulent aller de l'avant. Le plus réticent, le chancelier
autrichien Wolfgang Schüssel, défenseur du « partenariat privilégié »
plutôt que d'une adhésion pleine et entière, ne brandit aucune menace
de veto.
Suivant les recommandations de la Commission, qui a considéré fin
octobre que la Turquie respectait « suffisamment » les critères
démocratiques dits de Copenhague, les « 25 » vont fixer jeudi soir au
cours d'un dîner la date d'ouverture des négociations. L'idée d'avoir
un nouveau rendez-vous courant 2005, pour vérifier une dernière fois
que la Turquie reste sur la voie des réformes, a été abandonnée. Elle
aurait contribué à éterniser le débat sur une adhésion peu populaire
et créé une crise avec Ankara.
Les Européens avaient précisé en 2002 à Copenhague que les
négociations s'ouvriraient « sans délai » après le sommet du 17
décembre. Mais Jacques Chirac veut gagner du temps, pour que ce début
de négociations intervienne le plus tard possible après le référendum
français sur la Constitution, histoire d'éviter que les deux débats
ne se télescopent. Le contretemps devrait être bref. Après avoir
réclamé une ouverture fin 2005-début 2006, Michel Barnier ne parlait
plus, lundi à Bruxelles, où avait lieu une réunion préparatoire des
ministres des affaires étrangères, que d'une ouverture « au plus tôt
au deuxième semestre 2005 ». Les pourparlers s'ouvriraient donc sous
la présidence du Royaume-Uni, grand partisan de l'adhésion turque, ce
qui est aussi le voeu du chancelier allemand Gerhard Schröder.
Le deuxième sujet litigieux porte sur le caractère des négociations,
dont il est précisé que leur issue est « ouverte ». Il s'agit là de
sauver la face des Turcs, qui ne veulent rien envisager d'autre que
l'adhésion, mais aussi des Français et des Autrichiens, favorables à
l'évocation d'une troisième voie en cas d'échec des négociations. Les
diplomates sont à la recherche d'une formule de compromis,
volontairement vague, stipulant que la Turquie restera quoi qu'il
arrive ancrée à l'Europe. Mais il n'est pas question d'expliciter un
quelconque statut spécial, partenariat privilégié ou scénario
alternatif. Ce serait humilier le gouvernement turc, qui a averti
qu'il le refuserait ; et c'est inacceptable pour le chancelier
Schröder, parce que cela ferait le jeu de son opposition
chrétienne-démocrate.
Malgré une mobilisation intense de la diaspora arménienne, la
dernière réticence française, le génocide arménien, ne devrait pas
non plus être une pierre d'achoppement. Certes, Michel Barnier a
demandé sa reconnaissance par Ankara : « Je pense qu'un grand pays
comme la Turquie doit faire son devoir de mémoire », a déclaré à
Bruxelles le ministre français qui, en invoquant la réconciliation
franco-allemande, a estimé que la Turquie, qui nie le génocide
arménien, devait également faire la paix avec ses voisins. Mais
Michel Barnier n'en a nullement fait une condition préalable à
l'ouverture des négociations d'adhésion.
Reste Chypre, dont le Nord est occupé par les Turcs et dont le
gouvernement chypriote grec n'est pas reconnu par Ankara. Mais nul ne
croit à un veto des Chypriotes grecs. A Bruxelles, leur ministre des
affaires étrangères, George Iacovou, a déclaré souhaiter que la
Turquie manifeste sa volonté de normaliser ses relations avec Nicosie
avant le sommet européen de mars 2005, ce qui équivaut, selon les
exégètes, à renoncer à en faire un préalable à l'ouverture des
négociations le 17 décembre.
Les Chypriotes grecs sont isolés en Europe, depuis que, contrairement
aux Chypriotes turcs, ils ont rejeté par référendum au printemps le
plan de réunification de l'île sous l'égide des Nations unies et
qu'ils bloquent un projet visant à aider économiquement le nord de
l'île. Le soutien de la Grèce va faiblissant, ce pays ayant obtenu
dans le projet de conclusions finales les garanties nécessaires pour
le règlement de ses conflits frontaliers avec la Turquie et ayant
fait de son rapprochement avec Ankara un axe stratégique de sa
politique.
D'autres réticences ont, elles aussi, été levées. Les Danois, qui
craignent une arrivée massive d'immigrés turcs en vertu de la libre
circulation des personnes, ont obtenu que l'on évoque de possibles
clauses de sauvegarde permanentes. Les Britanniques, qui tentaient de
s'opposer à ces clauses, disant qu'elles empêchaient une pleine
adhésion turque, ont eu droit aux sourires narquois de leurs
collègues continentaux, qui leur ont rappelé le nombre de clauses
d'exemption dont bénéficie l'Albion. Dans ce contexte, les diplomates
tablent sur un accord au Conseil européen de Bruxelles.