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La Turquie, une =?UNKNOWN?Q?id=E9e?= neuve pour l'Union

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  • La Turquie, une =?UNKNOWN?Q?id=E9e?= neuve pour l'Union

    Le Figaro, France
    19 juillet 2004

    La visite à Paris du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, qui
    débute aujourd'hui, relance le débat sur la candidature d'Ankara

    La Turquie, une idée neuve pour l'Union

    PAR DOMINIQUE REYNIÉ*



    Le 7 mai dernier, le Parlement turc amendait la Constitution dans le
    but de permettre l'ouverture des négociations avec l'Union européenne
    : suppression des cours de sûreté de l'Etat, suppression de toute
    référence à la peine de mort, pour en rendre le retour impossible
    après son abolition en août 2002, proclamation de l'égalité entre les
    sexes, adoption d'un nouveau Code civil, mise en place d'une nouvelle
    formation pour les juges, reconnaissance de la prééminence des
    traités internationaux sur la loi nationale. Des droits inédits ont
    été accordés aux Kurdes, on commence à débattre très librement de la
    question arménienne... Il se passe quelque chose en Turquie. Les
    racines de cette transformation sont certes anciennes, mais ses
    manifestations les plus spectaculaires sont présentes. L'ardent désir
    d'intégrer notre Union est le moteur de cette accélération et ce ne
    sera pas le moindre de nos mérites que d'en être la cause principale,
    dans le droit-fil de l'esprit de réconciliation et de pacification
    qui présidait à la naissance de l'Europe nouvelle, au lendemain de la
    Seconde Guerre mondiale.


    Aujourd'hui, quelques-uns contestent le destin européen de la Turquie
    au nom de la géographie. L'argument, si souvent entendu, ou bien
    n'est pas sérieux ou bien n'est pas honnête. Au nom de quelle règle
    la proportion continentale du territoire turc (5%) est-elle jugée
    insuffisante ? Quel est le seuil nécessaire ? Et pourquoi ne pas
    retenir qu'un cinquième des Turcs vivent sur cette partie de leur
    territoire ? Et pourquoi la Turquie serait-elle en Asie quand Chypre
    vient d'entrer dans l'Union, tandis qu'elle est plus à l'Orient
    qu'Ankara ? N'avons-nous pas une frontière commune avec la Turquie
    depuis 1981, par la Grèce, et n'en aurons-nous pas une nouvelle en
    2007, avec la Bulgarie ? Avec la Turquie dans l'Union, nous dit-on,
    nous aurons des frontières avec l'Iran, comme si cela devait
    souligner le caractère étrange de cette candidature. Lorsque les
    Européens possédaient leurs empires coloniaux, ils savaient pourtant
    voir plus grand et cela n'étonnait pas les Français d'avoir trois
    départements en Algérie. Serait-ce de l'amnésie ? De même,
    aujourd'hui, les Européens ne paraissent pas perturbés par cette
    frontière commune avec le Brésil que nous devons à la Guyane, autre
    département français. En fait, nul ne l'ignore, la géographie cache
    mal la crainte inspirée par l'idée d'accueillir parmi nous un pays
    musulman. Mais que ferons-nous des 12 millions d'Européens musulmans
    ? Quel sera l'avenir des Bosniaques, des Albanais et des Macédoniens
    contre lesquels l'argument géographique ne pourra rien non plus. Au
    fond, le problème de la Turquie n'est pas d'être un pays musulman,
    mais d'être un «grand» pays musulman, ce qui n'est pas discutable,
    même si, membre de l'Union, il ne représenterait pas plus de 15% de
    la population totale.


    C'est donc l'islam qui nous inquiète. Ce n'est pas sans raison. Il y
    a aujourd'hui dans le monde un incontestable problème musulman. Trop
    souvent, cette religion se montre sous un jour rétrograde,
    oligarchique, tyrannique et violent. Mais nous savons pourtant que la
    plupart des musulmans ne sont ni des fondamentalistes ni des
    terroristes. Très simplement, dans leur grande majorité, ils aspirent
    à la sécurité et à la prospérité. Nous savons aussi que le XXIe
    siècle sera chaotique, voire catastrophique, si nous ne parvenons pas
    à résoudre cette épineuse question. La Turquie est à ce jour une
    pièce maîtresse de la solution, peut-être la seule, si bien que les
    Européens ont en main la clé d'un monde stabilisé, pacifié et
    progressiste. En effet, la Turquie est un pays musulman à proprement
    parler incomparable. Seul pays musulman membre de l'Otan, depuis
    1952, et membre fondateur de l'OCDE en 1961, la Turquie est installée
    dans une laïcité originale depuis plus de quatre-vingts ans, dotée
    d'institutions représentatives, habituée au multipartisme, où les
    femmes votent depuis 1934, 10 ans avant les Françaises et 46 ans
    avant les Portugaises. On y trouve une classe moyenne importante, un
    patronat dynamique, des élites bien formées, des universités
    prestigieuses, qui ne compensent cependant pas un grave déficit en
    matière d'éducation, une société civile en voie d'émancipation et une
    pratique originale de l'islam, multiple, privatisée et de plus en
    plus souvent individualisée.


    Maintenant que l'empire soviétique s'est effondré, pouvons-nous
    oublier que, dès 1945, la Turquie s'est engagée, à nos côtés, dans la
    lutte contre le communisme ? Membres de l'Otan dès 1952, les Turcs
    ont ainsi payé le plus lourd tribut en vies humaines pendant la
    guerre de Corée, après les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.
    Pouvons-nous oublier que la Turquie est l'un des plus fidèles alliés
    d'Israël ? C'est en Turquie que trouveront refuge les juifs chassés
    d'Espagne par Isabelle la Catholique. C'est en Turquie que trouveront
    refuge des milliers de juifs européens fuyant le nazisme. En ce
    domaine, l'Europe est débitrice et force est de constater qu'elle a
    plus de leçons à recevoir qu'à donner. Dès 1948, la Turquie
    reconnaîtra l'Etat d'Israël. C'est dans le ciel turc que peuvent
    s'entraîner les pilotes israéliens. De même, les deux pays partagent
    leurs équipements portuaires pour recevoir leurs marines de guerre.
    L'eau, dont manque cruellement Israël, est fournie, chèrement, par la
    Turquie, tandis que des entreprises israéliennes participent à
    l'irrigation du sud-est de l'Anatolie, clé du développement de cette
    région pauvre et donc, indirectement, l'une des clés du problème
    kurde comme de l'islamisme radical qui sévit localement.


    Pays exceptionnel encore lorsque, en 2002, la victoire du Parti de la
    justice et du développement (AKP) nous offrait le premier exemple
    historique d'un parti de culture musulmane accédant au pouvoir par la
    voie démocratique. L'AKP a été soutenu par un électorat
    qu'exaspéraient les dévaluations et les problèmes de corruption mais
    aussi persuadé qu'il est le plus capable de réussir les profondes
    réformes nécessaires à l'ouverture des négociations. Loin d'être un
    «parti islamique» ou «islamiste», l'AKP est une sorte de parti
    musulman-démocrate, qui fait songer à nos partis
    chrétiens-démocrates, malgré quelques éléments radicaux comme l'on en
    trouve dans toutes nos démocraties. L'AK est un parti libéral sur le
    plan économique et franchement proeuropéen, à la différence des
    islamistes du RP, ou Refah, parti fondé en 1983 et dissous en 1998
    pour non-respect de la laïcité.


    Au lendemain de la victoire de l'AK, Abdullah Gül, l'actuel ministre
    des Affaires étrangères, déclarait : «Notre ambition est de montrer
    au monde entier qu'un pays peuplé de musulmans peut aussi être
    démocrate, transparent, moderne et peut aussi coopérer avec le reste
    du monde.» Les partis musulmans-démocrates ne sont pas nombreux. Un
    seul à ce jour a pu accéder au pouvoir par la voie électorale. Est-il
    juste, est-il conforme à notre intérêt de compromettre les chances de
    succès de cet islam moderne et pro-occidental unique au monde ?

    Aujourd'hui, en Turquie, l'ouverture des négociations est une cause
    partagée par la société civile tout entière. Elle dépasse les
    clivages politiques internes. C'est toute la Turquie démocratique qui
    place ses espoirs dans l'ouverture des négociations.

    * Professeur des Universités à l'Institut d'études politiques de
    Paris. Dernières publications : Les Européens en 2004, Paris, 2004,
    Editions Odile Jacob/Fondation Robert Schuman et La Fracture
    occidentale. Naissance d'une opinion européenne, Paris, 2004,
    Editions de La Table Ronde.


    demain, deuxième et dernier volet de cette tribune.
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