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La planete s'enflamme pour l'or noir

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    La Vie Financière
    23 juillet 2004

    La planète s'enflamme pour l'or noir;
    Les majors non américaines (1859-1913)

    Par Paul-Jacques Lehmann, professeur à l'université de Rouen.


    Révolution technologique aux conséquences incalculables, l'invention
    de l'ampoule à incandescence par Edison (1878) va porter un coup
    fatal à la consommation de pétrole destiné à l'éclairage. Ce débouché
    se tarira complètement avec la généralisation du gaz et de
    l'électricité. Mais les progrès de la science fournissent à l'or noir
    une seconde chance : il devient source d'énergie - carburant pour les
    moteurs, combustible pour le chauffage domestique, utilisation
    industrielle, matière première pour l'industrie chimique. Les
    avancées de la technique vont en effet permettre l'utilisation de
    deux huiles issues du raffinage : l'une légère, l'essence ; l'autre
    lourde, le mazout, résidus que l'on était contraint, jusque-là, de
    brûler pour s'en débarrasser.

    Pendant la plus grande partie du XIXe siècle, c'est la vapeur
    provenant du charbon qui propulse les véhicules. Depuis longtemps, on
    cherche une nouvelle énergie moins chère et plus facile à utiliser.
    En 1890, Peugeot vend deux voitures équipées du premier moteur à
    essence, dit à explosion, breveté en 1883 par Daimler. Pendant plus
    d'une décennie, l'achat d'automobiles reste l'apanage de quelques
    privilégiés. La situation évolue à partir de 1905 quand Henry Ford,
    un ancien de la Standard Oil, après avoir construit une voiture à
    essence dans un petit atelier de Detroit, crée une entreprise pour
    fabriquer des automobiles en série : son modèle T (pour tourisme)
    sera vendu à 15 millions d'exemplaires. La consommation d'essence ne
    cesse alors d'augmenter : en 1910, ses ventes dépassent pour la
    première fois celles du kérosène, pour atteindre 5,8 millions de
    tonnes en 1913, dont 190 000 tonnes en France, soit près de 30 % de
    la consommation totale de pétrole.

    On est également persuadé que le pétrole peut remplacer le charbon
    comme combustible pour la navigation. La facilité d'utilisation des
    huiles lourdes et leur faible coût finissent d'ailleurs par
    convaincre les derniers récalcitrants de l'avantage du mazout. Les
    camions, les locomotives, les automobiles se mettront aussi au fuel,
    qui sera ensuite adapté au chauffage d'usines et d'habitations. La
    pétrochimie fait également son apparition. Utilisée la première fois
    pour fabriquer des pneus, son expansion sera continue dans de
    multiples domaines (engrais, matières plastiques...).

    Une production en constante augmentation

    La production de pétrole passe de 10 millions de tonnes en 1890 à 51
    millions en 1913 et intéresse de nombreux pays car la découverte de
    gisements n'est plus limitée aux seuls Etats-Unis. En Amérique du
    Sud, on exploite des puits au Mexique à partir de 1902, en Argentine
    à partir de 1907, au Pérou et au Venezuela à partir de 1914. La
    productivité s'améliore à tous les niveaux : dans la production, où
    les systèmes de forage par rotation se substituent progressivement
    aux systèmes par percussion ; dans le raffinage ; dans la
    distribution, quand les pompes à main installées aux portes des
    épiceries puis au bord des routes remplacent les bidons en fer-blanc.


    On fonde déjà de grands espoirs sur les forages marins qui commencent
    dans le golfe du Mexique et dans la mer Caspienne. La Russie devient
    un grand pays producteur et Bakou la Titusville russe : sa population
    passe de 5 000 habitants en 1850 à 100 000 en 1890. Les gisements de
    la région de Groznyï, à 500 kilomètres, complètent la production. Des
    raffineries y existent depuis 1823, mais des problèmes de transport
    vers les centres de consommation en entravent l'expansion. En 1888,
    le pays fournit 23 millions de barils de pétrole, soit 80 % de la
    production américaine. Ses raffineries travaillent alors à pleine
    capacité grce aux exportations dans toute l'Europe, où le
    quasi-monopole mondial exercé par la Standard Oil est fortement
    entamé.

    Nobel et Rothschild précurseurs en Russie

    Arrivé dans la région pour acheter du bois pour l'entreprise
    d'armement créée par son père, Ludwig Nobel se prend de passion pour
    le pétrole, s'installe en Russie et décide ses frères à y investir.
    En 1887, la société Nobel est propriétaire de 40 % des terrains de la
    région de Bakou, assure la moitié de la production pétrolière du pays
    et gère deux cents raffineries. Elle s'est aussi spécialisée dans le
    transport par bateau en vrac et par pipelines, percés dans la
    montagne grce à l'emploi de la dynamite, inventée par Alfred Nobel.
    Ainsi, l'oléoduc de 880 kilomètres entre Bakou et le port turc de
    Batoum, annexé par la Russie en 1877, est achevé en 1893. L'Histoire
    veut qu'à la mort de Ludwig, en 1888, de nombreux journaux annoncent
    le décès d'Alfred et le critiquent en tant qu'inventeur de
    l'explosif. Prenant ombrage de ces nécrologies, il lègue sa fortune à
    une fondation pour l'instauration du fameux prix. Après la révolution
    russe, les Nobel vendent la moitié de leur empire pétrolier à la
    Standard Oil et sont expropriés pour le reste.

    Les Rothschild jouent aussi un grand rôle dans l'histoire moderne du
    pétrole russe. Appelés pour financer l'achèvement d'une ligne de
    chemin de fer permettant de transporter le pétrole de Bakou à Batoum,
    ils créent en 1886 la Compagnie pétrolière de la Caspienne et de la
    mer Noire (Bnito) et deviennent le deuxième producteur russe. Ils
    signent des accords avec les Nobel pour s'assurer la première place
    mondiale des exportations vers l'Extrême-Orient.

    De Shell à Royal Dutch

    Quand les Rothschild veulent s'implanter en Asie, ils signent un
    accord avec un négociant, Marcus Samuel, qui obtient pour neuf ans
    l'exclusivité de la vente du pétrole de la Bnito en Extrême-Orient.
    Il achète des entrepôts à Singapour pour stocker le liquide. Lui
    aussi est persuadé que c'est le coût du transport qui fera la
    différence. Il a donc créé un nouveau type de navires-citernes lui
    permettant, grce à un système de nettoyage à la vapeur, de
    transporter indifféremment du pétrole en vrac de Bornéo en Russie, ou
    de Russie en Extrême-Orient, et des denrées d'Asie (thé, riz, coton)
    en Europe. L'un de ses bateaux, le Murex, est le premier à emprunter,
    en 1892, le canal de Suez. En 1902, 90 % du pétrole transitant par le
    canal lui appartiennent. En 1897, il change le nom de sa société, qui
    devient la Shell (en anglais, « coquille ») Transport & Trading,
    société de nationalité britannique.

    En 1895, Samuel obtient une concession de 80 kilomètres carrés à
    l'est de Bornéo, dans une région difficilement accessible. La
    production débute en avril 1898. Une autre société, la Compagnie
    royale pour l'exploitation des puits de pétrole des Indes
    néerlandaises, se trouve depuis 1890 dans la région, à Sumatra, où
    des puits sont exploités depuis 1871, et distribue le pétrole sous la
    marque Crown Oil. Totalement intégrée elle aussi, la Royal Dutch doit
    son succès à sa proximité des lieux de consommation de pétrole en
    Extrême-Orient, ce qui lui épargne le coût du transport depuis les
    Etats-Unis et la Russie. En décembre 1900, au décès de son fondateur,
    Auguste Kessler, un nouveau dirigeant est nommé en Extrême-Orient,
    Henry Deterding. D'une famille pauvre, c'est par son métier de
    banquier qu'il a connu la société pétrolière, quand il a été amené à
    la sortir de graves difficultés financières. Dorénavant à la tête de
    l'entreprise, il n'a de cesse de combattre la Standard. Il achète les
    principaux producteurs des Indes néerlandaises et cherche à s'allier
    avec la Shell, annihilant les nombreuses tentatives de la société de
    John Rockefeller de s'approprier les deux entreprises.

    Un accord commercial est signé en 1901, suivi en 1907 de la
    constitution du groupe Royal Dutch-Shell, holding qui détient les
    deux compagnies d'exploitation, dans une proportion de 60 % pour la
    première et de 40 % pour la seconde, toujours valable de nos jours.
    Henry Deterding en devient le directeur général, puis le président
    quand Samuel lui cède sa place. Les Rothschild rejoignent les deux
    associés pour former l'Asiatic Petroleum Company, avant de leur
    vendre, en 1912, leurs intérêts en Russie. Payés en actions, ils
    deviennent les actionnaires principaux de la Royal Dutch. Le groupe
    s'impose progressivement en Europe, avant de tenter, avec succès, sa
    chance au Mexique, au Venezuela et même aux Etats-Unis.

    L'Anglo-Persian de William Knox d'Arcy

    Les recherches de pétrole débutent en Perse en 1872, mais restent
    longtemps infructueuses. En 1901, le shah accorde, pour une durée de
    soixante ans, une concession de pétrole sur les trois quarts du pays
    à un avocat canadien d'origine française, William d'Arcy, qui a fait
    fortune en découvrant une mine d'or en Australie. La prospection ne
    donne aucun résultat pendant deux ans et son coût se révèle vingt
    fois plus élevé que prévu. William d'Arcy, à court de trésorerie,
    soutenu par le gouvernement britannique, s'associe à la Burmah Oil
    Company, créée en 1886 par un groupe écossais afin d'assurer
    l'exploitation du pétrole birman, pour former l'Anglo-Persian Oil
    Company, qui deviendra en 1935 l'Anglo-Iranian Oil Company puis, en
    1954, la British Petroleum. William d'Arcy est nommé directeur de la
    société. La recherche se poursuit dans un environnement difficile :
    le shah est renversé ; le pays est partagé entre la Russie et
    l'Angleterre. Lassés, les dirigeants de la société envoient, de
    Londres, début mai 1908, un télégramme au responsable de
    l'exploitation lui enjoignant de tout arrêter. Se produit alors un
    coup du destin : le destinataire du télégramme ne le divulgue pas et
    ne tient pas compte de l'injonction. Deux semaines plus tard, le 26
    mai 1908, le pétrole jaillit au-dessus du derrick du puits
    Masjid-I-Suleiman. D'autres gisements sont découverts dans le pays.
    Un pipeline de plus de 200 kilomètres est construit à travers le
    désert jusqu'à Abadan, où une raffinerie est édifiée.

    Bien que la distribution de son brut soit assurée par la Royal Dutch,
    la situation financière de l'Anglo-Persian reste préoccupante.
    L'Amirauté britannique va la sauver. Depuis le début du siècle,
    beaucoup de ses responsables sont convaincus qu'une guerre contre
    l'Allemagne est inéluctable et que la victoire se décidera sur les
    mers. La modernisation de la flotte, indispensable, passe par la
    conversion au mazout de la propulsion des navires. Il faut donc à
    l'Angleterre une source sûre d'approvisionnement en pétrole.
    L'arrivée de Churchill comme premier lord de l'Amirauté en 1911
    précipite les choses alors que les relations entre l'Anglo-Persian et
    la Royal Dutch se détériorent. Ne voulant pas que le pétrole dont le
    pays a tant besoin tombe entre les mains d'intérêts néerlandais à un
    moment où les Pays-Bas soutiennent l'Allemagne, le gouvernement
    britannique apporte les fonds indispensables à l'Anglo-Persian. Il en
    prend le contrôle à 51 % en 1913 et la Royal Navy devient le
    principal client de l'Anglo-Persian.

    La Turkish Petroleum de Calouste Gulbenkian

    L'Empire ottoman, en pleine crise, commence à intéresser les
    compagnies pétrolières. Alors que les sociétés américaines sont quasi
    absentes de cette région, pourtant promise à un avenir radieux, les
    compagnies britanniques et allemandes sont toutes-puissantes en Asie
    mineure. C'est dans ce contexte que commence à s'imposer Calouste
    Gulbenkian, Arménien né en 1863 dans une riche famille de négociants.
    Après ses études, cet ingénieur des mines rentre en Russie, où il se
    passionne pour le pétrole. A la suite du massacre des Arméniens, il
    s'enfuit en Egypte en 1896, puis s'établit à Londres, où il vend du
    pétrole russe et procure de nombreux contrats à la Royal Dutch-Shell.
    Naturalisé anglais en 1902, conseiller financier du gouvernement turc
    à Londres, il devient directeur d'une banque, dont il détient 30 % du
    capital et qui est actionnaire à 50 % de la Turkish Petroleum Company
    - créée grce à ses bons offices en 1911 - aux côtés de la Royal
    Dutch-Shell et de la Deutsche Bank, chacune à hauteur de 25 %. En
    1914, un accord anglo-allemand donne à l'Anglo-Persian 50 % de la
    Turkish Petroleum Company. L'Anglo-Persian et la Shell abandonnent
    chacune 2,5 % des bénéfices à Gulbenkian, qui devient « Monsieur 5 %
    » ! Les signataires s'engagent à ne pas s'intéresser à la production
    pétrolière dans l'Empire ottoman (sauf en Egypte et au Koweït), en
    dehors de leur participation dans la Turkish Petroleum Company. Cet
    arrangement est le point de départ de la lutte future pour le pétrole
    au Moyen-Orient.

    -> -> ->Dates clés

    1886

    - Création de la Compagnie pétrolière de la Caspienne et de la mer
    Noire par les Rothschild.

    1897

    - Naissance de la Shell Transport & Trading britannique dont les
    premiers navires-citernes vont jusqu'en Extrême-Orient.

    1903

    - Création de l'Anglo-Persian Oil Company, ancêtre de la British
    Petroleum.

    1905

    - Henry Ford crée sa première usine de construction d'automobiles.

    1907

    - Création de la Royal Dutch-Shell.

    1908

    - Le pétrole jaillit en Iran, alors que l'Anglo-Persian avait décidé
    d'arrêter les forages.

    Des indépendants aux Etats-Unis

    -Aux Etats-Unis apparaissent des indépendants, nom donné aux sociétés
    sans lien avec la Standard Oil et qui seront à l'origine de la
    découverte de la plupart des futurs gisements. Deux entrent
    rapidement dans la cour des « grands ». Le premier est la Guffey
    Petroleum Company, du colonel Guffey, un pros- pecteur à l'origine de
    l'exploitation du premier puits au Texas, le 10 janvier 1901, près de
    Spindletop. Andrew W. Mellon, sidérurgiste et banquier, prend une
    participation de 40 % dans la société, qui est transformée en Gulf
    Oil Company. En 1906, Guffey signe un accord avec Samuel qui vient de
    s'installer dans la région. Royal Dutch-Shell lui garantit de lui
    transporter, pendant vingt ans, une quantité minimale de pétrole,
    destinée à l'Amirauté britannique. C'est le début de l'installation
    de Royal Dutch-Shell dans tous les Etats producteurs des Etats-Unis.
    Mellon, mécontent de cet accord, se sépare alors de Guffey, tout en
    conservant la Gulf. Devenu secrétaire d'Etat au Trésor après la
    guerre, il imposera sa société comme concessionnaire de gisements au
    Venezuela, aux côtés de la Shell. Le deuxième indépendant est la
    Texas Fuel Company, de Joseph Cullinan, un ancien de la Standard,
    raffineur et distributeur sous le nom de Texaco et qui dispose de ses
    propres pipelines.

    A la déclaration de la Première Guerre mondiale, les majors sont déjà
    constituées. On ne cessera plus de les retrouver au travers de
    tractations, de conflits, d'accords qui vont décider de la conduite
    économique et politique du monde.
    From: Baghdasarian
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