Libération
7 juin 2004
Exiger la mémoire du génocide arménien;
L'entrée éventuelle d'une Turquie négationniste en Europe inquiète
les 450 000 Français d'origine arménienne.
par Ara Toranian, président du Conseil de coordination des
organisations arméniennes de France (CCAF)
La perspective d'entrée de la Turquie dans l'Europe ne soulève pas que
des questions académiques sur l'histoire et la géographie de l'Ancien
Continent. Elle suscite également une forte inquiétude au sein d'une
partie de la population française qui a rarement voix au chapitre,
qu'on a du mal à entendre et qu'on évacue trop souvent des débats :
les 450 000 Français d'origine arménienne, enfants et petits-enfants
des rescapés du génocide de 1915.
Fantasmes que leurs craintes fondées sur de l'histoire ancienne
? On aimerait s'en convaincre. Hélas, la politique des gouvernements
turcs qui se sont succédé depuis cette extermination fait montre de
suffisamment de constance pour ne pas laisser place au doute. Qu'ils
soient de droite, de gauche, laïques ou islamistes, ces pouvoirs se
sont inscrits, avec un remarquable sens de la continuité, dans la
logique de ce crime. Depuis la fondation de la Turquie dite moderne en
1923, ces gouvernements n'ont eu de cesse de poursuivre par d'autres
moyens l'entreprise d'anéantissement engagée par les Jeunes Turcs
: négation organisée du fait historique, gommage systématique de
tout indice des massacres, de toute trace des Arméniens dans leurs
territoires ancestraux, destruction ou détournement - partout où cela
est possible - de leurs vestiges historiques, de leurs églises. Ils se
sont également évertués à imposer une loi du silence à l'intérieur du
pays et un chantage permanent à l'extérieur pour faire taire les Etats
qui, tels le Canada le 21 avril dernier, la Suisse le 16 décembre 2003
ou la France le 29 janvier 2001, ont pris la liberté de reconnaître
le génocide.
Cette complicité active des autorités turques "modernes" envers
l'extermination des Arméniens a atteint un nouveau pic. Il y a un an,
en effet, le ministère de l'Education nationale a envoyé à l'ensemble
des établissements secondaires du pays une circulaire leur enjoignant
d'organiser une dissertation sur le thème suivant : "Comment répondre
aux allégations de génocide arménien ?" Avec, à la clé, une récompense
pour la meilleure copie.
Face à un tel obscurantisme, un tel acharnement, comment les Français
d'origine arménienne pourraient-ils appréhender sereinement la venue
de cet Etat qui, du fait de sa démographie et des dispositions du
traité de Nice, est destiné à être le plus représenté au Parlement
européen ? Comment les enfants du génocide arménien pourraient-ils
accepter de se retrouver dans une Europe qui ferait la place belle
à une Turquie négationniste, complice de la solution finale ?
Certaines personnes déjà nous ont fait savoir que face à cette
éventualité, elles se préparaient à plier bagage. Et ce n'est
pas l'attitude des pouvoirs publics dans cette affaire qui les
tranquillisera. En témoigne la réponse de Jacques Chirac à une
question d'un journaliste de Radio J, lors de sa conférence de presse
du 29 avril dernier. A sa question portant sur la reconnaissance du
génocide des Arméniens par la Turquie comme préalable à son adhésion
dans l'Europe, le président de la République a répliqué sèchement :
"C'est une affaire bilatérale entre la Turquie et l'Arménie." Des
propos qui ont semé le trouble, y compris à droite : "C'est comme si
on disait que les exterminations ne concernent que les communautés
qui en sont les victimes", a rétorqué François Bayrou.
Les communautés arméniennes ont dû batailler pendant quatre-vingts ans
contre les menées négationnistes de la Turquie. Les reconnaissances
du génocide effectuées dernièrement par quelques Etats démocratiques
leur laissaient espérer en l'avènement d'une nouvelle ère. Se
sont-elles trompées ? Faces aux diverses menaces que laisserait
craindre l'adhésion d'un Etat turc qui n'aurait pas rompu avec la
logique criminelle de ses prédécesseurs, quelle sera l'attitude de la
France ? Assumera-t-elle la protection due à ses citoyens d'origine
arménienne ? Il n'y a qu'en exigeant de la Turquie qu'elle reconnaisse
officiellement le génocide des Arméniens que l'on pourra rassurer
nos concitoyens. Et aller de l'avant. On est encore loin du compte.
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
7 juin 2004
Exiger la mémoire du génocide arménien;
L'entrée éventuelle d'une Turquie négationniste en Europe inquiète
les 450 000 Français d'origine arménienne.
par Ara Toranian, président du Conseil de coordination des
organisations arméniennes de France (CCAF)
La perspective d'entrée de la Turquie dans l'Europe ne soulève pas que
des questions académiques sur l'histoire et la géographie de l'Ancien
Continent. Elle suscite également une forte inquiétude au sein d'une
partie de la population française qui a rarement voix au chapitre,
qu'on a du mal à entendre et qu'on évacue trop souvent des débats :
les 450 000 Français d'origine arménienne, enfants et petits-enfants
des rescapés du génocide de 1915.
Fantasmes que leurs craintes fondées sur de l'histoire ancienne
? On aimerait s'en convaincre. Hélas, la politique des gouvernements
turcs qui se sont succédé depuis cette extermination fait montre de
suffisamment de constance pour ne pas laisser place au doute. Qu'ils
soient de droite, de gauche, laïques ou islamistes, ces pouvoirs se
sont inscrits, avec un remarquable sens de la continuité, dans la
logique de ce crime. Depuis la fondation de la Turquie dite moderne en
1923, ces gouvernements n'ont eu de cesse de poursuivre par d'autres
moyens l'entreprise d'anéantissement engagée par les Jeunes Turcs
: négation organisée du fait historique, gommage systématique de
tout indice des massacres, de toute trace des Arméniens dans leurs
territoires ancestraux, destruction ou détournement - partout où cela
est possible - de leurs vestiges historiques, de leurs églises. Ils se
sont également évertués à imposer une loi du silence à l'intérieur du
pays et un chantage permanent à l'extérieur pour faire taire les Etats
qui, tels le Canada le 21 avril dernier, la Suisse le 16 décembre 2003
ou la France le 29 janvier 2001, ont pris la liberté de reconnaître
le génocide.
Cette complicité active des autorités turques "modernes" envers
l'extermination des Arméniens a atteint un nouveau pic. Il y a un an,
en effet, le ministère de l'Education nationale a envoyé à l'ensemble
des établissements secondaires du pays une circulaire leur enjoignant
d'organiser une dissertation sur le thème suivant : "Comment répondre
aux allégations de génocide arménien ?" Avec, à la clé, une récompense
pour la meilleure copie.
Face à un tel obscurantisme, un tel acharnement, comment les Français
d'origine arménienne pourraient-ils appréhender sereinement la venue
de cet Etat qui, du fait de sa démographie et des dispositions du
traité de Nice, est destiné à être le plus représenté au Parlement
européen ? Comment les enfants du génocide arménien pourraient-ils
accepter de se retrouver dans une Europe qui ferait la place belle
à une Turquie négationniste, complice de la solution finale ?
Certaines personnes déjà nous ont fait savoir que face à cette
éventualité, elles se préparaient à plier bagage. Et ce n'est
pas l'attitude des pouvoirs publics dans cette affaire qui les
tranquillisera. En témoigne la réponse de Jacques Chirac à une
question d'un journaliste de Radio J, lors de sa conférence de presse
du 29 avril dernier. A sa question portant sur la reconnaissance du
génocide des Arméniens par la Turquie comme préalable à son adhésion
dans l'Europe, le président de la République a répliqué sèchement :
"C'est une affaire bilatérale entre la Turquie et l'Arménie." Des
propos qui ont semé le trouble, y compris à droite : "C'est comme si
on disait que les exterminations ne concernent que les communautés
qui en sont les victimes", a rétorqué François Bayrou.
Les communautés arméniennes ont dû batailler pendant quatre-vingts ans
contre les menées négationnistes de la Turquie. Les reconnaissances
du génocide effectuées dernièrement par quelques Etats démocratiques
leur laissaient espérer en l'avènement d'une nouvelle ère. Se
sont-elles trompées ? Faces aux diverses menaces que laisserait
craindre l'adhésion d'un Etat turc qui n'aurait pas rompu avec la
logique criminelle de ses prédécesseurs, quelle sera l'attitude de la
France ? Assumera-t-elle la protection due à ses citoyens d'origine
arménienne ? Il n'y a qu'en exigeant de la Turquie qu'elle reconnaisse
officiellement le génocide des Arméniens que l'on pourra rassurer
nos concitoyens. Et aller de l'avant. On est encore loin du compte.
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress