Announcement

Collapse
No announcement yet.

La Turquie, chance de l'Europe

Collapse
X
 
  • Filter
  • Time
  • Show
Clear All
new posts

  • La Turquie, chance de l'Europe

    Libération
    8 juin 2004

    La Turquie, chance de l'Europe;
    Poser les prémices de l'adhésion de la Turquie dans l'Europe c'est
    déjà penser un XXIe siècle pacifique et aider à la reconnaissance du
    génocide arménien.

    AUTEUR: KEHAYAN Jean; JEAN KEHAYAN, journaliste et écrivain


    Si la Turquie refusait d'entamer son processus pour entrer dans
    l'Union européenne, il serait indispensable que les nations
    fondatrices de l'Europe déploient des trésors de diplomatie pour
    convaincre Ankara d'effectuer cette démarche. Au moment où le débat
    franco-français labellise le "Non à la Turquie dans l'Europe", on est
    frappé par l'absence de clairvoyance. Et, à la timide exception de
    Jacques Chirac, aucun homme d'Etat ne prend de position courageuse,
    estimant que ce serait suicidaire dans le climat d'hystérie
    anti-islamique actuel de faire de la géopolitique intelligente. Il
    suffit pourtant de regarder une carte pour se persuader que la
    démocratisation de "l'homme malade de l'Europe" serait une chance
    pour la stabilisation de cette région volcanique aux pays riverains
    qui ne donnent aucun signe de mouvement.

    Naturellement, le pari est d'envergure : dix années seront-elles
    suffisantes pour que la Turquie montre ses capacités à vouloir une
    adhésion sincère ? Ce n'est pas une mince affaire que d'imaginer son
    conseil de sécurité militaire abandonner un pouvoir absolu en
    laissant la société civile décider du destin politique du pays. Pas
    une mince affaire non plus d'humaniser des prisons moyenâgeuses et, à
    l'instar de la défunte Union soviétique, ne pas utiliser la
    psychiatrie pour briser les esprits libres du pays. Les militaires
    dans les casernes, cela doit signifier une garantie contre la
    création de sanctuaires terroristes, le maintien de la laïcité
    kémaliste et la garantie d'être à l'abri de tout coup d'état.

    Mes amis turcs, kurdes et arméniens de l'intérieur ont la certitude
    que seule la démocratisation à marche forcée peut pousser les
    autorités à mettre à plat leur histoire sanglante du début du siècle
    lorsque, dans une tradition qui remonte aux croisades, les infidèles
    grecs et kurdes furent impitoyablement massacrés et chassés de leurs
    lieux de vie ancestraux. Le paroxysme de cette politique barbare
    étant le génocide des Arméniens d'Anatolie de plus en plus reconnu
    par les nations raisonnables et de plus en plus nié par des autorités
    qui croient suffisant d'occulter un problème pour le résoudre. Pire,
    et pour ne citer qu'eux, les musées d'Erzeroum et de Van ont une
    section sur le génocide, mais c'est celui des Turcs par les Arméniens
    qui ont résisté !

    Il faut relire les Quarante Jours du Mussa Dagh de Franz Werfel pour
    se convaincre que la résistance face à la pulsion génocidaire des
    militaires ottomans en déliquescence relevait de l'évidence. Dans le
    processus de démocratisation, la révision de l'histoire du siècle
    écoulé n'est évidemment pas négociable et fort heureusement il existe
    en Turquie suffisamment d'intellectuels courageux capables de
    remettre les livres d'histoire dans le bon sens. Le pari est de
    taille, à la hauteur des enjeux et des avantages.

    Pour en rester au problème arménien, il est évident que la petite
    république du Caucase aurait tout à gagner, comme la Géorgie, à avoir
    des frontières européennes. Elle pourrait ainsi sortir de son
    enclavement étouffant et d'une tutelle russe qui n'est pas sans
    arrière-pensée. Comme gage de bonne volonté et pour en finir avec la
    crainte de restitution de terres, la Turquie pourrait rendre à
    l'Arménie sa capitale historique d'Ani dont la restauration par la
    communauté mondiale redonnerait tout son sens à une histoire vieille
    d'une bonne quinzaine de siècles et enlèverait aux Arméniens
    éparpillés sur la planète un ressentiment légitime. Un lieu où mille
    églises se dressaient au Xe siècle, une nouvelle Jérusalem
    pluriethnique, multiconfessionnelle et pluriculturelle. Elle pourrait
    dans sa lancée trouver un statut inédit à la montagne de l'Ararat
    pour qu'elle redevienne symbole de paix entre les deux pays. Une
    restitution de terres sans guerre serait la première grande avancée
    de l'Europe.

    Concessions impossibles ? Mais que serait l'Europe si des hommes
    d'Etat tels que de Gaulle et Adenauer n'avaient un beau jour décidé
    d'en finir avec la "séculaire haine entre Allemands et Français" ? Si
    Willy Brandt ne s'était pas agenouillé à Auschwitz, nous serions bien
    loin de ce continent composé de vingt-cinq nations admises à la hâte
    à la table du festin pacifique.

    Nos politiques n'ont pas été très regardants sur les garanties
    qu'offrait la Pologne dans cette lutte titanesque qu'est le combat
    contre l'antisémitisme de ce pays désormais sans Juifs, un pays
    ignorant des Lumières qui rêve de faire entrer la notion de
    chrétienté dans la Constitution ! Ils ont aussi fermé les yeux sur le
    racisme et la corruption endémique et déstabilisante des ex-pays du
    bloc soviétique tombés de la façon la plus sauvage dans un
    libéralisme qui laisse des couches entières de la population dans la
    misère, qui bafoue les droits des Tsiganes et des minorités avec des
    desseins et des méthodes proches d'un nouvel apartheid.

    La démocratie gage de paix et de lutte contre les extrémismes. On a
    vu et compris maintenant que la politique de la canonnière des
    Américains en Irak conduisait à des impasses sans aucune solution
    lisible dans le court terme. A l'inverse, on imagine aisément le
    pouvoir de contagion d'une Turquie démocratique sur ses voisins
    immédiats, comme la Syrie ou la Jordanie, régis par un parti unique
    qui enlève tout espoir de progrès. N'oublions pas que le monde arabe
    au faîte de la civilisation a commencé à décliner au XVIe siècle avec
    la prise du pouvoir ottoman : il est temps de renverser cette
    histoire. Car, à trop traîner pour amorcer les négociations d'entrée,
    la Turquie pourrait être tentée de fédérer les ex-Républiques
    soviétiques turcophones et imaginer un axe Ankara-Bakou-Téhéran
    capable de bipolariser à nouveau notre monde. C'en serait alors
    définitivement fini de voir reconnu le génocide et résolu le problème
    du Haut-Karabagh, créé de toutes pièces par les diaboliques
    cartographes de Staline.

    Les hommes politiques français n'osent pas dire clairement que le mot
    musulman est un repoussoir, alors que l'islam est la deuxième
    religion dans notre propre pays. N'était une levée de boucliers, le
    terme réducteur de chrétien aurait bien vu sa place dans la
    Constitution européenne.

    Un beau matin, fort d'une subtile révélation, M. Valéry Giscard
    d'Estaing a cru trouver l'argument imparable de la géographie. D'un
    côté on se fait les chantres d'une mondialisation qui abolit les
    frontières, mais pour les seuls capitaux, et de l'autre on ressuscite
    l'Asie mineure pour opposer une fin de non-recevoir

    (1). Quelle insulte à tous les Arméniens éparpillés de par le monde
    d'apprendre que leurs efforts à devenir Français, Européens,
    Américains et autres en une seule génération étaient aussi évidents.
    Personne n'aurait donc la hauteur de vue historique pour envisager
    que la Turquie soit la chance d'une Europe vieillissante et fatiguée
    sur le plan des idées et de la démographie.

    Enfin, notre classe politique donneuse de leçons ne devrait pas
    oublier qu'elle sera jugée pour s'être tue sinon rendue complice du
    génocide rwandais ; qu'elle fait des courbettes devant Vladimir
    Poutine, génocideur du peuple tchétchène qui n'a pas attendu le 11
    septembre pour vouloir s'affranchir de la tutelle russe, tsariste et
    communiste. Ces mêmes hommes qui déroulent le tapis rouge devant les
    dirigeants chinois à la tête du plus grand Etat totalitaire de la
    planète. Enfin, et puisque la religion semble être un atout maître,
    comment ne pas reprocher à certains de nos leaders d'obéir à l'Opus
    Dei dont la caractéristique n'est pas précisément de cultiver la
    tolérance.

    Certes, l'adhésion de la Turquie ne sera pas résolue en quelques
    années mais en poser les prémices, c'est déjà penser un XXIe siècle
    pacifique et donner des chances à l'Europe au Proche et Moyen-Orient.
    C'est aussi sortir l'Arménie de l'impasse dans laquelle elle se
    trouve, à condition qu'elle quitte son vieux costume soviétique,
    qu'elle libère la presse et qu'elle entre dans le processus
    démocratique ouvert par Lévon Ter Pétrossian, en se débarrassant de
    ses mafias et de la mendicité auprès de la Banque mondiale. En somme,
    il serait temps de rêver à une Europe de toutes les utopies et de
    toutes les libertés. Le oui de l'Europe à la Turquie procède de cet
    espoir.

    (1) L'ancien président de la Convention européenne, lors de son
    audition par la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée
    nationale, le 27 novembre 2002, s'était déclaré contre l'adhésion de
    la Turquie soulignant : "Il suffit d'ouvrir un dictionnaire pour
    constater que l'Asie mineure, ce n'est pas l'Europe".

    From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
Working...
X