Le Temps
25 mai 2004
RUBRIQUE: culture
Un Kurdistan entre vodka et dollars;
CINÉMA. Le film «Vodka Lemon» a l'ironie amère
Le palmarès cannois tombé, on peut revenir à celui de Venise 2003
dont les films nous parviennent toujours au compte-gouttes. Après Le
Retour, Le Cerf-volant, Zatoichi et 21 Grammes, voici venue
l'occasion de découvrir le Grand Prix de la section Controcorrente -
antichambre de la compétition réservée à des films plus fragiles -
qui y coiffa au poteau Lost in Translation. Troisième film de Hiner
Saleem, un Kurde irakien réfugié en France, Vodka Lemon étonne à plus
d'un égard: son paysage d'abord, une bourgade d'Arménie ex-soviétique
sous la neige; sa population ensuite, majoritairement kurde; et enfin
un style plutôt... grand public.
Après une introduction loufoque, le film se pose un peu et se
concentre bientôt sur le personnage du vieil Hamo (Romen Avinian,
sorte d'Omar Sharif sans la carrière). Ce sexagénaire veuf vivote sur
une maigre pension, en vendant ses dernières possessions et en
attendant un hypothétique envoi de son fils exilé en France. Un autre
fils, Dilovan (Ivan Franek, le héros de La Brûlure du vent), est un
chômeur-mafieux occupé à marier sa fille à un Russe. Heureusement, il
y a la belle Nina, une veuve qu'il retrouve tous les jours dans le
bus pour le cimetière. Guère mieux lotie, celle-ci peut néanmoins
compter sur sa fille pianiste à la ville et son job de tenancière
d'un débit de «vodka lemon» sur la route...
Réalisme magique
Impressionniste dans sa narration, le film se déroule comme une série
de vignettes et propose surtout de découvrir une région dont les
nouvelles sont rares. Et pour cause: ce village du Caucase est l'un
des nombreux laissés-pour-compte du nouvel ordre mondial. Entre
vodka, le principal héritage du passé, et dollar, la nouvelle monnaie
universelle, ce n'est pas vraiment la joie. Les vieux sont
nostalgiques de l'ex-URSS («Nous n'avions pas la liberté, mais, au
moins, nous avions tout le reste») tandis que les jeunes ne rêvent
que de partir. Mais le cinéaste et son peuple possèdent l'art de
faire contre mauvaise fortune bon coeur. Avec sa fantaisie qui
rappelle le théâtre de l'absurde et le réalisme magique
latino-américain, Vodka Lemon n'est jamais déprimant. C'est à la fois
sa force et sa limite.
Vodka Lemon, de Hiner Saleem (Arménie/France/Italie/Suisse 2003),
avec Romen Avinian, Lala Sarkissian.
25 mai 2004
RUBRIQUE: culture
Un Kurdistan entre vodka et dollars;
CINÉMA. Le film «Vodka Lemon» a l'ironie amère
Le palmarès cannois tombé, on peut revenir à celui de Venise 2003
dont les films nous parviennent toujours au compte-gouttes. Après Le
Retour, Le Cerf-volant, Zatoichi et 21 Grammes, voici venue
l'occasion de découvrir le Grand Prix de la section Controcorrente -
antichambre de la compétition réservée à des films plus fragiles -
qui y coiffa au poteau Lost in Translation. Troisième film de Hiner
Saleem, un Kurde irakien réfugié en France, Vodka Lemon étonne à plus
d'un égard: son paysage d'abord, une bourgade d'Arménie ex-soviétique
sous la neige; sa population ensuite, majoritairement kurde; et enfin
un style plutôt... grand public.
Après une introduction loufoque, le film se pose un peu et se
concentre bientôt sur le personnage du vieil Hamo (Romen Avinian,
sorte d'Omar Sharif sans la carrière). Ce sexagénaire veuf vivote sur
une maigre pension, en vendant ses dernières possessions et en
attendant un hypothétique envoi de son fils exilé en France. Un autre
fils, Dilovan (Ivan Franek, le héros de La Brûlure du vent), est un
chômeur-mafieux occupé à marier sa fille à un Russe. Heureusement, il
y a la belle Nina, une veuve qu'il retrouve tous les jours dans le
bus pour le cimetière. Guère mieux lotie, celle-ci peut néanmoins
compter sur sa fille pianiste à la ville et son job de tenancière
d'un débit de «vodka lemon» sur la route...
Réalisme magique
Impressionniste dans sa narration, le film se déroule comme une série
de vignettes et propose surtout de découvrir une région dont les
nouvelles sont rares. Et pour cause: ce village du Caucase est l'un
des nombreux laissés-pour-compte du nouvel ordre mondial. Entre
vodka, le principal héritage du passé, et dollar, la nouvelle monnaie
universelle, ce n'est pas vraiment la joie. Les vieux sont
nostalgiques de l'ex-URSS («Nous n'avions pas la liberté, mais, au
moins, nous avions tout le reste») tandis que les jeunes ne rêvent
que de partir. Mais le cinéaste et son peuple possèdent l'art de
faire contre mauvaise fortune bon coeur. Avec sa fantaisie qui
rappelle le théâtre de l'absurde et le réalisme magique
latino-américain, Vodka Lemon n'est jamais déprimant. C'est à la fois
sa force et sa limite.
Vodka Lemon, de Hiner Saleem (Arménie/France/Italie/Suisse 2003),
avec Romen Avinian, Lala Sarkissian.