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  • Un cas kurde =?UNKNOWN?B?a2Fma2HvZW4uLi4=?=

    Le Figaro Économie
    29 novembre 2004

    Un cas kurde kafkaïen...

    Baudouin BOLLAERT

    « Si la Turquie entre dans l'Union européenne, la frontière
    extérieure de l'UE passera au milieu du Kurdistan ! » Kendal Nezan,
    président de l'Institut kurde de Paris, chercheur émérite qui a
    étudié la physique des particules en France, avant de travailler au
    CNRS puis au Collège de France, sait parfaitement que le Kurdistan
    n'existe pas de façon officielle. Il n'en soulève pas moins une vraie
    question.

    L'Union compte deux pays divisés parmi ses vingt-cinq Etats membres :
    l'Irlande et Chypre. D'autres comptent de fortes minorités, comme la
    Lettonie (avec les Russes) ou la Slovaquie et demain la Roumanie
    (avec les Hongrois). Mais le cas du Kurdistan est d'une autre
    envergure puisque sa population est de l'ordre de 30 millions
    d'habitants et que son territoire revendiqué s'étend sur quatre Etats
    : la Turquie, l'Iran, la Syrie et l'Irak...

    On recense environ 15 millions de Kurdes en Turquie, 8 millions en
    Iran, 4 millions en Irak, un million en Syrie, 500 000 en Arménie et
    dans les républiques de l'ex-URSS, 300 000 au Liban, sans oublier la
    diaspora européenne : 500 000 Kurdes en Allemagne, 150 000 en France,
    100 000 dans les pays du Benelux, 45 000 en Suède, etc. En revanche,
    les Kurdes ne sont que 40 000 à 50 000 aux Etats-Unis ce qui, en
    terme de lobbying, est un gros handicap.

    Qu'est-ce qui les unit ? Moins la langue qui comprend plusieurs
    dialectes et la religion il y a 70 % de sunnites et 30 % d'alévis,
    une branche du chiisme qu'un sentiment de confrérie, voire de tribu.
    « Un Kurde se définit davantage par rapport à l'extérieur qu'à
    l'intérieur », résume d'ailleurs Kendal Nezan.

    En Turquie, une certitude : la candidature d'Ankara à l'Union
    satisfait d'autant plus la population kurde installée dans l'Ouest
    industrialisé du pays comme dans son creuset culturel historique du
    Sud-Est anatolien que son sort s'est sensiblement amélioré depuis
    quelques années grce à la nécessité pour le régime turc de remplir
    les critères de Copenhague.

    Selon Kendal Nezan, 90 % des Kurdes de Turquie espèrent que les
    négociations d'adhésion si le Conseil européen du 17 décembre donne
    son feu vert aboutiront. « Les droits dont nous bénéficions
    maintenant sont tous à mettre au crédit de l'UE et, quand nous serons
    enfin membres, nous espérons que tout va aller mieux », explique
    ainsi un commerçant de Diyarbakir interrogé par l'Agence
    France-Presse.

    Dans sa communication du 6 octobre dernier sur la candidature
    d'Ankara, la Commission de Bruxelles précisait à propos de « la
    protection des minorités et l'exercice des droits culturels »,que la
    Constitution turque avait été « modifiée afin de lever l'interdiction
    concernant l'utilisation de la langue kurde et des autres langues
    (...). Les mesures adoptées dans le domaine des droits culturels ne
    sont qu'un point de départ, ajoutait-elle. Il existe toujours des
    restrictions considérables, notamment en ce qui concerne les
    émissions de radio et télévision et l'enseignement dans les langues
    minoritaires ».

    Kendal Nezan ne dit pas autre chose. Il y a des avancées. Mais ces
    avancées, constate-t-il, sont « symboliques » pour ne pas dire «
    infinitésimales ». Les 45 000 Kurdes qui habitent la Suède, par
    exemple, ont à leur disposition 450 professeurs qui leur enseignent
    leur langue maternelle. Bien davantage proportionnellement qu'en
    Turquie où, en plus, seuls les adultes peuvent suivre les cours ! De
    même, en Irak, deux chaînes de télévision privées émettent des
    émissions en kurde alors que, côté turc, c'est la chaîne d'Etat qui
    s'en charge à dose homéopathique, très tôt le matin, avec des
    programmes essentiellement... touristiques !

    Mais il faut un début à tout. Le climat s'améliore. Et si deux
    rebelles kurdes viennent encore d'être tués, la semaine dernière,
    lors d'un accrochage avec les forces de sécurité dans le sud-est de
    la Turquie, les affrontements entre les militaires turcs et les
    séparatistes de l'ex-Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK),
    rebaptisé Kongra-Gel, ont singulièrement baissé d'intensité.

    La lutte armée du PKK contre les autorités turques a fait environ 37
    000 morts entre 1984 et 1999. Près de 3 500 villages ont été détruits
    et 3 à 4 millions de personnes ont été déplacées. En 1999, les
    rebelles avaient décrété un cessez-le-feu unilatéral après la capture
    au Kenya de leur chef Abdullah Ocalan et sa condamnation à mort
    (peine commuée en prison à vie). Certes, cette trêve a été rompue en
    juin par le Kongra-Gel, mais ce parti extrémiste est loin de
    représenter l'ensemble des Kurdes de Turquie. Si ceux-ci n'ont jamais
    cessé de revendiquer leur identité et leur autonomie, s'ils se sont
    soulevés à plusieurs reprises contre l'autorité centrale (en 1925 et
    1937 notamment), s'ils ont dénoncé devant les instances
    internationales compétentes l'ostracisme du régime d'Ankara à leur
    égard, ils souhaitent en majorité aujourd'hui le dialogue et
    l'apaisement.

    L'Union européenne leur semble le meilleur garant de leurs droits et,
    si modèle il doit y avoir, c'est le modèle en vigueur en Espagne où
    les régions bénéficient d'une large autonomie qui a leur préférence.
    Le rêve d'un Kurdistan enfin réuni ne s'est pas complètement dissipé,
    mais il n'est pas d'actualité. D'autant que beaucoup de Kurdes
    d'origine occupent de hautes fonctions en Turquie : en politique,
    dans la haute administration et même dans l'armée.

    Il n'empêche : pour les Américains, estime Kendal Nezan, les « bons
    Kurdes » sont les Kurdes d'Irak, alors que ceux de Turquie vu les
    liens étroits existant entre Washington et les autorités d'Ankara
    sont des gêneurs. Et, si le projet de « Grand Moyen-Orient », cher au
    président George W. Bush, voyait le jour, les Kurdes d'Irak en
    seraient les principaux bénéficiaires avec l'émergence d'un Kurdistan
    irakien dans un Irak fédéral. Les autres seraient, poursuit M. Nezan,
    écartés des discussions.

    Voilà pourquoi l'Union européenne, si elle accueille la Turquie en
    son sein dans quelques années, se prépare des lendemains kafkaïens...
    D'un côté, une frontière extérieure ô combien délicate à protéger !
    avec l'Irak et, de l'autre, une montée inévitable des revendications
    kurdes face à un pouvoir turc dont l'esprit d'ouverture atteindra
    plus ou moins vite ses limites.

    From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
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