Le Figaro
29 novembre 2004
« Là où on expose le meilleur de l'homme, montrer le pire »;
Sylvia Bourdon
Vianney AUBERT
Dans moins d'un an, au mois d'octobre 2005, pour commémorer les
soixante ans de la découverte des camps de la mort nazis par les
troupes alliées, la Cité des sciences et de l'industrie exposera Les
Ténèbres de l'humanité du peintre allemand Rolf Maria Koller, une
oeuvre monumentale de 42 tableaux et 48 mètres de long qui voyagera
ensuite dans toute l'Europe. A l'origine de ce projet, Sylvia Bourdon
raconte l'histoire de cette entreprise titanesque.
LE FIGARO. Comment vous est venue l'idée d'organiser une exposition
autour de l'oeuvre monumentale de Rolf Maria Koller ?
Sylvia BOURDON. Par hasard. Une vieille tante allemande m'avait
offert le catalogue de l'oeuvre de Koller. Je l'avais regardé
distraitement, et je n'avais pas eu de vrai choc artistique. Plus
tard, quand j'ai pris conscience de la montée de l'antisémitisme en
France, je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose, alors je me
suis souvenu de ce fameux catalogue. Je l'ai cherché fébrilement, et
là quand j'ai commencé à le regarder attentivement, j'ai été submergé
par l'émotion. La grande force de Koller est de peindre la souffrance
sans jamais montrer l'acte qui l'engendre.
Les Ténèbres de l'humanité ont-elle déjà été exposées ?
Une fois, dans une grange spécialement aménagée pour la recevoir près
de Cologne. Depuis, elle est conservée, ironie de l'histoire, dans un
entrepôt du groupe Thyssen, au coeur de la puissance sidérurgique
allemande.
N'est-il pas incongru de la présenter à la Cité des sciences et de
l'industrie à la Villette, espace dédié au progrès scientifique ?
On m'a conseillé d'autres endroits plus propices au recueillement
comme le couvent des Récollets, mais je préférais la Cité des
sciences car c'est un endroit de passage pour la jeunesse et c'est à
elle que je veux m'adresser en priorité. Et puis, je crois que là où
on expose ce que l'homme a fait de mieux, il faut aussi montrer ce
qu'il a fait de pire. Car à travers le génocide juif, je veux
commémorer tous les génocides, ceux du Cambodge, d'Arménie et du
Rwanda. Plus qu'une exposition artistique, c'est un message politique
que je veux faire passer car la « Bête immonde » est toujours là,
prête à ressurgir. Il nous faut reconnaître que nous sommes tous
racistes, xénophobes et intolérants, mais nous devons conserver la
capacité de nous indigner contre nous-mêmes.
Un message que vous voulez porter au-delà des frontières.
Il a fallu dix ans à Koller pour peindre cette oeuvre, il faudra dix
ans pour la montrer. L'inauguration mondiale aura lieu à la Cité des
sciences mais nous voulons la faire voyager dans l'ensemble des pays
du Conseil de l'Europe. Après la France, Les Ténèbres de l'humanité
seront exposées en Allemagne et en Pologne, deux pays qui sont
principalement concernés.
Qu'apporte, selon vous, cette peinture par rapport aux films déjà
diffusés sur la Shoah ?
C'est un complément. Tout ce qui a été montré sous la forme de films
est important, il faut continuer d'ailleurs. En revanche, une oeuvre
d'art excite plus l'imagination qu'une photo ou un film. Le film est
destiné à informer, la peinture est destinée à émouvoir profondément.
Je souhaite mettre en scène cette énorme oeuvre de manière dramatique
afin de remuer les consciences. Je veux que la réaction du public
soit forte, dégoûtée, émue, concernée.
Comment ?
La peinture est dramatique, mais il faut encore l'accentuer. Comme
l'art n'est pas aisément accessible à tout le monde, il faut
l'accompagner par la voix et la musique afin de mettre le spectateur
dans un état où jamais il n'oubliera. Nous sommes dans une société du
spectacle, les gens ne comprennent que cela. Il faut utiliser
décemment les ficelles du spectacle comme savent le faire les
Anglo-Saxons. En France, on préfère accompagner les gens mais moi, je
veux les laisser avoir peur, et avancer dans leur peur.
Un des panneaux de l'oeuvre de Koller, Les Ténèbres de l'humanité.
(DR.)
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
29 novembre 2004
« Là où on expose le meilleur de l'homme, montrer le pire »;
Sylvia Bourdon
Vianney AUBERT
Dans moins d'un an, au mois d'octobre 2005, pour commémorer les
soixante ans de la découverte des camps de la mort nazis par les
troupes alliées, la Cité des sciences et de l'industrie exposera Les
Ténèbres de l'humanité du peintre allemand Rolf Maria Koller, une
oeuvre monumentale de 42 tableaux et 48 mètres de long qui voyagera
ensuite dans toute l'Europe. A l'origine de ce projet, Sylvia Bourdon
raconte l'histoire de cette entreprise titanesque.
LE FIGARO. Comment vous est venue l'idée d'organiser une exposition
autour de l'oeuvre monumentale de Rolf Maria Koller ?
Sylvia BOURDON. Par hasard. Une vieille tante allemande m'avait
offert le catalogue de l'oeuvre de Koller. Je l'avais regardé
distraitement, et je n'avais pas eu de vrai choc artistique. Plus
tard, quand j'ai pris conscience de la montée de l'antisémitisme en
France, je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose, alors je me
suis souvenu de ce fameux catalogue. Je l'ai cherché fébrilement, et
là quand j'ai commencé à le regarder attentivement, j'ai été submergé
par l'émotion. La grande force de Koller est de peindre la souffrance
sans jamais montrer l'acte qui l'engendre.
Les Ténèbres de l'humanité ont-elle déjà été exposées ?
Une fois, dans une grange spécialement aménagée pour la recevoir près
de Cologne. Depuis, elle est conservée, ironie de l'histoire, dans un
entrepôt du groupe Thyssen, au coeur de la puissance sidérurgique
allemande.
N'est-il pas incongru de la présenter à la Cité des sciences et de
l'industrie à la Villette, espace dédié au progrès scientifique ?
On m'a conseillé d'autres endroits plus propices au recueillement
comme le couvent des Récollets, mais je préférais la Cité des
sciences car c'est un endroit de passage pour la jeunesse et c'est à
elle que je veux m'adresser en priorité. Et puis, je crois que là où
on expose ce que l'homme a fait de mieux, il faut aussi montrer ce
qu'il a fait de pire. Car à travers le génocide juif, je veux
commémorer tous les génocides, ceux du Cambodge, d'Arménie et du
Rwanda. Plus qu'une exposition artistique, c'est un message politique
que je veux faire passer car la « Bête immonde » est toujours là,
prête à ressurgir. Il nous faut reconnaître que nous sommes tous
racistes, xénophobes et intolérants, mais nous devons conserver la
capacité de nous indigner contre nous-mêmes.
Un message que vous voulez porter au-delà des frontières.
Il a fallu dix ans à Koller pour peindre cette oeuvre, il faudra dix
ans pour la montrer. L'inauguration mondiale aura lieu à la Cité des
sciences mais nous voulons la faire voyager dans l'ensemble des pays
du Conseil de l'Europe. Après la France, Les Ténèbres de l'humanité
seront exposées en Allemagne et en Pologne, deux pays qui sont
principalement concernés.
Qu'apporte, selon vous, cette peinture par rapport aux films déjà
diffusés sur la Shoah ?
C'est un complément. Tout ce qui a été montré sous la forme de films
est important, il faut continuer d'ailleurs. En revanche, une oeuvre
d'art excite plus l'imagination qu'une photo ou un film. Le film est
destiné à informer, la peinture est destinée à émouvoir profondément.
Je souhaite mettre en scène cette énorme oeuvre de manière dramatique
afin de remuer les consciences. Je veux que la réaction du public
soit forte, dégoûtée, émue, concernée.
Comment ?
La peinture est dramatique, mais il faut encore l'accentuer. Comme
l'art n'est pas aisément accessible à tout le monde, il faut
l'accompagner par la voix et la musique afin de mettre le spectateur
dans un état où jamais il n'oubliera. Nous sommes dans une société du
spectacle, les gens ne comprennent que cela. Il faut utiliser
décemment les ficelles du spectacle comme savent le faire les
Anglo-Saxons. En France, on préfère accompagner les gens mais moi, je
veux les laisser avoir peur, et avancer dans leur peur.
Un des panneaux de l'oeuvre de Koller, Les Ténèbres de l'humanité.
(DR.)
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress