Le Figaro
29 novembre 2004
Djorkaeff : un challenge difficile aux allures de CDD;
Pour sa troisième saison en Angleterre, l'ancien international vit
une période délicate avec Blackburn, soulagé par un succès à Fulham
Dominique PAGNOUD
Avec son bonnet de laine sur la tête et son blouson en toile sur la
poitrine, Youri Djorkaeff se fond facilement dans la population de
Manchester pressée de rentrer chez elle par les durs frimas
d'automne. Malgré ses apparences d'éternel teenager,
l'ex-international arrive théoriquement au terme de sa très honorable
carrière ponctuée par des titres de champion du monde en 1998,
d'Europe en 2000, et, avec les clubs, des trophées tels que la Coupe
de France (Monaco), la Coupe des Coupes (Paris-SG) et la Coupe de
l'UEFA (Inter Milan).
Les vêtements luxueux, les belles voitures, Youri les laisse aux
autres. En souvenir du génocide infligé par les Turcs aux Arméniens
et de la vie difficile de ses grands-parents, tailleurs, contraints
de faire les marchés du côté de Marseille puis de Lyon, il savoure
dans la simplicité, à 36 ans, le temps présent et ses ultimes matches
chez les professionnels de Blackburn Rovers, en Angleterre, un pays
qu'il considère « étonnamment serein pour être en guerre avec l'Irak.
A voir ces Anglais si flegmatiques, nul ne pourrait deviner qu'ils
ont des enfants en danger du côté de Bagdad ».
Ses propres préoccupations concernent des terrains qu'il espère moins
minés pour y tirer des cartouches beaucoup plus pacifiques. Les
toutes dernières ? Actuellement en retrait à cause d'une
microdéchirure au quadriceps droit, Youri Djorkaeff ne l'espère pas
car il a signé, challenge insolite, un contrat de trois mois
seulement, courant jusqu'à la fin de l'année mais en principe
prolongé de quinze jours à la suite de sa récente indisponibilité.
S'il continue à se comporter en leader d'attaque exemplaire, comme il
le fit avant sa blessure, il devrait permettre à son nouveau club,
sorti de la zone de relégation samedi grce à un succès à Fulham
(0-2), de reprendre de l'altitude. Youri pourrait retrouver le
championnat samedi prochain contre Tottenham ou dans quinze jours à
Londres contre Crystal Palace.
Avec enfin, un peu de chance, le fils de Jean, l'international des
années 60, pourra encore humer l'atmosphère mancunienne au printemps
et, pourquoi pas, poursuivre jusqu'à 37, 38, voire 40 ans, une
formidable carrière à l'égal des Baresi, Bergomi, Maldini ou
Virchwood. Après deux saisons à Bolton, succédant à Kaiserslautern,
l'Inter Milan, Paris-SG, Monaco, Strasbourg et Grenoble, soit vingt
années de bons et loyaux services lui ayant valu le surnom de « Snake
», un serpent se faufilant à travers les défenses les plus
hermétiques, il aurait pu tout aussi bien prendre le chemin du Qatar
et rejoindre ses amis champions du monde Leboeuf, Dugarry et Desailly
pour signer un juteux contrat.
La retraite dorée attendra, si elle doit arriver. Actuellement, il la
verrait plutôt du côté de Decines, où, avec son père et ses frères,
Denis et Misha, il bichonne le club arménien de l'UGA, actuellement
en division d'honneur, qu'il voudrait voir évoluer en Ligue 2 d'ici à
six ans. Le présent de ce pigiste se trouve naturellement à
Manchester, la ville où il est installé depuis deux ans et demi avec
femme (Sophie) et enfants (Sacha, 11 ans, Oan, 7 ans, et Angelica, 5
ans) sans oublier Blackburn, à trois quarts d'heure de voiture où
l'ex-sélectionneur du Pays de Galles, Mark Hugues, a insisté pour
l'engager après le départ du coach écossais Graham Souness.
Dans une équipe-multinationale réunissant un Américain (Friedel), un
Italien (Amuroso), un Espagnol (De Pedro), un Slovaque (Gresko), un
Suédois (Johansson), un Norvégien (Pedersen), un Irlandais (Reid),
deux Australiens (Neil et Emerton, un Turc (Tugay) et quand même...
une grosse poignée d'Anglais, le numéro 15 des Rovers a amorcé dans
la douleur son pari un peu fou puisque Blackburn a perdu six fois
pour sept nuls et deux victoires. L'homme dont la carrière approche
les 535 matches tous championnats confondus promet de se racheter
très vite à Ewood Park, le jardin des Rovers, ou à l'extérieur. Comme
d'habitude, il jettera toutes ses forces dans l'une de ces batailles
« made in England », sous la pluie et le froid, devant des tribunes
pleines et chantantes. Le championnat anglais est le plus complet en
Europe, explique-t-il, puisque « plus de la moitié des
présélectionnés tricolores y fourbissent leurs armes. Ici, on
retrouve une envie comparable à celle des gamins dans les cours des
écoles primaires ».
Pour assouvir cette passion, le généreux « neuf et demi » ne cache
pas qu'il faut être doté d'un tempérament bien trempé et faire
abstraction des conditions de jeu. Conscient de la fugacité des bons
moments, le cinquième réalisateur de l'histoire des Bleus avec 28
buts veut s'accrocher à son CDD, fidèle à un enthousiasme qui, à
l'image de son physique, ne s'est pas altéré. Depuis ses débuts, il a
également conservé sa décontraction et sa bonne humeur, conscient
d'exercer l'un des plus beaux métiers du monde. Après des galères il
est resté entre autres sans nouvelles des dirigeants de Bolton lui
ayant donné leur accord verbal pour une prolongation de contrat , il
se réjouit tous les matins d'être bien vivant au milieu de sa petite
famille. Et de pouvoir apprécier un cortège d'excellents souvenirs.
De Kaiserslautern notamment, où son entraîneur Otto Rehagghel l'a
profondément marqué.
« Notre entraîneur devenu champion d'Europe avec la Grèce entretenait
des rapports très humains avec les joueurs. De toute ma carrière
professionnelle, c'est même le seul entraîneur à m'avoir donné le
numéro de son portable. Lors de mon arrivée, il m'a dit : « Si tu as
le moindre problème, tu peux m'appeler de jour comme de nuit. » Tout
le monde l'appréciait dans l'équipe et je comprends qu'il ait été
récompensé cet été au Portugal. »
Naturellement, dans son musée de la mémoire, il accorde une place
particulière au triomphe français du Mondial 98 : « Nous avons formé
pendant un mois et demi un vrai club, soudés, unis dans la souffrance
et dans la réussite. Je crois qu'aujourd'hui l'équipe de France
possède de la qualité, mais elle doit surtout se débarrasser de tout
complexe d'infériorité dans un groupe qui est largement à sa portée.
»
Youri se rappelle aussi avec délectation la remise de sa Légion
d'honneur au palais de l'Elysée. « Nous avions droit à cinq invités
par joueur. Mes parents étaient là, bien sûr, mon oncle Rajak et M.
Moratti (le président de l'Inter Milan, mon club de l'époque) et son
épouse. Je l'ai présenté à M. Chirac : . « Président, voici mon
président », ai-je murmuré avant que M. Chirac se tourne vers lui et
lui dise à son tour : « Maintenant, il va peut-être falloir songer à
nous le rendre. »
29 novembre 2004
Djorkaeff : un challenge difficile aux allures de CDD;
Pour sa troisième saison en Angleterre, l'ancien international vit
une période délicate avec Blackburn, soulagé par un succès à Fulham
Dominique PAGNOUD
Avec son bonnet de laine sur la tête et son blouson en toile sur la
poitrine, Youri Djorkaeff se fond facilement dans la population de
Manchester pressée de rentrer chez elle par les durs frimas
d'automne. Malgré ses apparences d'éternel teenager,
l'ex-international arrive théoriquement au terme de sa très honorable
carrière ponctuée par des titres de champion du monde en 1998,
d'Europe en 2000, et, avec les clubs, des trophées tels que la Coupe
de France (Monaco), la Coupe des Coupes (Paris-SG) et la Coupe de
l'UEFA (Inter Milan).
Les vêtements luxueux, les belles voitures, Youri les laisse aux
autres. En souvenir du génocide infligé par les Turcs aux Arméniens
et de la vie difficile de ses grands-parents, tailleurs, contraints
de faire les marchés du côté de Marseille puis de Lyon, il savoure
dans la simplicité, à 36 ans, le temps présent et ses ultimes matches
chez les professionnels de Blackburn Rovers, en Angleterre, un pays
qu'il considère « étonnamment serein pour être en guerre avec l'Irak.
A voir ces Anglais si flegmatiques, nul ne pourrait deviner qu'ils
ont des enfants en danger du côté de Bagdad ».
Ses propres préoccupations concernent des terrains qu'il espère moins
minés pour y tirer des cartouches beaucoup plus pacifiques. Les
toutes dernières ? Actuellement en retrait à cause d'une
microdéchirure au quadriceps droit, Youri Djorkaeff ne l'espère pas
car il a signé, challenge insolite, un contrat de trois mois
seulement, courant jusqu'à la fin de l'année mais en principe
prolongé de quinze jours à la suite de sa récente indisponibilité.
S'il continue à se comporter en leader d'attaque exemplaire, comme il
le fit avant sa blessure, il devrait permettre à son nouveau club,
sorti de la zone de relégation samedi grce à un succès à Fulham
(0-2), de reprendre de l'altitude. Youri pourrait retrouver le
championnat samedi prochain contre Tottenham ou dans quinze jours à
Londres contre Crystal Palace.
Avec enfin, un peu de chance, le fils de Jean, l'international des
années 60, pourra encore humer l'atmosphère mancunienne au printemps
et, pourquoi pas, poursuivre jusqu'à 37, 38, voire 40 ans, une
formidable carrière à l'égal des Baresi, Bergomi, Maldini ou
Virchwood. Après deux saisons à Bolton, succédant à Kaiserslautern,
l'Inter Milan, Paris-SG, Monaco, Strasbourg et Grenoble, soit vingt
années de bons et loyaux services lui ayant valu le surnom de « Snake
», un serpent se faufilant à travers les défenses les plus
hermétiques, il aurait pu tout aussi bien prendre le chemin du Qatar
et rejoindre ses amis champions du monde Leboeuf, Dugarry et Desailly
pour signer un juteux contrat.
La retraite dorée attendra, si elle doit arriver. Actuellement, il la
verrait plutôt du côté de Decines, où, avec son père et ses frères,
Denis et Misha, il bichonne le club arménien de l'UGA, actuellement
en division d'honneur, qu'il voudrait voir évoluer en Ligue 2 d'ici à
six ans. Le présent de ce pigiste se trouve naturellement à
Manchester, la ville où il est installé depuis deux ans et demi avec
femme (Sophie) et enfants (Sacha, 11 ans, Oan, 7 ans, et Angelica, 5
ans) sans oublier Blackburn, à trois quarts d'heure de voiture où
l'ex-sélectionneur du Pays de Galles, Mark Hugues, a insisté pour
l'engager après le départ du coach écossais Graham Souness.
Dans une équipe-multinationale réunissant un Américain (Friedel), un
Italien (Amuroso), un Espagnol (De Pedro), un Slovaque (Gresko), un
Suédois (Johansson), un Norvégien (Pedersen), un Irlandais (Reid),
deux Australiens (Neil et Emerton, un Turc (Tugay) et quand même...
une grosse poignée d'Anglais, le numéro 15 des Rovers a amorcé dans
la douleur son pari un peu fou puisque Blackburn a perdu six fois
pour sept nuls et deux victoires. L'homme dont la carrière approche
les 535 matches tous championnats confondus promet de se racheter
très vite à Ewood Park, le jardin des Rovers, ou à l'extérieur. Comme
d'habitude, il jettera toutes ses forces dans l'une de ces batailles
« made in England », sous la pluie et le froid, devant des tribunes
pleines et chantantes. Le championnat anglais est le plus complet en
Europe, explique-t-il, puisque « plus de la moitié des
présélectionnés tricolores y fourbissent leurs armes. Ici, on
retrouve une envie comparable à celle des gamins dans les cours des
écoles primaires ».
Pour assouvir cette passion, le généreux « neuf et demi » ne cache
pas qu'il faut être doté d'un tempérament bien trempé et faire
abstraction des conditions de jeu. Conscient de la fugacité des bons
moments, le cinquième réalisateur de l'histoire des Bleus avec 28
buts veut s'accrocher à son CDD, fidèle à un enthousiasme qui, à
l'image de son physique, ne s'est pas altéré. Depuis ses débuts, il a
également conservé sa décontraction et sa bonne humeur, conscient
d'exercer l'un des plus beaux métiers du monde. Après des galères il
est resté entre autres sans nouvelles des dirigeants de Bolton lui
ayant donné leur accord verbal pour une prolongation de contrat , il
se réjouit tous les matins d'être bien vivant au milieu de sa petite
famille. Et de pouvoir apprécier un cortège d'excellents souvenirs.
De Kaiserslautern notamment, où son entraîneur Otto Rehagghel l'a
profondément marqué.
« Notre entraîneur devenu champion d'Europe avec la Grèce entretenait
des rapports très humains avec les joueurs. De toute ma carrière
professionnelle, c'est même le seul entraîneur à m'avoir donné le
numéro de son portable. Lors de mon arrivée, il m'a dit : « Si tu as
le moindre problème, tu peux m'appeler de jour comme de nuit. » Tout
le monde l'appréciait dans l'équipe et je comprends qu'il ait été
récompensé cet été au Portugal. »
Naturellement, dans son musée de la mémoire, il accorde une place
particulière au triomphe français du Mondial 98 : « Nous avons formé
pendant un mois et demi un vrai club, soudés, unis dans la souffrance
et dans la réussite. Je crois qu'aujourd'hui l'équipe de France
possède de la qualité, mais elle doit surtout se débarrasser de tout
complexe d'infériorité dans un groupe qui est largement à sa portée.
»
Youri se rappelle aussi avec délectation la remise de sa Légion
d'honneur au palais de l'Elysée. « Nous avions droit à cinq invités
par joueur. Mes parents étaient là, bien sûr, mon oncle Rajak et M.
Moratti (le président de l'Inter Milan, mon club de l'époque) et son
épouse. Je l'ai présenté à M. Chirac : . « Président, voici mon
président », ai-je murmuré avant que M. Chirac se tourne vers lui et
lui dise à son tour : « Maintenant, il va peut-être falloir songer à
nous le rendre. »