Libération , France
6 octobre 2004
L'UE donne son feu vert à Ankara;
Evènement 2. Turquie
QUATREMER Jean
Pour la Commission, les négociations peuvent débuter. La décision
devra être prise par les chefs d'Etat et de gouvernement le 17
décembre.
Bruxelles de notre correspondant
La Turquie va pouvoir commencer ses négociations d'adhésion à l'Union
européenne. Dans une "recommandation" de huit pages, rédigée par le
commissaire à l'Elargissement, Günter Verheugen, et adoptée
aujourd'hui par la Commission, celle-ci estime que ce pays respecte
"suffisamment les critères politiques de Copenhague", c'est-à-dire la
démocratie et les droits de l'homme, pour espérer pouvoir rejoindre,
à terme, les Vingt-Cinq. Un épais rapport de 187 pages, qui met
l'accent sur l'impressionnant paquet de réformes législatives lancé
par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan depuis deux ans, étaye
cet avis favorable. Enfin une "analyse d'impact", demandée par le
Parlement européen, estime que l'Union ne pourra que sortir gagnante
de cet élargissement éventuel.
Malgré son analyse très positive des changements intervenus en
Turquie, la Commission se garde bien de recommander une date précise
pour l'ouverture des négociations : il reviendra aux chefs d'Etat et
de gouvernement des Vingt-Cinq d'en décider lors de leur sommet des
17 et 18 décembre. "Nous avons fait notre part du boulot", dit-on à
la Commission : "A eux, qui ont tant souhaité que la Turquie adhère,
de décider si les négociations commenceront en 2005, ou après la
ratification du traité constitutionnel, ce qui nous renverrait à fin
2006, début 2007." L'exécutif européen prend cependant soin de
préciser noir sur blanc, et c'est une première dans l'histoire de
l'élargissement, qu'il s'agit d'une "négociation dont l'issue reste
ouverte".
La Commission a en effet prévu une "clause de suspension" des
négociations en cas de violation "sérieuse et répétée" des principes
de la démocratie et des droits de l'homme. Il reviendra au Conseil
des ministres d'en décider, à la majorité qualifiée, sur proposition
de la Commission. La Turquie sera aussi soumise à une évaluation
annuelle, à partir de 2005, afin de s'assurer que les réformes votées
sont effectivement appliquées. "La Croatie, qui commencera à négocier
début 2005, a droit au même traitement, même si son adhésion ne fait
guère de doutes", insiste-t-on à la Commission, histoire qu'Ankara ne
crie pas aux deux poids, deux mesures... Et même si la Turquie ne
goûtera guère cette surveillance rapprochée, l'appréciation que porte
Bruxelles sur les progrès accomplis devrait faire plaisir au
gouvernement de l'AKP, qui voit salué son effort de modernisation.
Consensus. Mais la Commission prend soin de souligner qu'il y a loin
de la coupe aux lèvres : "Il faudra du temps avant que l'esprit des
réformes se retrouve dans le comportement des corps exécutifs et
judiciaires et à travers le pays." De la torture dans les
commissariats, qui n'est plus "systématique", aux violences faites
aux femmes, en passant par les discriminations dont font encore
l'objet les Kurdes ou la corruption, le rapport pointe les
dysfonctionnements de l'Etat de droit en Turquie. C'est pourquoi une
minorité de commissaires aurait aimé que l'exécutif européen se
montre plus dur.
Sans aller jusqu'à un rejet de cette candidature, souhaité par le
Néerlandais Frits Bolkestein ou l'Autrichien Franz Fischler, le
Français Pascal Lamy voulait que la recommandation indique que, en
cas d'échec des négociations, un "partenariat privilégié" pourrait
être proposé, afin de donner un signal politique clair de ce qui se
passerait au cas où Ankara ne jouerait pas le jeu. De même, la
reconnaissance du génocide arménien lui semblait une nécessité.
Enfin, il aurait voulu que la Commission réclame une augmentation du
budget communautaire afin de couvrir le coût de l'adhésion. Mais,
hormis l'Espagnole Loyola de Palacio, la Luxembourgeoise Viviane
Reding, le Chypriote Markos Kyprianou et le Slovaque Jan Figel, la
grande majorité du collège est favorable, sans états d'me, à
l'adhésion. Au pis, Romano Prodi, le président de la Commission,
n'obtiendra pas aujourd'hui le consensus qu'il souhaite afficher sur
la Turquie et devra procéder à un vote sur la recommandation pour
qu'elle soit adoptée.
Repasser le bébé. La Commission n'est pas fchée de repasser le bébé
aux chefs d'Etat et de gouvernement, qui ont précipité le mouvement.
Après avoir reconnu à la Turquie le statut de "pays candidat" en
décembre 1999, ce sont eux qui ont demandé à la Commission, en
décembre 2002, de préparer un rapport pour octobre 2004 afin de
décider si oui ou non l'élargissement à la Sublime Porte pouvait être
engagé. A l'époque, Verheugen et Prodi avaient protesté en vain, en
faisant valoir qu'il ne fallait pas se laisser enfermer dans des
délais trop serrés...
6 octobre 2004
L'UE donne son feu vert à Ankara;
Evènement 2. Turquie
QUATREMER Jean
Pour la Commission, les négociations peuvent débuter. La décision
devra être prise par les chefs d'Etat et de gouvernement le 17
décembre.
Bruxelles de notre correspondant
La Turquie va pouvoir commencer ses négociations d'adhésion à l'Union
européenne. Dans une "recommandation" de huit pages, rédigée par le
commissaire à l'Elargissement, Günter Verheugen, et adoptée
aujourd'hui par la Commission, celle-ci estime que ce pays respecte
"suffisamment les critères politiques de Copenhague", c'est-à-dire la
démocratie et les droits de l'homme, pour espérer pouvoir rejoindre,
à terme, les Vingt-Cinq. Un épais rapport de 187 pages, qui met
l'accent sur l'impressionnant paquet de réformes législatives lancé
par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan depuis deux ans, étaye
cet avis favorable. Enfin une "analyse d'impact", demandée par le
Parlement européen, estime que l'Union ne pourra que sortir gagnante
de cet élargissement éventuel.
Malgré son analyse très positive des changements intervenus en
Turquie, la Commission se garde bien de recommander une date précise
pour l'ouverture des négociations : il reviendra aux chefs d'Etat et
de gouvernement des Vingt-Cinq d'en décider lors de leur sommet des
17 et 18 décembre. "Nous avons fait notre part du boulot", dit-on à
la Commission : "A eux, qui ont tant souhaité que la Turquie adhère,
de décider si les négociations commenceront en 2005, ou après la
ratification du traité constitutionnel, ce qui nous renverrait à fin
2006, début 2007." L'exécutif européen prend cependant soin de
préciser noir sur blanc, et c'est une première dans l'histoire de
l'élargissement, qu'il s'agit d'une "négociation dont l'issue reste
ouverte".
La Commission a en effet prévu une "clause de suspension" des
négociations en cas de violation "sérieuse et répétée" des principes
de la démocratie et des droits de l'homme. Il reviendra au Conseil
des ministres d'en décider, à la majorité qualifiée, sur proposition
de la Commission. La Turquie sera aussi soumise à une évaluation
annuelle, à partir de 2005, afin de s'assurer que les réformes votées
sont effectivement appliquées. "La Croatie, qui commencera à négocier
début 2005, a droit au même traitement, même si son adhésion ne fait
guère de doutes", insiste-t-on à la Commission, histoire qu'Ankara ne
crie pas aux deux poids, deux mesures... Et même si la Turquie ne
goûtera guère cette surveillance rapprochée, l'appréciation que porte
Bruxelles sur les progrès accomplis devrait faire plaisir au
gouvernement de l'AKP, qui voit salué son effort de modernisation.
Consensus. Mais la Commission prend soin de souligner qu'il y a loin
de la coupe aux lèvres : "Il faudra du temps avant que l'esprit des
réformes se retrouve dans le comportement des corps exécutifs et
judiciaires et à travers le pays." De la torture dans les
commissariats, qui n'est plus "systématique", aux violences faites
aux femmes, en passant par les discriminations dont font encore
l'objet les Kurdes ou la corruption, le rapport pointe les
dysfonctionnements de l'Etat de droit en Turquie. C'est pourquoi une
minorité de commissaires aurait aimé que l'exécutif européen se
montre plus dur.
Sans aller jusqu'à un rejet de cette candidature, souhaité par le
Néerlandais Frits Bolkestein ou l'Autrichien Franz Fischler, le
Français Pascal Lamy voulait que la recommandation indique que, en
cas d'échec des négociations, un "partenariat privilégié" pourrait
être proposé, afin de donner un signal politique clair de ce qui se
passerait au cas où Ankara ne jouerait pas le jeu. De même, la
reconnaissance du génocide arménien lui semblait une nécessité.
Enfin, il aurait voulu que la Commission réclame une augmentation du
budget communautaire afin de couvrir le coût de l'adhésion. Mais,
hormis l'Espagnole Loyola de Palacio, la Luxembourgeoise Viviane
Reding, le Chypriote Markos Kyprianou et le Slovaque Jan Figel, la
grande majorité du collège est favorable, sans états d'me, à
l'adhésion. Au pis, Romano Prodi, le président de la Commission,
n'obtiendra pas aujourd'hui le consensus qu'il souhaite afficher sur
la Turquie et devra procéder à un vote sur la recommandation pour
qu'elle soit adoptée.
Repasser le bébé. La Commission n'est pas fchée de repasser le bébé
aux chefs d'Etat et de gouvernement, qui ont précipité le mouvement.
Après avoir reconnu à la Turquie le statut de "pays candidat" en
décembre 1999, ce sont eux qui ont demandé à la Commission, en
décembre 2002, de préparer un rapport pour octobre 2004 afin de
décider si oui ou non l'élargissement à la Sublime Porte pouvait être
engagé. A l'époque, Verheugen et Prodi avaient protesté en vain, en
faisant valoir qu'il ne fallait pas se laisser enfermer dans des
délais trop serrés...