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Turquie : pour un partenariat renforce

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  • Turquie : pour un partenariat renforce

    Le Figaro, France
    05 octobre 2004

    Turquie : pour un partenariat renforcé;
    EUROPE A la veille du rapport de la Commission sur la candidature
    d'Ankara

    Jean-Dominique GIULIANI

    L'Europe ne doit pas claquer la porte à la Turquie, qui souhaite
    officiellement en accepter les règles, les usages et donc la
    civilisation. Nul ne le conteste. Mais la fragile construction
    communautaire ne peut s'élargir sans cesse, surtout hors de ses
    frontières géographiques naturelles. Le bon sens populaire
    n'acceptera jamais que la Turquie devienne le principal pays de
    l'Union européenne disposant, en fonction des règles actuelles, du
    plus grand nombre de voix au conseil des ministres et du plus grand
    nombre de députés européens. Parce que la Turquie n'est tout
    simplement pas le premier pays d'Europe.

    Enserrée dans ces deux contraintes contradictoires, l'UE ne peut se
    contenter d'une politique au fil de l'eau dont on voit bien
    aujourd'hui qu'elle cause nombre de malentendus et qu'elle pourrait,
    finalement, nous conduire à une grave crise avec la Turquie. C'est la
    raison pour laquelle a été évoquée l'hypothèse de proposer à la
    Turquie un « partenariat privilégié », une alliance d'un type
    particulier. Obnubilés par la politique intérieure, les dirigeants
    turcs ont balayé d'un revers de la main ce qui pourrait pourtant être
    la solution la mieux adaptée à leur pays : une véritable union
    économique de la Turquie et de l'Union, un pacte de défense mutuelle,
    un vrai dialogue politique, répondraient exactement aux besoins de la
    situation géopolitique turque.

    Depuis 1963, un accord d'association lie ce pays à l'UE, et, depuis
    1995, la Turquie est officiellement en « union douanière » avec elle.
    A ce titre, quelques maigres institutions ont été créées : Conseil et
    Comité d'association, Commission parlementaire mixte, Comité
    consultatif et Comité d'union douanière. Les experts turcs peuvent
    participer à plus de 23 comités différents et ont choisi d'être
    associés à dix programmes communautaires, tel Socrates pour la
    jeunesse. C'est tout ! Pour quarante et un ans de relations
    d'association, c'est un bien maigre bilan.

    En réalité, l'Union douanière ne concerne que des produits
    industriels ou transformés. Les contingents et les entraves
    techniques aux échanges subsistent. La Turquie est le 7e client de
    l'UE et son 13e fournisseur. Nos échanges économiques ne sont pas à
    la hauteur des ambitions affichées. Le commerce de la France avec la
    Turquie est presque équivalent à celui que nous entretenons avec le
    Maroc ou la Tunisie, à peine supérieur à nos échanges avec le Brésil,
    la Corée du Sud ou le Canada, inférieur à notre commerce avec
    l'Algérie.

    La Turquie a surtout besoin d'une aide au développement lui
    permettant de valoriser ses atouts, qui sont potentiellement
    nombreux. La Commission européenne elle-même a chiffré à 28 milliards
    d'euros par an ce que coûterait l'adhésion de la Turquie,
    c'est-à-dire près du tiers du budget total de l'Union et de la
    totalité des fonds structurels actuels. L'Union européenne a intérêt
    au rattrapage de la Turquie. Un accord de préférence économique
    générale assorti d'aides et d'un désarmement tarifaire et technique
    correspond exactement aux besoins. C'est d'ailleurs ce qui s'est
    passé de facto avec le programme Euro-Méditerranée dont la Turquie a
    reçu la plus grande part, soit 1,6 milliard d'euros entre 1998 et
    2002. Voilà de quoi nourrir le contenu d'un vrai traité spécifique à
    la situation turque.

    Il en va de même en matière de politique étrangère et surtout de
    défense. On sait que la nouvelle Constitution européenne autorise de
    nouveaux développements. Son article 1-41 prévoit une clause de
    défense mutuelle des pays membres de l'Union. Aujourd'hui, l'armée
    turque la première en Europe par les effectifs est le pilier du flanc
    Sud de l'Otan. Elle demeure figée sur cette alliance qui lui permet
    une politique régionale de puissance totalement indépendante des
    intérêts, des pratiques et des missions de l'UE. N'est-il pas temps
    de lui proposer de traduire son engagement européen dans un véritable
    accord de défense ?

    Enfin, la Turquie et l'UE ont besoin de développer un véritable
    dialogue politique. Associée comme candidate aux réunions du Conseil
    européen, la Turquie n'a pas intégré les organes politiques de
    l'Union. Elle n'en fait pas partie, et la vertu pédagogique pour les
    peuples d'Europe de cette union supranationale ne s'est pas diffusée
    dans la population turque. Nous avons besoin de développer avec elle
    un véritable dialogue politique qui devienne une évidence entre nos
    peuples.

    L'Union doit donc proposer à la Turquie un traité spécifique et
    solennel par lequel les deux parties s'allient, définissent leurs
    objectifs de politique étrangère, précisent leurs visions des
    relations internationales, les moyens qu'elles mettent en commun pour
    les atteindre. Et il faut offrir à la société turque un vrai débat
    sur les valeurs qui fondent la vision européenne. Car dépasser et
    assumer son histoire, avec ses erreurs et ses horreurs, est aussi une
    leçon européenne pour le monde. La mémoire fait partie de la
    civilisation. L'affaire du génocide arménien montre qu'un tel
    dialogue entre l'Europe et la société turque est indispensable et
    utile à la cause de l'humanité.

    Cette nouvelle alliance aurait plus de poids dans le monde qu'un
    simple élargissement de l'UE. Elle serait européenne sans
    dévaloriser, et vraisemblablement détruire, les instances politiques
    que nous avons patiemment construites ; elle respecterait cette
    identité dont les Turcs sont si fiers ; elle leur laisserait cette
    souveraineté entière qu'ils auront tant de mal à abandonner.

    C'est la raison pour laquelle la sagesse voudrait que les chefs
    d'Etat et de gouvernement, qui se réuniront le 17 décembre pour
    examiner la candidature turque, décident de demander à la Commission
    d'explorer avec la Turquie toutes les possibilités de rapprochement,
    de l'adhésion à l'alliance privilégiée, ce partenariat renforcé qui
    semble si bien adapté à la situation.

    * Président de la Fondation Robert-Schuman
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