L'Humanité, France
14 octobre 2004
La longue marche de la Turquie ;
Éditorial
par Par Michel Guilloux
* L'approche du sommet de Copenhague a amené Ankara à libérer, en
juin dernier, la députée kurde Leïla Zana, partisane de l'adhésion à
l'UE. *
Un débat aura lieu cet après-midi à l'Assemblée nationale sur
l'ouverture des négociations en vue de l'adhésion de la Turquie à
l'Union européenne. La question est au menu du Conseil des chefs
d'État et de gouvernement européens, le 17 décembre prochain. Le
président de la République a encore rappelé, dimanche, la position
dans laquelle la France est placée. « À tout moment », elle « peut se
retirer, ou peut mettre un veto ou peut refuser » de poursuivre ces
négociations. En toute hypothèse, ce sont les Français qui auront le
dernier mot par la voie du référendum, le cas échéant » et cela, pas
avant dix ou quinze ans.
Il est donc une certaine hypocrisie dans la gesticulation d'une
partie de la droite qui fait mine de découvrir deux mois avant le
prochain sommet ce qui a été acté à Copenhague depuis 2002. On ne
saurait pas plus croire à une amnésie subite des mêmes quant à la
présence de la Turquie dans toutes les institutions européennes ni
qu'un accord d'association lie ce pays à l'Union européenne depuis
1963. Ce n'est pas dans ces colonnes que l'on oubliera les coups
d'État militaires qu'elle a subis, les atteintes à la démocratie,
l'étouffement de la voix des opposants et syndicalistes ou des
intellectuels de gauche, dont l'emprisonnement du grand cinéaste
Yilmaz Güney fut l'emblème, ni la répression contre les Kurdes ou la
partition de Chypre, et encore moins le génocide arménien perpétré en
1915 par l'Empire ottoman. Mais l'on n'a pas oublié non plus les
critères posés dans la capitale danoise il y a deux ans : respect de
la
liberté, de la démocratie, des droits de l'homme, des libertés
fondamentales, de l'État de droit et maintien de la stabilité des
institutions. Les réserves posées par la Commission européenne
respectent ce mandat. Il s'agit donc d'un processus de longue
haleine, mettant la balle dans le camp turc sur chacun de ces points.
On remarquera que pareille approche a déjà amené le régime d'Ankara à
libérer en juin dernier Leïla Zana, partisane de l'adhésion à l'UE.
La députée kurde a encore invité hier son gouvernement à être «
beaucoup plus résolu» dans les réformes.
Seuls, jusqu'à ces derniers jours, Le Pen et Villiers avaient agité
le chiffon xénophobe dans leurs campagnes et affiches. On s'inquiète
de la petite phrase du premier ministre sur le « fleuve musulman ».
Aura-t-il évolué depuis ? On le verra aujourd'hui... Mais dans ce
registre, François Bayrou se distingue. Le dirigeant de l'UDF asseoit
son « non » à l'entrée de la Turquie dans l'Union sur une identité
européenne fondée sur le triptyque « Rome-Athènes-Jérusalem »,
faisant fi du caractère laïque de la constitution turque et du fait
que Jérusalem, si l'on veut aller sur le terrain religieux, est la
terre des trois religions monothéistes : juive, chrétienne et
musulmane. Avec Alain Madelin et Nicolas Sarkozy, il fait partie de
ceux qui défendent le projet de constitution ultra-libérale - que
l'Humanité hebdo publie dans son intégral ce samedi - ouvrant aussi
la voie au communautarisme par nombre de ses articles. Pour eux
l'Europe, c'est à la fois la loi de la jungle et une terre
exclusivement catholique, apostolique et romaine. Dès lors, un refus
préalable à toute négociation sur la Turquie va de pair avec leur «
oui » au texte concocté sous l'égide de Valéry Giscard d'Estaing et
risquerait d'encourager une poussée encore plus forte de l'intégrisme
en Turquie. Ce dernier, rappelons-le, a repris du poil de la bête de
façon sanglante avec les attentats kamikazes d'Istanbul en décembre
dernier. Que les mêmes soient pour l'intervention américaine en Irak
est tout aussi cohérent avec leurs visées politiques.
Au contraire, un processus long et balisé peut s'enclencher dès l'an
prochain. Le mouvement démocratique, progressiste et syndical turc a
tout à y gagner - ainsi que le pays tout entier - avec la solidarité
vigilante de leurs homologues français et européens. La construction
européenne aussi, fondée sur des valeurs de coopération et de
développement. plutôt que sur des critères de concurrence.
14 octobre 2004
La longue marche de la Turquie ;
Éditorial
par Par Michel Guilloux
* L'approche du sommet de Copenhague a amené Ankara à libérer, en
juin dernier, la députée kurde Leïla Zana, partisane de l'adhésion à
l'UE. *
Un débat aura lieu cet après-midi à l'Assemblée nationale sur
l'ouverture des négociations en vue de l'adhésion de la Turquie à
l'Union européenne. La question est au menu du Conseil des chefs
d'État et de gouvernement européens, le 17 décembre prochain. Le
président de la République a encore rappelé, dimanche, la position
dans laquelle la France est placée. « À tout moment », elle « peut se
retirer, ou peut mettre un veto ou peut refuser » de poursuivre ces
négociations. En toute hypothèse, ce sont les Français qui auront le
dernier mot par la voie du référendum, le cas échéant » et cela, pas
avant dix ou quinze ans.
Il est donc une certaine hypocrisie dans la gesticulation d'une
partie de la droite qui fait mine de découvrir deux mois avant le
prochain sommet ce qui a été acté à Copenhague depuis 2002. On ne
saurait pas plus croire à une amnésie subite des mêmes quant à la
présence de la Turquie dans toutes les institutions européennes ni
qu'un accord d'association lie ce pays à l'Union européenne depuis
1963. Ce n'est pas dans ces colonnes que l'on oubliera les coups
d'État militaires qu'elle a subis, les atteintes à la démocratie,
l'étouffement de la voix des opposants et syndicalistes ou des
intellectuels de gauche, dont l'emprisonnement du grand cinéaste
Yilmaz Güney fut l'emblème, ni la répression contre les Kurdes ou la
partition de Chypre, et encore moins le génocide arménien perpétré en
1915 par l'Empire ottoman. Mais l'on n'a pas oublié non plus les
critères posés dans la capitale danoise il y a deux ans : respect de
la
liberté, de la démocratie, des droits de l'homme, des libertés
fondamentales, de l'État de droit et maintien de la stabilité des
institutions. Les réserves posées par la Commission européenne
respectent ce mandat. Il s'agit donc d'un processus de longue
haleine, mettant la balle dans le camp turc sur chacun de ces points.
On remarquera que pareille approche a déjà amené le régime d'Ankara à
libérer en juin dernier Leïla Zana, partisane de l'adhésion à l'UE.
La députée kurde a encore invité hier son gouvernement à être «
beaucoup plus résolu» dans les réformes.
Seuls, jusqu'à ces derniers jours, Le Pen et Villiers avaient agité
le chiffon xénophobe dans leurs campagnes et affiches. On s'inquiète
de la petite phrase du premier ministre sur le « fleuve musulman ».
Aura-t-il évolué depuis ? On le verra aujourd'hui... Mais dans ce
registre, François Bayrou se distingue. Le dirigeant de l'UDF asseoit
son « non » à l'entrée de la Turquie dans l'Union sur une identité
européenne fondée sur le triptyque « Rome-Athènes-Jérusalem »,
faisant fi du caractère laïque de la constitution turque et du fait
que Jérusalem, si l'on veut aller sur le terrain religieux, est la
terre des trois religions monothéistes : juive, chrétienne et
musulmane. Avec Alain Madelin et Nicolas Sarkozy, il fait partie de
ceux qui défendent le projet de constitution ultra-libérale - que
l'Humanité hebdo publie dans son intégral ce samedi - ouvrant aussi
la voie au communautarisme par nombre de ses articles. Pour eux
l'Europe, c'est à la fois la loi de la jungle et une terre
exclusivement catholique, apostolique et romaine. Dès lors, un refus
préalable à toute négociation sur la Turquie va de pair avec leur «
oui » au texte concocté sous l'égide de Valéry Giscard d'Estaing et
risquerait d'encourager une poussée encore plus forte de l'intégrisme
en Turquie. Ce dernier, rappelons-le, a repris du poil de la bête de
façon sanglante avec les attentats kamikazes d'Istanbul en décembre
dernier. Que les mêmes soient pour l'intervention américaine en Irak
est tout aussi cohérent avec leurs visées politiques.
Au contraire, un processus long et balisé peut s'enclencher dès l'an
prochain. Le mouvement démocratique, progressiste et syndical turc a
tout à y gagner - ainsi que le pays tout entier - avec la solidarité
vigilante de leurs homologues français et européens. La construction
européenne aussi, fondée sur des valeurs de coopération et de
développement. plutôt que sur des critères de concurrence.