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Les oublies de l'or noir de la Caspienne

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  • Les oublies de l'or noir de la Caspienne

    Le Monde, France
    07 septembre 2004

    Les oubliés de l'or noir de la Caspienne ;

    En Azerbaïdjan, la population ne tire pas encore profit de la manne
    pétrolière

    par Cécile Bontron

    BAKOU de notre envoyée spéciale

    La flambée des cours du pétrole, en incitant les pays riches à
    rechercher de nouveaux fournisseurs d'or noir, a permis à un petit
    pays comme l'Azerbaïdjan d'émerger sur la scène pétrolière
    internationale. Mais les espoirs de cette république caucasienne,
    présentée à l'époque de la chute de l'URSS comme un nouveau Koweït,
    doivent être revus à la baisse. Surtout pour ses habitants, qui
    pensaient voir la « manne pétrolière » changer leur vie.

    Certes, le pays produit aujourd'hui plus de 300 000 barils/jour, et 1
    million sont prévus pour 2008 ; ses réserves prouvées sont estimées
    entre 7 et 13 milliards de barils (contre 560 millions au Soudan et
    115 milliards en Irak), selon le département américain de l'énergie.
    En 2005, les puits les plus prometteurs, appartenant au champ
    pétrolifère Azeri-Chirag-Gunashli, vont commencer à produire, à temps
    pour profiter du contexte international.

    A NZS, quartier de Bakou, la capitale, les habitants connaissent bien
    l'or noir. Leurs petites maisons de tôle ou de briques, agglutinées
    anarchiquement les unes contre les autres, sont encadrées par les
    deux tours de la seule raffinerie du pays. Ils ont observé le
    redémarrage de l'activité pétrolière, et l'enrichissement du pays
    depuis sept ans.

    Mais à NZS, la pauvreté s'est accrue depuis plusieurs mois, depuis
    que le vol de pétrole, pratiqué par les deux tiers du quartier, est
    sévèrement réprimé. Aujourd'hui, on estime que 49 % des Azéris vivent
    en dessous du seuil de pauvreté, et 17 % dans une pauvreté extrême.
    Le chômage ne dépasse pas les 13 %, mais les rémunérations sont
    faibles : le salaire moyen atteint à peine 70 dollars par mois.

    Le « contrat du siècle », signé en 1994 entre l'Etat azerbaïdjanais
    et un consortium de compagnies pétrolières dont British Petroleum
    (BP), devait inverser le cours des choses. Mais dix ans plus tard,
    personne, au café de la minorité talish (Iraniens d'Azerbaïdjan) de
    NZS, n'a rien vu venir. « Vous savez où est parti cet argent ?
    s'énerve le vieux Ingilab sur sa chaise. Moi non ! ». Devant son thé,
    seule boisson disponible dans l'humble établissement, Aya, son voisin
    de table, répond, cinglant : « Comment crois-tu qu'ils ont construit
    toutes ces belles maisons sur les hauteurs de Bakou ? ». La
    corruption ne sera évoquée qu'à demi-mot, même si personne n'ignore
    ce fléau. L'une des nièces d'Aya vient de refuser un poste
    d'enseignante : on lui demandait 400 dollars pour l'obtenir, alors
    que le salaire mensuel n'excède pas 50 dollars. Les Azéris paient des
    dessous-de-table pour tout service rendu, de la consultation médicale
    à la réparation électrique, en passant par la bonne note scolaire.
    Une pratique établie sous le régime soviétique, qui n'a fait
    qu'empirer.

    L'autre grande plaie du pays, qui le place parmi les quinze plus
    corrompus au monde, selon l'ONG Transparency International, qui lutte
    contre la corruption, est la pratique massive des détournements de
    fonds. Le Comité de protection des droits des travailleurs de
    l'industrie pétrolière (CAOIWRP) estime que ces détournements
    s'élèvent à 50 ou 60 millions de dollars par an dans la seule
    industrie pétrolière.

    Mais la corruption n'explique pas toute la déception causée par le «
    contrat du siècle » à NZS. Depuis 1994, aucun nouveau gisement n'a
    été découvert. Le pays va bien connaître un boom pétrolier, mais sa
    production s'apparentera plus à celle de la Norvège qu'à celle du
    Koweït. Mais si le royaume nordique a su investir ses revenus pour
    développer les autres secteurs de son économie, l'Azerbaïdjan a
    négligé les activités non pétrolières, un syndrome que les
    spécialistes appellent le « dutch disease » (« la maladie hollandaise
    », observée aux Pays-Bas à la suite de la découverte des gisements de
    gaz naturel). L'or noir dépasse déjà les 27 % du produit intérieur
    brut (PIB) et les économistes prévoient que sa part atteindra les 75
    % en 2010, au maximum de la production.

    Cette dépendance au pétrole peut s'avérer dangereuse pour le pays,
    car non seulement ses revenus sont indexés sur la fluctuation du prix
    du baril, mais encore l'industrie pétrolière est peu demandeuse de
    main-d'oeuvre. Entre 1995 et 2000, alors que celle-ci fournissait 9
    000 emplois supplémentaires en Azerbaïdjan, le secteur non pétrolier
    en perdait 110 000. L'économie ne s'est pas relevée de la
    désorganisation, de la perte des infrastructures et de
    l'hyperinflation du début des années 1990. Un exemple : la production
    de textile de 2001 équivalait à 2,2 % de celle de 1990 !

    L'Etat a bien promis d'utiliser les revenus du pétrole, accumulés
    dans le Sofaz (State Oil Fund of the Republic of Azerbaïdjan), pour
    aider la population réfugiée (environ 10 % des Azéris, victimes de la
    guerre avec l'Arménie) et relancer le secteur non pétrolier. Mais si
    des maisons ont été bâties, l'argent débloqué par le Sofaz a d'abord
    servi au BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan), l'oléoduc qui doit rejoindre la
    Turquie en passant par la Géorgie pour éviter la Russie. Il entrera
    en fonction en 2005, et devrait à terme transporter un million de
    barils/jour.

    Aya, l'ancien chauffeur vivotant aujourd'hui avec 1,5 euro à 3,5
    euros par jour selon les aléas de son commerce improvisé, n'a aucune
    rancoeur pour ces étrangers qui prennent le pétrole azéri. « S'ils en
    ont besoin, et qu'ils le paient... », dit-il, gardant toujours
    l'espoir que l'or noir l'arrachera un jour à sa misère.
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