Le Figaro, France
Mardi 13 Avril 2005
Plus d'un million de victimes ont péri dans cette tragédie dont on
commémore le 90e anniversaire
Arte/ Le monde aveugle au massacre arménien
Isabelle Courty
A quelques jours de la commémoration du quatre-vingt-dixième
anniversaire du génocide arménien, le film de Laurence Jourdan
diffusé ce soir sur Arte, paraît essentiel à la compréhension de
cette tragédie. Le 24 avril 1915 marque, en effet, le début des
massacres et des déportations qui décimeront près des deux tiers des
Arméniens de Turquie. En 1916, on compte plus d'un million de
victimes.
D'une grande clarté malgré la densité des informations, le
documentaire remonte jusqu'aux premiers massacres commis pendant les
précédentes décennies et restitue le contexte géopolitique de
l'époque. Pourquoi l'Empire ottoman a-t-il décidé de venir à bout de
ce peuple ? Quelle était la réalité sociale et politique des
chrétiens de cette région ? Quelles étapes ont conduit les
nationalistes Jeunes-Turcs à leurs déportations massives ? Réalisant
un travail considérable sur les archives (photos exclusives provenant
de fonds publics et privés, films, cartes postales...), la
réalisatrice déroule le fil de l'histoire de ce génocide.
Pour mieux saisir la réalité de la période 1915-1916, elle a eu
l'idée de se plonger dans les précieuses archives diplomatiques.
Observateurs privilégiés, les diplomates allemands et américains en
poste à l'époque témoignent de l'ampleur de la tragédie qui se
déroule sous leurs yeux. Leurs rapports sont édifiants. «Il s'agit de
rien moins que la déportation de toute la population arménienne. Il y
aurait environ 60 000 Arméniens dans cette province et environ un
million dans l'ensemble des six autres. Tous doivent être expulsés,
entreprise probablement sans précédent dans l'histoire», écrivait
Leslie Davis, consul américain à Kharpout. Comment ne pas réagir aux
lettres du consul allemand à Alep ? «L'Euphrate commence à charrier
des cadavres de plus en plus nombreux. Cette fois, ce sont
principalement des femmes et des enfants. N'y a-t-il rien à faire
pour mettre un terme à cette horreur ?» Sans doute y avait-il quelque
chose à faire. Mais la communauté internationale, plongée dans le
contexte de Première Guerre mondiale et soucieuse de ménager ses
intérêts économiques, reste sourde aux cris d'alarmes de ses
représentants. Résultat, plus d'un million de victimes. Les récits
saisissants des rares survivants ponctuent aussi le documentaire et
témoignent de la violence des massacres, les marches forcées jusque
dans le désert, les viols, l'épuisement, les maladies. Et toujours
cette question qui hante les consciences : «Quelle était notre faute
?»
Laurence Jourdan se concen tre avec beaucoup de précision sur
l'histoire du génocide et n'évoque pas la question de sa
reconnaissance par les autres pays. Un point qu'elle a pu aborder
dans un DVD* lors d'un entretien avec l'historien et spécialiste du
sujet, Yves Ternon. Ensemble, ils reviennent sur cette question
brûlante et sur les raisons qui poussent la Turquie à refuser,
aujourd'hui encore, de reconnaître l'existence du génocide. Un film
indispensable.
* Le Génocide arménien, Edition la Compagnie des phares et balises
«LE GÉNOCIDE ARMÉNIEN», Arte, 20 h 45
Mardi 13 Avril 2005
Plus d'un million de victimes ont péri dans cette tragédie dont on
commémore le 90e anniversaire
Arte/ Le monde aveugle au massacre arménien
Isabelle Courty
A quelques jours de la commémoration du quatre-vingt-dixième
anniversaire du génocide arménien, le film de Laurence Jourdan
diffusé ce soir sur Arte, paraît essentiel à la compréhension de
cette tragédie. Le 24 avril 1915 marque, en effet, le début des
massacres et des déportations qui décimeront près des deux tiers des
Arméniens de Turquie. En 1916, on compte plus d'un million de
victimes.
D'une grande clarté malgré la densité des informations, le
documentaire remonte jusqu'aux premiers massacres commis pendant les
précédentes décennies et restitue le contexte géopolitique de
l'époque. Pourquoi l'Empire ottoman a-t-il décidé de venir à bout de
ce peuple ? Quelle était la réalité sociale et politique des
chrétiens de cette région ? Quelles étapes ont conduit les
nationalistes Jeunes-Turcs à leurs déportations massives ? Réalisant
un travail considérable sur les archives (photos exclusives provenant
de fonds publics et privés, films, cartes postales...), la
réalisatrice déroule le fil de l'histoire de ce génocide.
Pour mieux saisir la réalité de la période 1915-1916, elle a eu
l'idée de se plonger dans les précieuses archives diplomatiques.
Observateurs privilégiés, les diplomates allemands et américains en
poste à l'époque témoignent de l'ampleur de la tragédie qui se
déroule sous leurs yeux. Leurs rapports sont édifiants. «Il s'agit de
rien moins que la déportation de toute la population arménienne. Il y
aurait environ 60 000 Arméniens dans cette province et environ un
million dans l'ensemble des six autres. Tous doivent être expulsés,
entreprise probablement sans précédent dans l'histoire», écrivait
Leslie Davis, consul américain à Kharpout. Comment ne pas réagir aux
lettres du consul allemand à Alep ? «L'Euphrate commence à charrier
des cadavres de plus en plus nombreux. Cette fois, ce sont
principalement des femmes et des enfants. N'y a-t-il rien à faire
pour mettre un terme à cette horreur ?» Sans doute y avait-il quelque
chose à faire. Mais la communauté internationale, plongée dans le
contexte de Première Guerre mondiale et soucieuse de ménager ses
intérêts économiques, reste sourde aux cris d'alarmes de ses
représentants. Résultat, plus d'un million de victimes. Les récits
saisissants des rares survivants ponctuent aussi le documentaire et
témoignent de la violence des massacres, les marches forcées jusque
dans le désert, les viols, l'épuisement, les maladies. Et toujours
cette question qui hante les consciences : «Quelle était notre faute
?»
Laurence Jourdan se concen tre avec beaucoup de précision sur
l'histoire du génocide et n'évoque pas la question de sa
reconnaissance par les autres pays. Un point qu'elle a pu aborder
dans un DVD* lors d'un entretien avec l'historien et spécialiste du
sujet, Yves Ternon. Ensemble, ils reviennent sur cette question
brûlante et sur les raisons qui poussent la Turquie à refuser,
aujourd'hui encore, de reconnaître l'existence du génocide. Un film
indispensable.
* Le Génocide arménien, Edition la Compagnie des phares et balises
«LE GÉNOCIDE ARMÉNIEN», Arte, 20 h 45