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PARIS: Intellectuels turcs s'emeuvent d'une montee du nationalisme

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    Des intellectuels turcs s'émeuvent d'une "montée du nationalisme"

    LE MONDE (Paris)
    12.04.2005

    Par Marie Jégo

    Alarmés par ce qu'ils décrivent comme une "montée du nationalisme" en
    Turquie, deux cents intellectuels ont publié, lundi 11 avril, dans les
    journaux turcs une lettre ouverte dénonçant les entraves faites au
    "processus de paix et de démocratisation" du pays, qui entamera le 3
    octobre des négociations avec l'Union européenne.

    Les musiciens Zulfi Livaneli et Senar Yurdatapan, l'écrivain Murat
    Belge, l'acteur Halil Ergun, les journalistes Mehmet Ali Birand et
    Oral Calislar, le secrétaire général de la Fondation des droits de
    l'homme Yavuz Önen et beaucoup d'autres y mettent en garde les
    autorités contre "l'hystérie collective née du nationalisme turc et
    kurde", une allusion aux tensions qui ont surgi récemment en Turquie
    entre les deux communautés.

    Tout a commencé le 20 mars à Mersin, ville kurde de Turquie, lorsque,
    sur fond de célébration du Nevroz (le Nouvel An kurde), trois
    adolescents kurdes ont tenté, devant des caméras, de mettre le feu au
    drapeau turc. Si les jeunes trublions (de 12 à 14 ans), écroués
    quelques jours, ont confié à leur libération avoir voulu "passer à la
    télé", l'outrage est constitué. D'autant que l'état-major de l'armée
    dénonce, dans un communiqué, "un acte de trahison" dirigé contre le
    peuple turc "par de soi-disant citoyens".

    La presse s'empare alors du sujet, les partis en appellent au
    patriotisme de la population. En quelques jours, la rhétorique
    nationaliste s'emballe, la fièvre du drapeau gagne. D'Istanbul à
    Erzurum, l'emblème national - croissant et étoile blanches sur fond
    rouge - est déployé partout: aux balcons, sur les voitures, aux
    devantures des magasins.

    "ON BRÛLE LE DRAPEAU !"

    Deux semaines plus tard à Trabzon, une ville du littoral de la mer
    Noire, c'est aux cris de "on brûle le drapeau !" qu'une foule de 2 000
    personnes - arrivées prestement sur les lieux après avoir été
    prévenues par SMS - va prendre en chasse cinq militants de Tayad, une
    organisation liée à l'extrême gauche qui défend les droits des
    détenus, occupés à distribuer des tracts dans la rue.

    Jetés à terre, roués de coups de pied, les militants n'évitent le
    lynchage que grce à la présence d'un fourgon blindé des forces de
    police dans lequel ils se réfugient. Leurs camarades, qui tentent
    d'organiser une conférence de presse quelques jours plus tard,
    dimanche 10 avril, sont à leur tour molestés. "Ici, on n'est pas à
    Mersin !", expliquera l'un des assaillants.

    Ce climat de vindicte populaire est encouragé car les agresseurs
    agissent en toute impunité, déplore la lettre ouverte. Ainsi, aucun
    des auteurs des agressions perpétrées à Trabzon n'a été mis en cause
    tandis que les cinq victimes - les militants de Tayad - sont
    aujourd'hui sous les verrous.

    Et si les réactions de la population à l'incident de Mersin "ont
    dérapé vers le racisme et le nationalisme", c'est "avec le soutien des
    officines de l'Etat", expliquent les intellectuels, qui font appel au
    "bon sens" des autorités.

    L'équipe au pouvoir, celle du premier ministre Recep Tayyip Erdogan,
    dont l'objectif affiché est de rejoindre la famille européenne,
    restera-t-elle sans réaction ? Les événements de Trabzon ont été
    passés sous silence. Aucune réaction non plus un mois plus tôt
    lorsqu'un sous-préfet de Sutculer (région d'Isparta, au sud-ouest) a
    ordonné la destruction de tous les livres de l'écrivain Orhan
    Pamuk. Si rien ne fut finalement détruit, c'est avant tout parce que
    les librairies et les bibliothèques de la région n'en avaient
    aucun. Pour finir, une chaîne de la télévision locale lança un appel
    pour retrouver une jeune étudiante qui avait déclaré avoir en sa
    possession un livre de l'écrivain.

    De quel crime Orhan Pamuk est-il donc coupable ? D'avoir déclaré à un
    journal suisse qu'"un million d'Arméniens et 30 000 Kurdes ont été
    tués en Turquie". Comme la question du drapeau, objet d'un consensus
    qui confine à l'hystérie, la question arménienne, tout comme celle des
    Kurdes ou celle de Chypre, sont autant de "causes nationales" qui ne
    souffrent pas de remise en cause.

    C'est dans cette atmosphère d'hystérie que le Parlement turc s'apprête
    à discuter, le 20 avril, des "mesures à prendre" pour contrer la
    commémoration par les Arméniens du génocide de plus d'un million des
    leurs, il y a quatre-vingt-dix ans.


    article paru dans l'édition du 13.04.2005
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