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Trace indelebile dans l'histoire turque; Armenie

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  • Trace indelebile dans l'histoire turque; Armenie

    L'Humanité, France
    23 avril 2005

    Trace indélébile dans l'histoire turque;
    Arménie

    par Gérard Devienne

    à partir du 24 avril 1915, des dizaines de milliers de citoyens
    arméniens de l'ex-empire ottoman ont été massacrés ou déportés.
    Depuis, les gouvernements turcs ont tenté de cacher cette monstrueuse
    réalité.


    Perpétré il y a quatre-vingt-dix ans, le premier génocide du XXe
    siècle, dont fut victime le peuple arménien de l'empire ottoman,
    s'inscrit comme une tache indélébile dans l'histoire de la Turquie.
    Les faits remontant à 1915-1920 ont été analysés, décortiqués,
    archivés, reconnus par les historiens et les appareils politiques de
    la plupart des États. Las ! tous les gouvernements qui se sont
    succédé à Ankara jouent la carte de la négation. Il convient en cette
    date anniversaire de rouvrir une des pages les plus tragiques de
    l'histoire afin de rappeler à la Turquie ses devoirs.
    En 1914, le Parti Jeune-Turc, soucieux de btir un État moderne sur
    les ruines de l'empire ottoman, prend les rênes du pouvoir. Il s'agit
    de créer alors une nouvelle classe moyenne spécifiquement turque.
    L'idée de spolier la bourgeoisie arménienne et grecque, qui détient
    les clés de l'économie, s'accompagne d'une idéologie de «
    purification ethnique », que justifierait la « trahison » des sujets
    arméniens au profit de la Russie, au moment où éclate la Première
    Guerre mondiale. À partir du 24 avril 1915, les conscrits arméniens
    sont systématiquement massacrés, puis les intellectuels et les hommes
    gés de plus de douze ans, soit environ 300 000 personnes. Et vient
    le tour des femmes et des enfants, qui seront déportés vers l'est et
    le sud-est. En cours de route, des « filtres » situés dans des lieux
    sauvages sont le thétre de tueries dues à des mercenaires, les «
    tchétés », Tcherkesses et Tchétchènes de l'ancienne armée ottomane,
    parfois à des montagnards kurdes. Les récits de survivants témoignent
    de l'horreur absolue de ce plan élaboré avec soin et exécuté avec
    zèle par les administrations provinciales des « villayets ». Ceux qui
    ne sont pas égorgés ou brûlés périssent de faim, de soif, de
    maladies. Moins de 20 % arriveront dans les déserts syriens où se
    dressent des camps tel celui de Der-Zor où ils seront exterminés. Le
    bilan de ce génocide est de 1 300 000, auxquels il faudra ajouter
    plus de 200 000 nouvelles victimes aux marges de la Turquie dans les
    années qui suivent. Le plan des dirigeants jeunes-turcs d'éradiquer
    la culture arménienne d'Asie mineure (les pogromes anti-arméniens à
    la fin du XIXe, puis en 1908 qui firent 300 000 morts firent figure
    de répétition) est achevé en 1918, sans que les grandes puissances
    belligérantes aient tenté d'y mettre un terme.
    Depuis cette époque, les gouvernements turcs ont tenté de cacher
    cette réalité, en forgeant une histoire dispensée dans les écoles et
    universités, une version épurée où les faits sont occultés, le plus
    souvent, falsifiés : on y fait état, évoquant les actes désespérés
    des résistants arméniens, de « massacres de Turcs ». Or les sources
    abondent qui ont permis aux historiens d'écrire et de décrire des
    faits corroborés par une multitude de récits de rescapés, de témoins
    tels des bergers nomades ayant assisté aux tueries, les documents
    envoyés par les ambassades occidentales, les documents de l'Église
    arménienne considérée comme partie civile dans le procès des
    dirigeants jeunes-turcs en 1919 et qui eut accès aux pièces de
    l'instruction.
    Mustapha Kemal, Attaturk, fera lui-même mention de la responsabilité
    du Parti Jeune-Turc dans les massacres de Kurdes et d'Arméniens
    lorsqu'il décidera de se débarrasser des gêneurs. Le « père de la
    Turquie moderne » adoptera ensuite la négation vis-à-vis du génocide
    des Arméniens.
    L'attitude des gouvernements de la Turquie ne laisse pas de
    surprendre et de choquer. Pourquoi ce pays n'a-t-il pas agi comme
    l'Allemagne demandant pardon pour la Shoah ? La question des
    indemnisations et de la rétrocession des territoires majoritairement
    peuplés d'Arméniens avant 1915 peut-elle faire obstacle au droit des
    descendants des victimes à faire leur deuil et à la vérité historique
    d'être connue ? Les dirigeants turcs semblent le penser. N'ont-ils
    pas depuis quatre-vingt-dix ans condamné les archives aux chercheurs,
    puni les contrevenants à la loi du silence, comme l'éditeur Ragip
    Zarakolu, régulièrement poursuivi pour publier des ouvrages sur le
    génocide, comme Taner Akçam, obligé d'aller enseigner à l'étranger
    l'histoire réelle de son pays, ou comme l'écrivain Orhan Pamuk,
    menacé par les milieux extrémistes et insulté dans la presse, comme
    avant lui le Nazim Hikmet, poète exilé qui évoquait le génocide dans
    les Romantiques.
    Combien de temps encore la Turquie restera-t-elle en marge des
    nations, si on considère que les plus grandes, à l'exception notable
    des États-Unis et d'Israël, ont officiellement inscrit dans les
    textes la réalité du premier génocide du XXe siècle (dans le sillage
    de l'Uruguay en 1965, le Parlement européen en 1987, la Russie en
    1995 ou la France en 2001 l'ont fait) ?
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