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Ankara refuse d'assumer le genocide des Armeniens

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  • Ankara refuse d'assumer le genocide des Armeniens

    Le Figaro, France
    23 avril 2005

    Ankara refuse d'assumer le génocide des Arméniens;
    TURQUIE Le 24 avril marque le 90 e anniversaire des massacres
    perpétrés à partir de 1915 dans l'Empire ottoman

    Istanbul : Marie-Michèle Martinet


    Les Arméniens commémorent dimanche le génocide d'environ 1 million de
    leurs compatriotes sous l'Empire ottoman, de 1915 à 1922. Ankara, qui
    assure qu'il n'y a pas eu de plan concerté pour massacrer la
    population arménienne, refuse de reconnaître le génocide. La
    perspective de l'ouverture, le 3 octobre, de négociations d'entrée de
    la Turquie dans l'Union européenne, remet à l'ordre du jour ce grave
    contentieux. Plusieurs pays, dont la France où vit la plus grande
    communauté arménienne d'Europe, exhortent la Turquie à assumer son
    passé.


    Même si la Turquie est prête à quelques avancées discrètes sur le
    terrain diplomatique avec l'Arménie voisine, elle n'est pas disposée
    à faire son mea culpa sur les massacres des Arméniens qui, en 1915,
    constituaient dans l'Empire ottoman une importante minorité
    chrétienne. Plus l'Europe insiste pour dire l'importance que revêt à
    ses yeux la reconnaissance du génocide, plus Ankara se raidit dans un
    refus proche du déni. Quatre-vingt-dix ans après le début des
    massacres et déportations forcées, pendant lesquels environ un
    million d'Arméniens ont trouvé la mort, la Turquie refuse de tenir
    compte des récits concordants de diplomates ou de missionnaires qui
    témoignèrent des exactions. Les relations entre Ankara et Erevan en
    souffrent. En dépit d'un désir réciproque de renouer le contact, la
    frontière commune reste étanche. Par l'intermédiaire de son
    ambassadeur à Tbilissi (Géorgie), Ankara vient de faire un pas
    timide. Elle a invité l'Arménie à s'associer à une commission mixte
    qui aurait libre accès aux archives des deux pays pour enquêter sur
    les massacres. Cela n'a pas empêché le journal arménien Agos, publié
    conjointement en turc et en arménien à Istanbul, de parler d'un
    «dialogue de sourds». De la même façon que le premier ministre, Recep
    Tayyip Erdogan, balayait récemment d'un revers de manche toute
    problématique kurde en évoquant une question «purement imagi naire»,
    le ministre des Affaires étrangères, Abdullah Gül, a évacué le
    problème arménien, en affirmant que le génocide avait été «inventé
    par la diaspora».

    Depuis plusieurs semaines, la presse turque a publié de nombreux
    documents, parmi lesquels des témoignages d'Arméniens repentis
    racontant, photos à l'appui, comment ils ont eux-mêmes massacré des
    Turcs, après avoir tenté d'assassiner le Sultan Abdulhamid II en
    1905. Des «experts», comme le professeur autrichien Erich Feigle,
    invité à s'exprimer sur les «réalités historiques des relations
    turco-arméniennes», expliquent que le public est «induit en erreur au
    moyen d'incidents imaginaires et de chiffres erronés». Minoritaires,
    certains historiens turcs tentent pourtant d'analyser les blocages
    qui empêchent la Turquie d'assumer son passé. Halil Berktay, qui
    enseigne à l'université Sabanci d'Istanbul, a montré comment le
    nationalisme turc, déjà actif, selon lui, en 1915, avait joué un rôle
    majeur dans l'émergence de la violence. Comme pour illustrer ce
    propos, le romancier Orhan Pamuk a été dénoncé pour avoir, dans un
    entretien accordé à un magazine suisse, évoqué le million de victimes
    du génocide arménien, ainsi que les 30 000 Kurdes morts de 1984 à
    1999. Attaqué dans la presse nationaliste, Orhan Pamuk a été pris à
    partie lors de manifestations agressives, amenant le Parlement
    européen à exprimer son malaise et à demander au gouvernement
    d'Ankara de faire cesser cette campagne contre l'écrivain. Pour la
    journaliste arménienne Karin Karakasli, du journal Agos, ce ne sont
    pas les batailles de chiffres sur le nombre de victimes qui
    permettront de faire le deuil du passé. «La question des archives
    détenues par les uns ou par les autres ne peut rien régler, car tout
    a déjà été publié, dit-elle. Chacun jette à la figure de l'autre ses
    mensonges et ses vérités. Cela ne sert qu'à alimenter le conflit.» Le
    rédacteur en chef d' Agos, Hrant Dink, qui joue le rôle de
    porte-parole des 50 000 Arméniens de Turquie, est favorable à la
    candidature du pays à l'UE, meilleure chance, selon lui, d'une plus
    grande démocratisation. Récemment invité par le Parlement européen,
    il a jugé contre-productif de poser comme préalable une
    reconnaissance du génocide par la Turquie. Cependant, l'ouverture
    vers l'Europe, portée par le gouvernement Erdogan et les démocrates
    turcs, ne fait pas l'unanimité en Turquie. Les manifestations
    nationalistes qui se sont déroulées ce mois-ci pour défendre le
    drapeau national, que de jeunes Kurdes avaient tenté de brûler lors
    du nouvel an kurde, à la fin mars, ont parfois pris l'allure de
    démonstrations d'hostilité à l'Europe et à ses valeurs. A Trabzon,
    cinq personnes qui distribuaient des tracts favorables à un
    assouplissement des conditions de détention dans les prisons ont été
    prises à parti. Accusées, sans fondement, d'avoir tenté à leur tour
    de brûler le drapeau turc, elles ont échappé de justesse au lynchage
    par la foule. Dans ce contexte tendu, la politique pro européenne
    d'Erdogan devient délicate. La reconnaissance du génocide arménien
    n'apparaît pas, loin de là, comme une priorité du calendrier
    gouvernemental. Cependant, la journaliste Karin Karakasli refuse de
    désespérer : «Même si je suis parfois inquiète, je sais aussi qu'il y
    a eu ces dernières années de réels progrès. Et je veux songer à
    l'avenir.» A la question de savoir ce qu'elle fera dimanche, elle
    répond simplement qu'elle ira à l'église. «Pour prier pour les morts,
    soupire-t-elle. Et aussi pour les vivants.»
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