Le Figaro, France
23 avril 2005
Responsabilité historique;
Éditorial
par Pierre Rousselin
Le quatre-vingt-dixième anniversaire du génocide arménien doit être
l'occasion de rappeler à la Turquie qu'il lui faudra reconnaître
pleinement sa responsabilité dans les événements de 1915, si elle
veut, un jour, être acceptée en Europe. Forte de quelque 350 000
membres, la communauté arménienne de France est la plus nombreuse à
l'étranger après celle établie aux Etats-Unis. Elle est aussi un
modèle d'intégration réussie. Constituée pour l'essentiel de rescapés
du génocide et de leurs descendants, elle a toujours été aux
avant-postes du combat pour que le devoir de mémoire soit effectué en
Turquie, comme il l'a été en France et en Allemagne à propos des
drames de la Seconde Guerre mondiale. La visite à Paris du président
Robert Kotcharian, en ce jour anniversaire, et la gerbe qu'il a
déposée avec Jacques Chirac pour honorer les victimes du génocide ont
une forte valeur symbolique. Ces événements montrent que notre
diplomatie, longtemps réticente à indisposer Ankara, se conforme
pleinement au vote du Parlement qui, en 2001, a reconnu le génocide.
Quatre-vingt-dix ans après, le devoir de mémoire est d'autant plus
urgent que l'Union européenne entamera le 3 octobre avec la Turquie
des négociations d'adhésion. Ces pourparlers s'ouvriront sans que les
critères de Copenhague aient retenu la reconnaissance du génocide
arménien comme une condition préalable. La France est dans son rôle
lorsqu'elle insiste pour qu'Ankara veille à refermer définitivement
les blessures de l'Histoire.
Confronté à un nationalisme très vif, le gouvernement proeuropéen
d'Erdogan est peu pressé de le faire, même si de timides avancées ont
été tentées. Le Parlement turc a entamé un débat sans précédent sur
l'attitude à adopter face aux exigences arméniennes. Ankara a proposé
à Erevan la création d'une commission conjointe afin d'enquêter sur
les massacres de 1915. Des historiens et des intellectuels turcs
commencent à mettre en doute le dogme officiel qui veut que
l'administration ottomane n'ait jamais ordonné une extermination des
populations arméniennes, accusées d'avoir rejoint l'ennemi russe. En
France, l'anniversaire du génocide est l'occasion pour la communauté
arménienne de se faire entendre. C'est bien normal. Comme il est
normal que cette communauté encore meurtrie soit très majoritairement
opposée à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. En cette
période de confusion dans le débat politique autour du référendum du
29 mai, il ne faudrait pas que les commémorations soient détournées
de leur objet. Il ne faudrait pas que la souffrance passée des
victimes du génocide ne serve qu'à alimenter les calculs de ceux qui
font campagne pour le non à la Constitution européenne.
23 avril 2005
Responsabilité historique;
Éditorial
par Pierre Rousselin
Le quatre-vingt-dixième anniversaire du génocide arménien doit être
l'occasion de rappeler à la Turquie qu'il lui faudra reconnaître
pleinement sa responsabilité dans les événements de 1915, si elle
veut, un jour, être acceptée en Europe. Forte de quelque 350 000
membres, la communauté arménienne de France est la plus nombreuse à
l'étranger après celle établie aux Etats-Unis. Elle est aussi un
modèle d'intégration réussie. Constituée pour l'essentiel de rescapés
du génocide et de leurs descendants, elle a toujours été aux
avant-postes du combat pour que le devoir de mémoire soit effectué en
Turquie, comme il l'a été en France et en Allemagne à propos des
drames de la Seconde Guerre mondiale. La visite à Paris du président
Robert Kotcharian, en ce jour anniversaire, et la gerbe qu'il a
déposée avec Jacques Chirac pour honorer les victimes du génocide ont
une forte valeur symbolique. Ces événements montrent que notre
diplomatie, longtemps réticente à indisposer Ankara, se conforme
pleinement au vote du Parlement qui, en 2001, a reconnu le génocide.
Quatre-vingt-dix ans après, le devoir de mémoire est d'autant plus
urgent que l'Union européenne entamera le 3 octobre avec la Turquie
des négociations d'adhésion. Ces pourparlers s'ouvriront sans que les
critères de Copenhague aient retenu la reconnaissance du génocide
arménien comme une condition préalable. La France est dans son rôle
lorsqu'elle insiste pour qu'Ankara veille à refermer définitivement
les blessures de l'Histoire.
Confronté à un nationalisme très vif, le gouvernement proeuropéen
d'Erdogan est peu pressé de le faire, même si de timides avancées ont
été tentées. Le Parlement turc a entamé un débat sans précédent sur
l'attitude à adopter face aux exigences arméniennes. Ankara a proposé
à Erevan la création d'une commission conjointe afin d'enquêter sur
les massacres de 1915. Des historiens et des intellectuels turcs
commencent à mettre en doute le dogme officiel qui veut que
l'administration ottomane n'ait jamais ordonné une extermination des
populations arméniennes, accusées d'avoir rejoint l'ennemi russe. En
France, l'anniversaire du génocide est l'occasion pour la communauté
arménienne de se faire entendre. C'est bien normal. Comme il est
normal que cette communauté encore meurtrie soit très majoritairement
opposée à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. En cette
période de confusion dans le débat politique autour du référendum du
29 mai, il ne faudrait pas que les commémorations soient détournées
de leur objet. Il ne faudrait pas que la souffrance passée des
victimes du génocide ne serve qu'à alimenter les calculs de ceux qui
font campagne pour le non à la Constitution européenne.