Génocide arménien
L'Europe se dérobe
Les Arméniens commémoraient hier le 90e anniversaire du massacre. Mais l'UE
ne fait pas de sa reconnaissance par la Turquie une condition préalableà son
adhésion.
Par Nathalie DUBOIS
lundi 25 avril 2005 (Liberation - 06:00)
ulipes, jonquilles et oeillets à la main, des centaines de milliers
d'Arméniens se sont recueillis hier à Erevan, la capitale, devant le monument dressé en
mémoire du million des leurs massacrés par les Turcs ottomans de 1915à 1917.
Un quatre-vingt-dixième anniversaire auquel l'Arménie a tenu à donnercette
année une ampleur sans précédent, avec l'espoir que la Turquie accepte enfin de
reconnaître ce génocide dont elle a toujours nié la nature et l'ampleur. Pour
Ankara, il ne s'agissait que d'une répression dans un contexte de guerre
civile, les Arméniens s'étant alliés aux troupes russes qui avaient envahi la
Turquie. Et le bilan des victimes n'atteindrait que 300 000 à 500 000 morts, alors
que l'Arménie en comptabilise 1,5 million.
Obligations. La Turquie peut-elle adhérer à l'Union européenne sans
reconnaître ce génocide ? En théorie, ceci ne fait pas partie des «critères de
Copenhague» qui exigent des pays candidats le respect de la démocratie,des droits de
l'homme et des minorités, ainsi qu'une économie de marché viable. Mais pas
l'obligation d'un travail de mémoire. Il n'empêche que la pression monte sur
Ankara depuis que les Européens, lors du sommet de Bruxelles de décembre, ont
accepté d'ouvrir le 3 octobre 2005 les négociations avec la Turquie. Aux six Etats
de l'UE qui reconnaissaient déjà le génocide arménien - par ordre
chronologique, Chypre, la Grèce, la Belgique, la Suède, l'Italie et la France -, trois
autres se sont très récemment adjoints : la Slovaquie, les Pays-Bas et,pas plus
tard que la semaine dernière, la Pologne. Enfin, en Allemagne, un premier
débat s'est tenu jeudi au Bundestag, à la demande de l'opposition
chrétienne-démocrate, autour d'une motion appelant la Turquie à regarder en face la page la
plus noire de son histoire.
Pour Hilda Tchoboian, présidente de la Fédération euro-arménienne,«la
Turquie doit maintenant assumer ses responsabilités par une reconnaissance sincère
et explicite du génocide avant que de postuler à l'Union européenne». Mais,
n'en déplaise aux Arméniens, cette démarche n'a aucune chance de devenir une
condition préalable à l'entrée des Turcs dans l'Union, à la différence de la
reconnaissance officielle, par Ankara, de la république de Chypre, Etat membre
depuis janvier 2004. Lors du fameux sommet de Bruxelles qui a ouvert la porte aux
Turcs, Jacques Chirac fut le seul chef d'Etat à évoquer la question arménienne
durant sa conférence de presse : «Toute l'histoire de la construction
européenne est l'histoire du dialogue, du respect de l'autre et de la reconnaissance
des erreurs que nous avons pu faire dans le passé. (...) Le travail de mémoire
doit être considéré comme une nécessité incontournable, je dis bien
incontournable. Je ne doute pas un instant que, si ce travail n'est pas fait, les
Français en tiendront le plus grand compte dans le jugement qu'ils porteront [par
référendum, ndlr] sur l'éventuel traité d'adhésion» de la Turquie. Mais comme
le député UMP Pierre Lellouche le déclarait à l'époque, la diaspora arménienne
«commettrait une erreur si elle faisait de cette reconnaissance un préalable à
toute adhésion ou rapprochement avec la Turquie. Il ne faut pas en faire un
préalable, mais l'une des conditions du processus».
Amendements. Le Parlement européen, qui, depuis 1987, a reconnu à plusieurs
reprises la réalité du génocide, n'en fait pas non plus une conditionsine qua
non. Il n'empêche que dans leur feu vert à l'ouverture de pourparlers avec
Ankara les eurodéputés ont adopté deux amendements relatifs à l'Arménie. Le
premier, proposé par le communiste français Francis Wurtz, «invite laTurquie à
promouvoir le processus de réconciliation avec le peuple arménien en
reconnaissant le génocide». Le second, déposé par l'UMP Jacques Toubon, «appelle la
Commission et le Conseil à exiger des autorités turques la reconnaissance formelle
de la réalité historique du génocide des Arméniens» et la rapide réouverture
des frontières avec l'Arménie.
L'Europe se dérobe
Les Arméniens commémoraient hier le 90e anniversaire du massacre. Mais l'UE
ne fait pas de sa reconnaissance par la Turquie une condition préalableà son
adhésion.
Par Nathalie DUBOIS
lundi 25 avril 2005 (Liberation - 06:00)
ulipes, jonquilles et oeillets à la main, des centaines de milliers
d'Arméniens se sont recueillis hier à Erevan, la capitale, devant le monument dressé en
mémoire du million des leurs massacrés par les Turcs ottomans de 1915à 1917.
Un quatre-vingt-dixième anniversaire auquel l'Arménie a tenu à donnercette
année une ampleur sans précédent, avec l'espoir que la Turquie accepte enfin de
reconnaître ce génocide dont elle a toujours nié la nature et l'ampleur. Pour
Ankara, il ne s'agissait que d'une répression dans un contexte de guerre
civile, les Arméniens s'étant alliés aux troupes russes qui avaient envahi la
Turquie. Et le bilan des victimes n'atteindrait que 300 000 à 500 000 morts, alors
que l'Arménie en comptabilise 1,5 million.
Obligations. La Turquie peut-elle adhérer à l'Union européenne sans
reconnaître ce génocide ? En théorie, ceci ne fait pas partie des «critères de
Copenhague» qui exigent des pays candidats le respect de la démocratie,des droits de
l'homme et des minorités, ainsi qu'une économie de marché viable. Mais pas
l'obligation d'un travail de mémoire. Il n'empêche que la pression monte sur
Ankara depuis que les Européens, lors du sommet de Bruxelles de décembre, ont
accepté d'ouvrir le 3 octobre 2005 les négociations avec la Turquie. Aux six Etats
de l'UE qui reconnaissaient déjà le génocide arménien - par ordre
chronologique, Chypre, la Grèce, la Belgique, la Suède, l'Italie et la France -, trois
autres se sont très récemment adjoints : la Slovaquie, les Pays-Bas et,pas plus
tard que la semaine dernière, la Pologne. Enfin, en Allemagne, un premier
débat s'est tenu jeudi au Bundestag, à la demande de l'opposition
chrétienne-démocrate, autour d'une motion appelant la Turquie à regarder en face la page la
plus noire de son histoire.
Pour Hilda Tchoboian, présidente de la Fédération euro-arménienne,«la
Turquie doit maintenant assumer ses responsabilités par une reconnaissance sincère
et explicite du génocide avant que de postuler à l'Union européenne». Mais,
n'en déplaise aux Arméniens, cette démarche n'a aucune chance de devenir une
condition préalable à l'entrée des Turcs dans l'Union, à la différence de la
reconnaissance officielle, par Ankara, de la république de Chypre, Etat membre
depuis janvier 2004. Lors du fameux sommet de Bruxelles qui a ouvert la porte aux
Turcs, Jacques Chirac fut le seul chef d'Etat à évoquer la question arménienne
durant sa conférence de presse : «Toute l'histoire de la construction
européenne est l'histoire du dialogue, du respect de l'autre et de la reconnaissance
des erreurs que nous avons pu faire dans le passé. (...) Le travail de mémoire
doit être considéré comme une nécessité incontournable, je dis bien
incontournable. Je ne doute pas un instant que, si ce travail n'est pas fait, les
Français en tiendront le plus grand compte dans le jugement qu'ils porteront [par
référendum, ndlr] sur l'éventuel traité d'adhésion» de la Turquie. Mais comme
le député UMP Pierre Lellouche le déclarait à l'époque, la diaspora arménienne
«commettrait une erreur si elle faisait de cette reconnaissance un préalable à
toute adhésion ou rapprochement avec la Turquie. Il ne faut pas en faire un
préalable, mais l'une des conditions du processus».
Amendements. Le Parlement européen, qui, depuis 1987, a reconnu à plusieurs
reprises la réalité du génocide, n'en fait pas non plus une conditionsine qua
non. Il n'empêche que dans leur feu vert à l'ouverture de pourparlers avec
Ankara les eurodéputés ont adopté deux amendements relatifs à l'Arménie. Le
premier, proposé par le communiste français Francis Wurtz, «invite laTurquie à
promouvoir le processus de réconciliation avec le peuple arménien en
reconnaissant le génocide». Le second, déposé par l'UMP Jacques Toubon, «appelle la
Commission et le Conseil à exiger des autorités turques la reconnaissance formelle
de la réalité historique du génocide des Arméniens» et la rapide réouverture
des frontières avec l'Arménie.