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"Le mur du silence autour du genocide se fissure"

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  • "Le mur du silence autour du genocide se fissure"

    L'Express , France
    25 avril 2005

    "Le mur du silence autour du génocide se fissure";
    Interview

    par Backer Sophie; Louyot Alain

    Ara Toranian, président du Conseil de coordination des organisations
    arméniennes de France

    Que pensez-vous de la création d'une commission de vérité que vient
    d'annoncer le gouvernement turc? Je crains, malheureusement, qu'il ne
    s'agisse d'une manipulation, d'une manoeuvre dilatoire. Elle vise,
    tout d'abord, à répondre aux pressions européennes, qui sont de plus
    en plus fortes sur la Turquie. Elle essaie de trouver une solution,
    et je ne vois pas, dans cette proposition, la moindre trace de
    sincérité. J'en veux pour preuve la déclaration du ministre des
    Affaires étrangères turc où il dit combien son pays est fier de son
    passé et que, de toute manière, la Turquie n'a jamais décidé
    l'extermination des Arméniens. Elle n'a pas besoin d'une commission
    d'historiens pour savoir ce qui est arrivé en 1915, tout est dans ses
    archives. Et je dirais même qu'il y a quelque chose d'un peu indécent
    à demander aux victimes de côtoyer les héritiers des bourreaux pour
    observer ce qui s'est passé.

    Pourquoi le gouvernement turc s'obstine-t-il à nier? Faut-il remonter
    à la fondation de la république par Atatürk? Je crois en effet que la
    Turquie s'est construite en tant qu'Etat sur le cadavre du peuple
    arménien et sur un nationalisme exacerbé qui est apparu à partir de
    la chute de l'Empire ottoman, considéré comme "l'homme malade de
    l'Europe" à l'époque. Mustafa Kemal, pour donner un regain de vie à
    ce nationalisme, a voulu faire l'impasse sur le passé.

    Et aujourd'hui, tout Turc évoquant le génocide encourt une peine de
    prison... Effectivement, selon l'article 305 du nouveau Code pénal
    turc, on risque de trois à dix ans de prison. Voilà le pays qu'on
    prétend vouloir faire entrer dans l'Europe.

    N'y a-t-il pas une différence entre le négationnisme qui vise les
    juifs et le négationnisme envers les Arméniens, puisque, dans le
    premier cas, il est commis par des individus et, dans le second, par
    un Etat? C'est une forme très particulière de négationnisme, car il
    s'agit d'un négationnisme d'Etat qui s'établit et s'organise avec
    tous les moyens dont peut disposer un Etat, que ce soit
    financièrement ou en exerçant des pressions internationales. Cela
    fait peur lorsqu'on considère cela dans la perspective de l'entrée de
    ce pays dans l'Union européenne.

    Si Ankara fait son mea culpa à propos du génocide, acceptez-vous que
    la Turquie entre dans l'Union européenne? Je refuse, aujourd'hui,
    d'envisager cette hypothèse. Il est pour moi quelque peu aberrant
    que, face à un Etat comme la Turquie, qui a commis le génocide des
    Arméniens, mais aussi massacré des milliers de Kurdes, de Grecs,
    d'Assyro-Chaldéens, qui occupe Chypre et qui met des journalistes en
    prison, on demande à cet Etat-là d'entrer dans l'Europe!

    Que peuvent faire encore les Arméniens pour obtenir cette
    reconnaissance du génocide? Nous défendons une cause qui est juste et
    avons les moyens de nous faire entendre. Le mur du silence autour du
    génocide est en train de se fissurer. Notre cause, notre discours
    participent de la défense des droits de l'homme, de la défense de la
    démocratie. Pour nous, comme pour vous, la démocratie, c'est aussi la
    protection des minorités. Et celle que nous représentons a été
    bafouée comme peu l'ont été. La Turquie, si elle veut entrer dans
    l'Europe, devrait commencer par reconnaître le droit des autres à la
    différence. Et notamment à l'Arménie, à ces 2,5 millions de chrétiens
    arméniens qui vivent avec 70 millions de Turcs, d'un côté, et 10
    millions d'Azéris, de l'autre, et qui ne représentent aucune menace,
    réclamant seulement le droit pour leur Etat d'exister, le droit de
    perpétuer leur culture.

    Le terrorisme arménien appartient-il définitivement au passé? Il y a
    eu une phase dans l'histoire du peuple arménien, après 1975, où il
    avait épuisé tous les recours politiques, diplomatiques, pacifiques
    pour se faire entendre. Une partie a alors décidé de changer de
    vitesse et de se livrer à ce qu'on a appelé un "terrorisme
    publicitaire", essentiellement dirigé, hormis certains débordements,
    vers un Etat turc qui, à l'époque, était un pays fasciste, mené d'une
    main de fer par une junte militaire. Cette période a duré sept ans.
    La communauté arménienne a balayé devant sa porte et a abandonné
    cette forme de lutte.

    Après la France en 2001, il semble que les Etats-Unis se préparent à
    reconnaître le génocide arménien: c'est encourageant... Aujourd'hui,
    38 des 50 Etats américains reconnaissent le génocide, mais cela ne
    fait pas pour autant une majorité au Congrès, car il y a toujours des
    interventions très fortes des présidents américains pour éviter de
    froisser l'allié turc. Au nom de la raison d'Etat et d'intérêts
    stratégiques ou économiques, on revient toujours, hélas! sur les
    grands principes affirmés. C'est bien dommage, parce que ce n'est pas
    comme cela qu'on construit un avenir de paix, en particulier pour les
    peuples de cette région qui en ont bien besoin.
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