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Kemal Dervis, heraut de la cause turque en Europe

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  • Kemal Dervis, heraut de la cause turque en Europe

    Le Figaro, France
    19 janvier 2005

    Diplomate sans titre;
    TRAIT POUR TRAIT Kemal Dervis, ancien ministre des Finances, est le
    héraut de la cause turque en Europe

    par Amélie de Bourbon


    Le crne sec, le visage lisse, le costume gris, une silhouette
    passe-partout. Un sourire posé sur son visage comme un message
    diplomatique, Kemal Dervis a pris l'habitude de se faufiler d'un
    monde à l'autre sans faire de bruit. A la manière de ces agents qui
    créent leur base arrière dans les suites identiques des grands
    hôtels, Kemal Dervis a fait du secret sa tenue de travail. L'homme
    est en mission. A 56 ans, cet ancien ministre des Finances,
    aujourd'hui député d'Istanbul, est devenu un des envoyés de la cause
    turque en Europe, une sorte de diplomate sans titre. Un jour au
    Parlement européen des jeunes à Berlin, le lendemain à Istanbul pour
    recevoir un député européen et l'emmener danser jusqu'à la ple
    dérive du petit matin, le surlendemain à Paris pour donner une
    conférence sur la laïcité turque devant le conseil d'analyse de la
    société de Luc Ferry... En bon prêcheur de l'Europe, Kemal Dervis
    traverse les pays avec un côté bateleur, une aptitude presque
    suspecte à reproduire un discours à la demande. Pourrait-il faire
    autrement ? Sa marge de manoeuvre est étroite. Car s'il doit
    convaincre à l'extérieur, il doit aussi calmer à l'intérieur,
    rassurer dans son propre camp. N'a-t-il pas lors d'un débat télévisé
    parlé un peu vite des «massacres» en Arménie ? Il fut aussitôt
    assailli par la presse d'Istanbul. Il lui faut sans cesse surveiller
    ses paroles.

    Derrière ses lunettes métallisées, l'homme a pourtant le regard acide
    de celui qui n'aime rendre de compte à personne, le ton un peu
    cassant du meneur d'équipe, la fierté militaire de ces soldats de la
    République turque. N'en fait-il pas presque trop ? Aurait-il quelque
    chose à se faire pardonner ? Peut-être, car aux yeux de l'Anatolie
    profonde, il n'est pas tout à fait un «vrai Turc». L'insulte est de
    taille. En Turquie, elle revient presque à dire que l'on n'est pas le
    fils du Père, le mythique Atatürk, fondateur de la République turque.
    Fils d'une mère moitié allemande, moitié hollandaise et d'un père
    turc homme d'affaires, Kemal Dervis est un pur produit de l'élite
    républicaine. Musulman, il ne pratique pas ; il a épousé une
    Américaine dont il a deux enfants. Un Turc «blanc» comme on les
    appelle là-bas, par opposition aux Turcs «noirs» issus de la
    population des campagnes faiblement occidentalisée. Le français qui
    coule parfaitement d'une phrase à l'autre, un accent turc au coin des
    mots, trahit d'ailleurs ce temps passé loin de son pays. «Mon père,
    qui était de la génération d'Atatürk, a toujours voulu que je parle
    français ; la France était une source d'inspiration. J'ai fait une
    partie de mes études à Paris et en pension, j'ai passé mon bac à
    Thonon, à côté de Grenoble.» Après des études d'économie en
    Angleterre, il deviendra le conseiller de Bulent Ecevit, alors
    président du Parti populaire du peuple en Turquie, parti de centre
    gauche créé par Atatürk et dépositaire aujourd'hui de son héritage
    républicain, nationaliste et laïc. Pourtant Kemal s'ennuie. Il se
    sent un peu à l'étroit et veut respirer plus grand. Il part alors
    enseigner l'économie à l'université de Princeton aux Etats-Unis.
    Entré à la Banque mondiale quelque temps plus tard, il y teste ses
    modèles d'équilibre en faveur des pays en développement et découvre,
    vaguement amusé, que l'on peut aussi voir le monde comme un
    graphique. «Je croyais rester deux ou trois ans, en fait j'y ai
    travaillé pendant vingt ans.» C'est peut-être ici qu'on touche la
    faille du personnage, sa faiblesse. Vingt ans c'est très long. Est-ce
    qu'on est encore turc lorsqu'on est resté si longtemps loin de son
    pays, de sa langue, de la simple odeur de l'air sur un matin
    d'Istanbul ? Certes, il y venait en vacances, les mains dans les
    poches, en touriste, mais c'est tout. Il n'était presque plus chez
    lui. Mais l'histoire remonte toujours. Pas à la même place, mais elle
    vous reprend. La Turquie lui revient en pleine figure un dimanche de
    février 2001. Kemal est alors vice-président de la Banque mondiale.
    Sa vie est simple, presque un rêve américain. Jusqu'à ce matin où le
    premier ministre, Bulent Ecevit, lui demande de l'aider à enrayer la
    plus grave crise économique de l'histoire moderne de la Turquie. Le
    temps d'emporter deux chemises et un costume, d'un avion à l'autre,
    Kemal devient ministre des Finances et maîtrise la crise en un an. Le
    voilà l'homme le plus populaire du pays. Héros providentiel ? On en
    finirait plus de s'émerveiller sur le fabuleux destin de Kemal Dervis
    jusqu'à sa démission en août 2002. Quelques mois avant les élections
    de novembre, Kemal veut tenter sa chance et crée avec d'autres
    ministres démissionnaires un parti social-démocrate. Si la formation
    constitue pendant un temps un espoir pour le monde des affaires et la
    grande presse face aux islamistes modérés, elle ne dure pas, et Kemal
    sera finalement élu député d'Istanbul pour le Parti républicain du
    peuple. Aujourd'hui, Kemal a peut-être compris qu'il était temps de
    réconcilier ses exotismes et ses exils. De rapprocher ses vies, ses
    cultures, en les situant dans l'histoire plus vaste de l'Europe. Un
    agent double ? Non, simplement, un Turc et un Européen.

    From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
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