Libération, France
mardi 25 janvier 2005
Europe Robert Badinter, sénateur socialiste, dénonce la stratégie du
Président
«Chirac fait le jeu des souverainistes»
Par Didier HASSOUX
Ancien président du Conseil constitutionnel, le sénateur socialiste
des Hauts-de-Seine Robert Badinter accuse le président de la
République de chercher à «polluer» le débat sur le Traité européen
par la question de l'adhésion de la Turquie.
Le Parlement débute aujourd'hui la révision constitutionnelle
nécessaire pour l'adoption du Traité européen. L'article 2 du projet
de loi précise que tous nouveaux traités d'adhésion seront
obligatoirement soumis à référendum. Pourquoi voulez-vous le
supprimer ?
En procédant de la sorte, on lie dans le débat politique la question
du Traité constitutionnel à celle de l'entrée de la Turquie. C'est
faire le jeu de souverainistes à la Villiers. Il lui sera facile de
dire que les deux sujets sont liés puisque le Parlement en débat
simultanément. C'est un choix politique erroné. Rien ne nous oblige à
régler la question du référendum sur la Turquie - qui aura lieu au
mieux dans dix ans - à la question de l'adoption du Traité
constitutionnel.
Vous dites cela parce vous êtes opposés à l'entrée de la Turquie dans
l'Union ?
Je suis pour l'adoption du Traité constitutionnel. S'il n'est pas un
chef-d'oeuvre, il est tout de même meilleur que celui de Nice qui
nous régit actuellement. Mais, pour des raisons géopolitiques et de
développement d'une Europe-puissance, je suis hostile à l'entrée de
la Turquie dans l'Union européenne. En élargissant l'UE à cette
grande puissance d'Asie mineure, on se résigne à une Europe molle,
une simple Europe-marché, celle que souhaite monsieur Bush. Alors que
le XXIe siècle sera consacré au jeu d'équilibre entre les grandes
puissances régionales à influence mondiale (les Etats-Unis, la Chine,
l'Inde et l'Europe), l'Union européenne n'a aucune raison d'aller
établir ses frontières au-delà de l'Euphrate et d'avoir comme voisins
la Géorgie, l'Arménie, l'Iran, l'Irak et la Syrie.
Qui a intérêt à entretenir cette confusion ?
Que le président de la République ait lié au projet de révision
constitutionnelle la question de la Turquie n'est pas un hasard.
Pourquoi ? Je ne peux formuler que des hypothèses. Première d'entre
elles : dire aux Français de ne pas s'inquiéter avec la Turquie. On
leur promet qu'ils décideront en dernier recours. C'est un leurre.
Dans douze ou quinze ans, il sera moralement impossible de dire non à
l'entrée de la Turquie alors qu'elle aura fait des efforts constants
pour satisfaire aux exigences de l'Union. De surcroît, dire non
signifierait pour les Français s'opposer à un traité déjà signé par
le président de la République et son gouvernement, en même temps que
30 autres responsables d'Etats membres. Ce serait provoquer une crise
nationale et européenne majeure à ce stade du processus. La décision
sur l'adhésion de la Turquie a en fait déjà été prise - en catimini -
par le chef de l'Etat sans jamais que le Parlement ni les citoyens
aient été appelés à en débattre.
Seconde hypothèse. Aujourd'hui, le parti du Président n'est plus le
sien. Mais celui contrôlé par le président du parti. Dans cette
situation, le chef de l'Etat demande, par le biais de ce projet de
révision constitutionnelle, aux élus de l'UMP d'avaliser
implicitement son choix sur l'entrée de la Turquie. Il pense ainsi
faire prévaloir sa volonté et forcer la majorité de l'UMP à s'aligner
sur ses choix, contrairement à ceux de M. Sarkozy. Pareille tactique
risque malheureusement de polluer le débat sur la ratification du
Traité et de compromettre ses chances.
Si l'article 2 n'est pas supprimé, vous vous opposerez au projet de
loi de révision ?
Il y aura d'autres amendements déposés au cours du débat
parlementaire, notamment par les socialistes. C'est à l'issue de ce
débat que j'arrêterai ma position.
mardi 25 janvier 2005
Europe Robert Badinter, sénateur socialiste, dénonce la stratégie du
Président
«Chirac fait le jeu des souverainistes»
Par Didier HASSOUX
Ancien président du Conseil constitutionnel, le sénateur socialiste
des Hauts-de-Seine Robert Badinter accuse le président de la
République de chercher à «polluer» le débat sur le Traité européen
par la question de l'adhésion de la Turquie.
Le Parlement débute aujourd'hui la révision constitutionnelle
nécessaire pour l'adoption du Traité européen. L'article 2 du projet
de loi précise que tous nouveaux traités d'adhésion seront
obligatoirement soumis à référendum. Pourquoi voulez-vous le
supprimer ?
En procédant de la sorte, on lie dans le débat politique la question
du Traité constitutionnel à celle de l'entrée de la Turquie. C'est
faire le jeu de souverainistes à la Villiers. Il lui sera facile de
dire que les deux sujets sont liés puisque le Parlement en débat
simultanément. C'est un choix politique erroné. Rien ne nous oblige à
régler la question du référendum sur la Turquie - qui aura lieu au
mieux dans dix ans - à la question de l'adoption du Traité
constitutionnel.
Vous dites cela parce vous êtes opposés à l'entrée de la Turquie dans
l'Union ?
Je suis pour l'adoption du Traité constitutionnel. S'il n'est pas un
chef-d'oeuvre, il est tout de même meilleur que celui de Nice qui
nous régit actuellement. Mais, pour des raisons géopolitiques et de
développement d'une Europe-puissance, je suis hostile à l'entrée de
la Turquie dans l'Union européenne. En élargissant l'UE à cette
grande puissance d'Asie mineure, on se résigne à une Europe molle,
une simple Europe-marché, celle que souhaite monsieur Bush. Alors que
le XXIe siècle sera consacré au jeu d'équilibre entre les grandes
puissances régionales à influence mondiale (les Etats-Unis, la Chine,
l'Inde et l'Europe), l'Union européenne n'a aucune raison d'aller
établir ses frontières au-delà de l'Euphrate et d'avoir comme voisins
la Géorgie, l'Arménie, l'Iran, l'Irak et la Syrie.
Qui a intérêt à entretenir cette confusion ?
Que le président de la République ait lié au projet de révision
constitutionnelle la question de la Turquie n'est pas un hasard.
Pourquoi ? Je ne peux formuler que des hypothèses. Première d'entre
elles : dire aux Français de ne pas s'inquiéter avec la Turquie. On
leur promet qu'ils décideront en dernier recours. C'est un leurre.
Dans douze ou quinze ans, il sera moralement impossible de dire non à
l'entrée de la Turquie alors qu'elle aura fait des efforts constants
pour satisfaire aux exigences de l'Union. De surcroît, dire non
signifierait pour les Français s'opposer à un traité déjà signé par
le président de la République et son gouvernement, en même temps que
30 autres responsables d'Etats membres. Ce serait provoquer une crise
nationale et européenne majeure à ce stade du processus. La décision
sur l'adhésion de la Turquie a en fait déjà été prise - en catimini -
par le chef de l'Etat sans jamais que le Parlement ni les citoyens
aient été appelés à en débattre.
Seconde hypothèse. Aujourd'hui, le parti du Président n'est plus le
sien. Mais celui contrôlé par le président du parti. Dans cette
situation, le chef de l'Etat demande, par le biais de ce projet de
révision constitutionnelle, aux élus de l'UMP d'avaliser
implicitement son choix sur l'entrée de la Turquie. Il pense ainsi
faire prévaloir sa volonté et forcer la majorité de l'UMP à s'aligner
sur ses choix, contrairement à ceux de M. Sarkozy. Pareille tactique
risque malheureusement de polluer le débat sur la ratification du
Traité et de compromettre ses chances.
Si l'article 2 n'est pas supprimé, vous vous opposerez au projet de
loi de révision ?
Il y aura d'autres amendements déposés au cours du débat
parlementaire, notamment par les socialistes. C'est à l'issue de ce
débat que j'arrêterai ma position.