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De la barbarie hitlerienne, la notion de crime contre l'humanite

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  • De la barbarie hitlerienne, la notion de crime contre l'humanite

    Le Monde, France
    25 janvier 2005

    De la barbarie hitlérienne est née la notion de « crime contre l'humanité »
    1945 - 2005

    par Nathalie Guibert,


    À QUELLES valeurs renvoie la notion d'humanité ? Parce que la
    question est immense, les juristes peinent encore à définir les
    crimes contre l'humanité.

    Cette incrimination pénale a émergé, en 1945, de la barbarie
    hitlérienne. Depuis, elle n'a cessé d'évoluer. Récemment, le
    terrorisme, le clonage humain, sont venus à nouveau la bousculer. «
    On essaie, avec cette notion, de définir des valeurs, que l'on a du
    mal à écrire dans des mots de juristes », résume Michel Massé,
    professeur de droit à l'université de Poitiers.

    Avant la seconde guerre mondiale, les actes inhumains, commis
    collectivement contre des populations civiles au nom d'un projet
    politique, étaient sanctionnés sous l'incrimination de « crimes de
    guerre ». Seuls quelques diplomates avaient utilisé l'expression de «
    crime contre l'humanité » après le génocide des Arméniens de 1915.

    Les crimes contre l'humanité sont inscrits le 8 août 1945 dans
    l'accord de Londres instaurant le tribunal militaire international
    siégeant à Nuremberg. Ils sont alors définis comme « l'assassinat,
    l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout
    autre acte inhumain commis contre toute population civile, avant ou
    pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs
    politiques, raciaux ou religieux ».

    Mais, en 1945, la priorité est de punir les crimes contre la paix et
    les crimes de guerre ; les victimes civiles sont négligées. Au procès
    de Nuremberg, « les crimes contre l'humanité, que l'on vient pourtant
    de créer, sont absents », rappelle Denis Salas, secrétaire général de
    l'Association pour l'histoire de la justice. Dans le jugement des
    responsables nazis, ces crimes « ne sont retenus que comme une
    catégorie interstitielle destinée à combler les manques des autres
    infractions, explique M. Salas. Les acteurs du procès de Nuremberg
    ont du mal à penser un mal radical qui excède les bornes du droit ».

    En 1948, l'ONU ajoute le génocide au crime contre l'humanité. En
    1973, c'est le cas de l'apartheid. Des criminels sont jugés sous la
    nouvelle qualification, par des tribunaux nationaux, comme ce fut le
    cas pour Adolf Eichmann en Israël, ou des juridictions
    internationales ad hoc, tel le tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie.

    En France, il faut attendre le code pénal de 1994 pour voir ces
    crimes sortir du contexte de la seconde guerre mondiale et s'inscrire
    dans le droit national. Mais le texte de 1994 n'a jamais servi. Paul
    Touvier, Klaus Barbie et Maurice Papon ont été condamnés en référence
    au texte de Nuremberg et au nom de l'imprescriptibilité de ces
    crimes, reconnue par la France en 1964.

    Des plaintes ont certes été déposées contre des criminels étrangers
    recherchés en France, tel Augusto Pinochet. Mais les juges ont retenu
    la qualification de « torture », plus efficace pour les poursuivre
    bien que ce crime ne soit pas imprescriptible. En la matière, la
    Convention de l'ONU autorise, en effet, la compétence universelle. En
    outre, les deux lois de 2001 relatives à la reconnaissance du
    génocide arménien et à l'esclavage ne peuvent être utilisées pour
    poursuivre des responsables, en raison du principe de
    non-rétroactivité.

    Mais « le plus important, c'est que le droit français a été
    verrouillé par la Cour de cassation pour que le crime contre
    l'humanité ne puisse pas s'appliquer à la guerre d'Algérie, souligne
    M. Massé. La France reconnaît ce crime pour des faits anciens, et
    pour les actes nouveaux, à partir de 1994. Entre les deux, il y a un
    trou, dans la mémoire et dans le droit ».

    Les attentats du 11 septembre 2001 à New York ont, de nouveau,
    bousculé l'incrimination née il y a cinquante ans. Pour Robert
    Badinter, il convient d'assimiler ces actes aux crimes contre
    l'humanité. « Des actes semant la terreur, visant aveuglément des
    populations civiles, et commis au nom d'un projet et de motivations
    idéologiques entrent tout à fait dans le cadre des crimes contre
    l'humanité », estime l'ancien ministre de la justice.

    Et ce d'autant que les statuts de la Cour pénale internationale,
    installée en 2002, définissent les crimes contre l'humanité comme les
    actes de meurtre, d'extermination, de persécution ou de déportation «
    commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée
    contre toute population civile ».

    Mais la question divise les juristes. Jusqu'à présent, ces deux
    droits ont évolué parallèlement, explique M. Massé, car « la nature
    du terrorisme est différente : il s'en prend à n'importe qui, et non
    à un groupe précis ; ses auteurs n'ont pas, à la différence des
    autres criminels, le contrôle d'un territoire ; enfin, ils subissent
    une réprobation morale relative : des années après les faits,
    certains terroristes ont acquis une légitimité, un pouvoir ».

    Les biotechnologies provoquent également des interrogations. En
    France, la loi du 6 août 2004 a ainsi modifié le code pénal, plaçant
    en tête du chapitre consacré aux crimes contre les personnes, les «
    crimes contre l'humanité et contre l'espèce humaine ». Ces derniers
    venus recouvrent l'eugénisme et le clonage humain, punis de trente
    ans de réclusion. « Le crime contre l'humanité peut se définir comme
    le fait d'avoir éliminé massivement des personnes qu'on estime
    différentes. Le clonage pourrait être l'inverse, le fait de créer des
    personnes en maîtrisant leurs caractéristiques. D'où ce rapprochement
    des deux notions, même si le droit, ttonnant, ne les assimile pas
    encore », indique M. Massé.

    L'installation de la CPI rend désormais possible le jugement de tous
    les « crimes les plus graves touchant l'ensemble de la communauté
    internationale ». « C'est un progrès, souligne M. Badinter, mais
    toutes les leçons d'Auschwitz n'ont pas été tirées par la justice. De
    longs silences pèsent sur les génocides ultérieurs, comme celui du
    Cambodge. »
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