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Genocide armenien de 1915-1916; Les turcs font de la resistance

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  • Genocide armenien de 1915-1916; Les turcs font de la resistance

    Le Point , France
    28 avril 2005

    Génocide arménien de 1915-1916;
    Les turcs font de la résistance

    par Charles Jaigu


    La commémoration du génocide arménien, le 24 avril, a été une
    démonstration de force. Mais Ankara campe encore sur ses positions.
    Pour combien de temps ?

    M ême Jacques Chirac! En recevant la semaine dernière à Paris son
    homologue arménien, Robert Kotcharian, le président de la République,
    premier défenseur de la candidature d'Ankara à l'Union européenne, a
    déposé une gerbe devant le monument arménien dédié aux victimes du
    génocide. Et il a de nouveau évoqué un nécessaire«devoir de mémoire»
    de la part du gouvernement turc. La journée de commémoration du
    génocide, dimanche 24, n'a pas non plus arrondi les angles pour
    Ankara.

    Des dizaines de milliers d'Arméniens se sont recueillis à Erevan
    devant le monument du génocide de 1915. En France, ils étaient plus
    de 10 000 à Paris ou à Marseille, avec en tête de cortège, devant
    l'ambassade de Turquie à Paris, François Hollande, François Bayrou,
    Philippe de Villiers et Patrick Braouezec pour le Parti communiste. A
    ces bruyantes mobilisations se sont ajoutés les messages de sympathie
    de toutes parts, y compris de George Bush, qui n'a cependant pas
    prononcé le mot, redouté par Ankara, de«génocide» . Face à cette
    tempête annoncée, le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan est resté
    droit dans ses bottes. Il continue de nier obstinément l'ampleur des
    massacres et, plus encore, toute allégation de génocide. Pourtant,
    livres et témoignages continuent de s'empiler. Le dernier en date, un
    livre-enquête intitulé «Deir-es-Zor» (Actes Sud), de Bardig
    Kouyoumdjian et Christine Siméone, revient sur les traces d'un ancien
    camp de la mort.

    Deir-es-Zor est aujourd'hui une plaque tournante de l'extraction du
    pétrole syrien. La ville grouille d'ouvriers et l'on voit, au loin,
    les grandes flammes des torchères qui montent vers le ciel. Au-delà
    règne le désert. Cailloux et buissons secs le long des routes
    rectilignes. C'est dans les espaces oubliés de ce no man's land que
    s'est écrite la chronique oubliée du massacre des Arméniens. Les deux
    auteurs traquent les derniers témoins et exhument des os dispersés
    dans les champs irrigués ou dans les crevasses. Comme cette grotte
    bourrée de squelettes, découverte par des Français en 1929.«Trois
    mille personnes ont été poussées dans cette galerie avant qu'on y
    mette le feu», leur raconte un rescapé.

    Entre avril 1915 et 1916, ce sont des centaines de convois qui ont
    sillonné l'Empire ottoman. Interpellées par les commandos de
    l'«organisation spéciale» de l'armée ottomane, les populations
    civiles étaient rassemblées à la sortie des villes. Les hommes
    rapidement emmenés par une troupe de soldats, noyés dans les rivières
    proches ou abattus en avançant dans l'étroit goulet d'un défilé de
    montagne. Puis les femmes, les enfants et les vieillards se mettaient
    en route pour une marche exténuante, sur des centaines de kilomètres,
    jusqu'à Kharpout, Alep ou Deir-es-Zor. Au cours du voyage, ils
    étaient décimés par le typhus et la faim.

    Génocide, terme tabou.

    Du côté d'Ankara, ces récits provoquent un unanime courroux. La
    polémique porte d'abord sur les chiffres. Sur les quelque 2 millions
    d'Arméniens installés dans l'Empire ottoman dans les années 10, 300
    000 auraient été massacrés, jure Ankara. Entre 1,2 et 1,5 million,
    affirment les Arméniens, et avec eux la grande majorité des
    historiens. La question, en tout cas, est posée. Le gouvernement
    jeune-turc, au pouvoir depuis 1908, a-t-il planifié l'anéantissement
    de la «race arménienne»? Ou bien s'agit-il de dégts collatéraux, de
    ceux qui ont accompagné l'agonie de cet«homme malade de l'Europe»
    qu'était l'Empire ottoman? La turquisation de l'Anatolie, dernier
    sanctuaire de l'Empire ottoman, aurait-elle entraîné ce«crime
    fondateur» qui, selon la diaspora arménienne, a accouché de la
    Turquie moderne? La polémique sur ce sujet est allée crescendo après
    que la notion de génocide a été portée sur les fonts baptismaux à la
    convention de l'Onu en 1948. A tel point que le terme même de
    «génocide» est devenu, avec Chypre,«la ligne rouge du nationalisme
    turc», rappelle un diplomate.

    «Forteresse assiégée», Ankara a multiplié les contre-feux et les
    parades.«En 2003, le ministère de l'Education a enjoint les
    professeurs des établissements scolaires turcs de préparer les élèves
    à la réfutation des allégations à propos d'un "génocide arménien"»,
    raconte un diplomate en poste à Ankara. Un documentaire d'une chaîne
    de la télévision publique montrait, il y a quelques semaines, des
    «charniers» de Turcs qui auraient été massacrés par les Arméniens en
    1915 - justifiant ainsi l'attitude d'autodéfense des Turcs face à une
    minorité «entrée en rébellion». Plus récemment, l'affaire Orhan Pamuk
    a provoqué une vague d'indignation en Turquie(voir encadré) .

    Même si l'obligation d'une reconnaissance du génocide ne figure pas
    au nombre des critères d'adhésion à l'Union européenne, la pression
    internationale est telle que le Premier ministre turc, Recep Tayyip
    Erdogan, vient de proposer, dans un message au président de la
    République arménienne, l'instauration d'une commission mixte composée
    d'historiens des deux pays afin d'enquêter sur les «massacres» des
    Arméniens en 1915.«Ankara souffle alternativement le chaud et le
    froid depuis des années. Les Turcs établissent des contacts avec les
    historiens de la communauté internationale,puis se rétractent et
    maintiennent leurs thèses sans tenir compte des éléments produits par
    la partie adverse !» se désole Yves Ternon, historien de la Shoah qui
    s'est depuis penché sur le génocide arménien.

    Pas d'ovation pour Aznavour.

    Auteur d'un ouvrage décapant intitulé «Du négationnisme» (Desclée de
    Brouwer), Yves Ternon se livre à une analyse de cette demande
    exorbitante d'une preuve«au-delà de tout doute possible» par les
    négateurs du génocide.«Faut-il faire comme si les archives
    diplomatiques de tous les pays présents, la documentation du procès
    de Constantinople en 1918, les témoignages d'étrangers sur place et
    les témoignages des rescapés recueillis depuis les années 20
    n'avaient aucune valeur historique ?» s'interroge l'historien.

    Préfiguration de l'horreur de la Shoah, la «catastrophe» qui a frappé
    le peuple arménien ne fait pas partie du débat public à Ankara. Hors
    les déclarations d'Orhan Pamuk ou de l'historien turc Taner Akçam,
    peu de signes indiquent une décrispation de l'ombrageuse république
    kémaliste. Il y a peu, Charles Aznavour, qui refuse pourtant de jeter
    du sel sur la plaie, regrettait qu'une délégation turque soit restée
    assise, lors de l'élection de Miss Europe, quand tous se levaient
    pour applaudir la «vedette» venue saluer la nouvelle Miss. Il est
    vrai que le crooner d'origine arménienne a chanté, il y a vingt
    ans,«Ils sont tombés», en mémoire du génocide.«La délégation devait
    s'en souvenir», a glissé le chanteur, déçu
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