Le Télégramme , France
7 octobre 2005
Pierre Lellouche. « Villepin n'est qu'un exécutant »
Propos recueillis par Philippe Reinhard
Député de Paris, ancien conseiller diplomatique de Jacques Chirac,
Pierre Lellouche a récemment pris du galon.
Député de Paris, ancien conseiller diplomatique de Jacques Chirac,
Pierre Lellouche a récemment pris du galon. Il fait désormais partie
du premier cercle du président de l'UMP. En bon sarkozyste, il se
montre très critique envers Dominique de Villepin, reprochant au
Premier ministre de faire la même politique que celle qui prévalait
avant le référendum du 29 mai. Mais aussi de trop penser à la
présidentielle de 2007.
Député UMP, quel jugement portez-vous sur les premiers pas du
gouvernement Villepin ?
Dans l'épure, telle qu'elle a été fixée par le président de la
République, le Premier ministre a incontestablement bien joué. Il a
donné une image de jeunesse, de mouvement et d'élégance.
En réalité, Villepin fait du Chirac en plus jeune, en plus moderne.
Mais il fait exactement la même politique. On fait la même chose
qu'avant, avec, c'est vrai, un peu plus de séduction dans la démarche
et un peu plus d'efficacité dans la communication.
Vous ne croyez pas à l'effet Villepin ?
La personne du Premier ministre n'est pas en cause. Le problème est
que sa politique est celle du président de la République.
Villepin n'est qu'un exécutant. C'est la même politique que celle qui
prévalait avant le 29 mai. Même s'il y a une différence de style et
une pratique médiatique plus efficace.
Le Premier ministre est pourtant populaire. N'est-ce pas un bon signe
pour votre majorité ?
Villepin a construit une cote d'amour. Mais maintenant, il rentre
dans la difficulté. Pour ne prendre que deux exemples, il lui faut
résoudre le problème de la SNCM qui a gravement envenimé la question
corse, et il lui faut répondre aux préoccupations exprimées avec
force par les manifestations du 4 octobre.
Quelle doit être, à vos yeux, la réponse de la droite aux inquiétudes
du pays ?
Nous sommes confrontés aujourd'hui au vieux débat entre ceux qui
prônent la réforme et ceux qui se satisfont du statu quo.
J'appartiens résolument au camp de la réforme.
Croyez-vous à une candidature Villepin en 2007 ?
Je suis convaincu que c'est chez lui une véritable obsession. Et cela
ne date pas d'hier. Il y pense depuis au moins dix ans, et
probablement davantage.
Son problème est qu'il lui faut obtenir des résultats pour
crédibiliser son éventuelle candidature. Et, avec la politique qu'il
mène, il a peu de chances de réussir.
Pour obtenir des résultats, il faut mener une politique de réformes
en profondeur et avoir du temps. Or, ce Premier ministre n'a ni
politique de réforme, ni le temps nécessaire pour la mener à bien.
Vous participez à la primaire parisienne de l'UMP. Cette primaire
préfigure-t-elle les primaires présidentielles au sein de l'UMP ?
J'ai participé aux primaires UMP à Paris parce que je suis convaincu
que je suis le mieux placé pour battre le maire sortant. Le combat
pour la mairie de Paris n'est pas seulement local. Il est vrai par
ailleurs que les primaires décidées par la direction de l'UMP
constituent une sorte de galop d'essai. A Paris, comme demain au plan
national pour la désignation de notre candidat à l'élection
présidentielle, on a donné la parole aux militants. Plus personne ne
pourra la leur retirer.
Contrairement à l'immense majorité des élus de droite, vous avez pris
position depuis longtemps en faveur de l'adhésion de la Turquie à
l'Union européenne. Pourquoi ?
Le problème posé par l'adhésion de la Turquie à l'Union est majeur.
Aussi bien pour les Turcs que pour les Européens.
Ce qui reste en question, c'est l'identité de l'Europe et celle de la
Turquie. Si le processus engagé aboutit, la Turquie deviendra
pleinement européenne et démocratique. L'enjeu est considérable : si
nous gagnons ce pari, la preuve sera apportée qu'un Islam modéré est
possible et que la réconciliation avec le modèle occidental n'est pas
un leurre.
A l'inverse, une rupture acterait, sinon une guerre des
civilisations, l'existence d'un fossé profond. La Turquie laïque et
démocratique porte l'espoir d'un Islam moderne. Si l'Europe devait la
repousser, cela accentuerait les risques d'un conflit interne au
monde musulman. Nous aurions tout à craindre d'en subir un jour les
retombées.
Vous militez pour l'entrée de la Turquie dans l'Union. Et pourtant
l'accord intervenu cette semaine à Bruxelles ne vous satisfait pas
complètement. Pourquoi ?
Je ne regrette pas d'avoir fait partie du petit nombre de
responsables politiques qui ont plaidé pour que l'Europe ne ferme pas
la porte au nez des Turcs. Mais il fallait assortir l'acceptation du
processus de négociation d'un certain nombre de conditions. Même si
les Turcs ont fait de grands pas vers la démocratisation, il importe
de vérifier que les lois adoptées par Ankara seront réellement
opérationnelles. Il aurait surtout fallu s'assurer, avant l'ouverture
des négociations, que la Turquie accepte de s'engager sur plusieurs
dossiers essentiels.
Le premier touche d'abord à la question arménienne. Aussi longtemps
qu'elle n'aura pas accepté de faire son devoir de mémoire sur le
génocide arménien, et aussi longtemps qu'elle refusera de revoir ses
positions concernant l'ouverture des frontières avec l'Etat arménien,
elle ne pourra pas adhérer à l'Union européenne.
La deuxième pierre d'achoppement concerne Chypre. Il faut que la
Turquie mette un terme à l'occupation du nord de cette île
européenne, et il est inconcevable d'accepter dans l'Union un pays
qui refuserait de reconnaître un des Etats-membres. Je regrette que
les gouvernements européens, à commencer par le nôtre, n'aient pas
posé clairement ces questions à leur interlocuteur turc. Je souhaite
- et j'ai été un des seuls à le dire - l'adhésion de la Turquie. Mais
je regrette que l'on ait décidé d'engager ces négociations sur des
bases ambiguës.
Pensez-vous que Jacques Chirac a commis une erreur sur le dossier
turc ?
Dans cette affaire, le président de la République est cohérent avec
les propositions qu'il a formulées depuis longtemps. J'aurais préféré
qu'il précise les conditions qu'il convenait de poser à la Turquie.
Mais je reconnais que son objectif, qui est également le mien, est de
démontrer qu'entre l'Islam, l'Occident et l'Europe, la rupture n'est
pas inéluctable. Si la Turquie parvient à montrer qu'il existe une
voie démocratique pour l'Islam, ce sera un signal très fort pour le
monde musulman.
GRAPHIQUE: Photo, Legende: Proche de Nicolas Sarkozy, Pierre
Lellouche n'est pas tendre avec le Premier ministre. « Villepin fait
du Chirac en plus jeune, en plus moderne. Mais il fait exactement la
même politique. (...) Il a peu de chance de réussir ». (Photo AFP)
7 octobre 2005
Pierre Lellouche. « Villepin n'est qu'un exécutant »
Propos recueillis par Philippe Reinhard
Député de Paris, ancien conseiller diplomatique de Jacques Chirac,
Pierre Lellouche a récemment pris du galon.
Député de Paris, ancien conseiller diplomatique de Jacques Chirac,
Pierre Lellouche a récemment pris du galon. Il fait désormais partie
du premier cercle du président de l'UMP. En bon sarkozyste, il se
montre très critique envers Dominique de Villepin, reprochant au
Premier ministre de faire la même politique que celle qui prévalait
avant le référendum du 29 mai. Mais aussi de trop penser à la
présidentielle de 2007.
Député UMP, quel jugement portez-vous sur les premiers pas du
gouvernement Villepin ?
Dans l'épure, telle qu'elle a été fixée par le président de la
République, le Premier ministre a incontestablement bien joué. Il a
donné une image de jeunesse, de mouvement et d'élégance.
En réalité, Villepin fait du Chirac en plus jeune, en plus moderne.
Mais il fait exactement la même politique. On fait la même chose
qu'avant, avec, c'est vrai, un peu plus de séduction dans la démarche
et un peu plus d'efficacité dans la communication.
Vous ne croyez pas à l'effet Villepin ?
La personne du Premier ministre n'est pas en cause. Le problème est
que sa politique est celle du président de la République.
Villepin n'est qu'un exécutant. C'est la même politique que celle qui
prévalait avant le 29 mai. Même s'il y a une différence de style et
une pratique médiatique plus efficace.
Le Premier ministre est pourtant populaire. N'est-ce pas un bon signe
pour votre majorité ?
Villepin a construit une cote d'amour. Mais maintenant, il rentre
dans la difficulté. Pour ne prendre que deux exemples, il lui faut
résoudre le problème de la SNCM qui a gravement envenimé la question
corse, et il lui faut répondre aux préoccupations exprimées avec
force par les manifestations du 4 octobre.
Quelle doit être, à vos yeux, la réponse de la droite aux inquiétudes
du pays ?
Nous sommes confrontés aujourd'hui au vieux débat entre ceux qui
prônent la réforme et ceux qui se satisfont du statu quo.
J'appartiens résolument au camp de la réforme.
Croyez-vous à une candidature Villepin en 2007 ?
Je suis convaincu que c'est chez lui une véritable obsession. Et cela
ne date pas d'hier. Il y pense depuis au moins dix ans, et
probablement davantage.
Son problème est qu'il lui faut obtenir des résultats pour
crédibiliser son éventuelle candidature. Et, avec la politique qu'il
mène, il a peu de chances de réussir.
Pour obtenir des résultats, il faut mener une politique de réformes
en profondeur et avoir du temps. Or, ce Premier ministre n'a ni
politique de réforme, ni le temps nécessaire pour la mener à bien.
Vous participez à la primaire parisienne de l'UMP. Cette primaire
préfigure-t-elle les primaires présidentielles au sein de l'UMP ?
J'ai participé aux primaires UMP à Paris parce que je suis convaincu
que je suis le mieux placé pour battre le maire sortant. Le combat
pour la mairie de Paris n'est pas seulement local. Il est vrai par
ailleurs que les primaires décidées par la direction de l'UMP
constituent une sorte de galop d'essai. A Paris, comme demain au plan
national pour la désignation de notre candidat à l'élection
présidentielle, on a donné la parole aux militants. Plus personne ne
pourra la leur retirer.
Contrairement à l'immense majorité des élus de droite, vous avez pris
position depuis longtemps en faveur de l'adhésion de la Turquie à
l'Union européenne. Pourquoi ?
Le problème posé par l'adhésion de la Turquie à l'Union est majeur.
Aussi bien pour les Turcs que pour les Européens.
Ce qui reste en question, c'est l'identité de l'Europe et celle de la
Turquie. Si le processus engagé aboutit, la Turquie deviendra
pleinement européenne et démocratique. L'enjeu est considérable : si
nous gagnons ce pari, la preuve sera apportée qu'un Islam modéré est
possible et que la réconciliation avec le modèle occidental n'est pas
un leurre.
A l'inverse, une rupture acterait, sinon une guerre des
civilisations, l'existence d'un fossé profond. La Turquie laïque et
démocratique porte l'espoir d'un Islam moderne. Si l'Europe devait la
repousser, cela accentuerait les risques d'un conflit interne au
monde musulman. Nous aurions tout à craindre d'en subir un jour les
retombées.
Vous militez pour l'entrée de la Turquie dans l'Union. Et pourtant
l'accord intervenu cette semaine à Bruxelles ne vous satisfait pas
complètement. Pourquoi ?
Je ne regrette pas d'avoir fait partie du petit nombre de
responsables politiques qui ont plaidé pour que l'Europe ne ferme pas
la porte au nez des Turcs. Mais il fallait assortir l'acceptation du
processus de négociation d'un certain nombre de conditions. Même si
les Turcs ont fait de grands pas vers la démocratisation, il importe
de vérifier que les lois adoptées par Ankara seront réellement
opérationnelles. Il aurait surtout fallu s'assurer, avant l'ouverture
des négociations, que la Turquie accepte de s'engager sur plusieurs
dossiers essentiels.
Le premier touche d'abord à la question arménienne. Aussi longtemps
qu'elle n'aura pas accepté de faire son devoir de mémoire sur le
génocide arménien, et aussi longtemps qu'elle refusera de revoir ses
positions concernant l'ouverture des frontières avec l'Etat arménien,
elle ne pourra pas adhérer à l'Union européenne.
La deuxième pierre d'achoppement concerne Chypre. Il faut que la
Turquie mette un terme à l'occupation du nord de cette île
européenne, et il est inconcevable d'accepter dans l'Union un pays
qui refuserait de reconnaître un des Etats-membres. Je regrette que
les gouvernements européens, à commencer par le nôtre, n'aient pas
posé clairement ces questions à leur interlocuteur turc. Je souhaite
- et j'ai été un des seuls à le dire - l'adhésion de la Turquie. Mais
je regrette que l'on ait décidé d'engager ces négociations sur des
bases ambiguës.
Pensez-vous que Jacques Chirac a commis une erreur sur le dossier
turc ?
Dans cette affaire, le président de la République est cohérent avec
les propositions qu'il a formulées depuis longtemps. J'aurais préféré
qu'il précise les conditions qu'il convenait de poser à la Turquie.
Mais je reconnais que son objectif, qui est également le mien, est de
démontrer qu'entre l'Islam, l'Occident et l'Europe, la rupture n'est
pas inéluctable. Si la Turquie parvient à montrer qu'il existe une
voie démocratique pour l'Islam, ce sera un signal très fort pour le
monde musulman.
GRAPHIQUE: Photo, Legende: Proche de Nicolas Sarkozy, Pierre
Lellouche n'est pas tendre avec le Premier ministre. « Villepin fait
du Chirac en plus jeune, en plus moderne. Mais il fait exactement la
même politique. (...) Il a peu de chance de réussir ». (Photo AFP)