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Lien De Famille. "Je N'Oublierai Jamais Le Chant De Mon Pere". Varta

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  • Lien De Famille. "Je N'Oublierai Jamais Le Chant De Mon Pere". Varta

    LIEN DE FAMILLE. "JE N'OUBLIERAI JAMAIS LE CHANT DE MON PERE". VARTAN BERBERIAN. INGENIEUR.
    Montigny Evelyne

    La Croix
    12 avril 2006

    "Enfant, cent fois j'ai entendu: "Ce que ton père a endure pendant
    des annees de malheur, aucune bete au monde ne l'aurait supporte..."

    Mais personne ne voulait m'en dire plus. Par bribes, j'appris comment
    les familles de mes parents avaient disparu en terre d'Anatolie. Mais
    chez les Berberian, personne ne parlait du massacre de 1915. Chez nous,
    le genocide etait muet.

    Un jour, j'ai compris moi aussi que j'etais un fils du malheur. Mais
    un fils a qui son père s'etait donne pour mission d'apprendre chaque
    jour le bonheur de vivre!

    Etrange destinee que celle de mon père. Fils de paysan, il avait
    travaille la terre de ses mains dans les montagnes qui bordent la
    mer de Marmara, avant de se retrouver, lui, le miracule des camps de
    la mort turcs, mineur de fond dans le sud de la France, du côte de
    Gardanne. Puis il gagna la region parisienne. Notre première demeure,
    a Alfortville, fut une cave au sol de terre battue de 9 mý. Sombre
    d'aspect mais rayonnante d'amour. Mes parents etaient heureux de vivre,
    d'avoir fait leur trou. Leur nid. Malgre la pauvrete, je garde de ces
    annees d'enfance une impression de bonheur, sans doute parce que nous
    occupions tout le coeur de nos parents.

    Ma mère, Mayrig. Je ne peux oublier sa silhouette noire, petite et
    claudicante, sa devotion, son amour discret, sans effusion, et que
    sans cesse elle nous prodiguait.

    À chaque difficulte rencontree, a chaque retrouvailles comme a chaque
    depart, Mayrig savait nous reconforter et nous benir: "Que vive ton
    âme!", disait-elle en armenien, la seule langue qu'elle parlait:
    "Hoquit vortch ella!" Une moisson d'images pour dire le bonheur, où
    les mots tombaient tels des guirlandes de fleurs. Toujours le meme
    bonheur de nous voir, jamais la meme image. Comment faisait-elle? Je
    n'en ai recueilli a peine qu'une poignee, alors que j'aurais pu les
    monter en gerbes, par brassees.

    À mon père, Hayrig, je dois le goût du travail et la fierte de ne
    jamais me plaindre. Jusqu'a ses 96 ans, il resta droit, grand, l'oeil
    rive vers le lointain. Mais parfois une armee de fantômes l'assaillait
    et son chant, une melopee d'une tristesse infinie où il egrenait un
    a un le nom de ceux qu'il avait perdus, nous laissait entrevoir sa
    souffrance. Je n'oublierai jamais le chant de mon père.

    Lorsque je pense a mes parents, des bouffees de tendresse et de
    reconnaissance me submergent. Mais, au-dela de cet hommage, je voudrais
    transmettre a mes petits-enfants et arrière-petits-enfants la force
    de cette part mysterieuse de moi, venue d'Armenie, et ce message,
    issu d'un poème de Charles Aznavour, qui dit a nos frères turcs que
    lorsqu'ils auront arrache l'epine au coeur des Armeniens, ils pourront
    enfin ouvrir les voies de l'avenir, de l'esperance et du pardon."

    RECUEILLI PAR EVELYNE MONTIGNY

    L'ingenieur Vartan Berberian, inventeur de multiples brevets, a publie
    Le Figuier de mon père, ne du desir imperieux de rendre hommage a
    ceux qui lui ont permis de franchir les etapes d'une integration a la
    francaise. Vartan Berberian, âge de 80 ans, considère aujourd'hui qu'il
    a trois patries: la France où il est ne, l'Armenie de ses ancetres et
    la Marine qu'il a servie. Aux editions Anne Carrière, 360 p., 20 Euro.

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