L'affaire des Pilatus boycottes par Ankara embarrasse Berne;
Le Temps, Suisse
21 avril 2006
TENSIONS. Si les autorites federales prefèrent ne pas faire de lien
avec le genocide armenien, des fonctionnaires du Ministère turc des
affaires etrangères le font. Dans la presse turque.
Pilatus peine toujours a comprendre la decision du Ministère turc de
la defense de l'exclure d'un appel d'offres pour de nouveaux avions
d'entraînement. La societe, qui s'etait preparee depuis plus de quatre
ans a la possibilite de vendre des PC-21 a la Turquie, a ete ecartee
en tant qu'entreprise suisse. Ce qui laisse penser qu'Ankara aurait
pu agir ainsi dans la seule intention d'exprimer son mecontentement a
propos de l'attitude de la Suisse face au genocide armenien de 1915. Le
Conseil federal ne le reconnaît pas officiellement, mais le Conseil
national a accepte en 2003 un postulat en ce sens. Et le Grand Conseil
vaudois a, la meme annee, egalement reconnu le genocide des Armeniens.
Pour ne pas fragiliser davantage les relations entre la Suisse et
la Turquie, le Departement federal des affaires etrangères (DFAE)
prefère pour l'instant ne pas faire de lien entre les deux affaires.
Du moins, pas officiellement. Mais il a demande des explications aux
autorites turques. De son côte, Joseph Deiss, patron du departement qui
chapeaute le Secretariat d'Etat a l'economie (Seco) charge du contrôle
des exportations, a promis a Pilatus de faire la lumière sur cette
affaire lors de sa prochaine visite en Turquie. Le conseiller federal
attend toujours l'invitation d'Ankara. Son voyage turc prevu en automne
2005 avait ete annule en raison de deux enquetes penales ouvertes en
Suisse contre des intellectuels turcs pour negation du genocide.
De nouveau sur la liste noire?
Les autorites federales font profil bas mais sont bien conscientes
qu'il sera difficile de faire revenir Ankara sur sa decision.
Contrairement a Berne, le Turkish Daily News n'hesite pas a faire
le rapprochement avec la delicate question du genocide armenien. Le
journal a cite, le 28 mars dernier, un fonctionnaire du Ministère
turc des affaires etrangères qui qualifie d'irrealiste le fait de
penser qu'une societe suisse puisse participer a un programme de
defense turc. "Surtout a un moment où la dispute bilaterale a propos
du genocide armenien a profondement affecte les relations entre Berne
et Ankara", precise le fonctionnaire sous le sceau de l'anonymat.
La Turquie dispose d'une "liste noire" de pays a partir desquels
elle refuse d'importer du materiel militaire. La Suisse y figurait
encore jusqu'en avril 2005. Un mois plus tôt, le Conseil federal
avait normalise les procedures d'exportation d'armes vers la Turquie,
se basant sur les progrès d'Ankara en matière de democratie. Aucune
exportation n'avait ete autorisee depuis 1992. L'affaire des Pilatus
laisse aujourd'hui penser que la Suisse figure a nouveau sur la fameuse
liste noire turque. Mais personne n'est en mesure de le confirmer.
Un expert militaire base a Ankara cite par le Turkish Daily News
juge "parfaitement normal" que la Suisse ait ete ecartee de l'appel
d'offres puisque quand il s'est avere que des Pilatus, en l'occurrence
des PC-7, avaient ete utilises durant la guerre Iran-Irak, l'affaire
avait provoque une polemique en Suisse.
Generalement consideres comme des avions civils, les Pilatus ne
tombent pas sous le coup de la loi sur l'exportation du materiel
de guerre. Ils peuvent en revanche etre equipes de bombes ou de
roquettes. Des Pilatus avaient ainsi defraye la chronique pour avoir
servi a bombarder des populations indigènes au Guatemala, en Angola ou
encore en Birmanie. L'expert turc insinue que le gouvernement suisse
pourrait craindre que les Pilatus puissent a nouveau etre utilises
a autre chose qu'a des fins d'entraînement, par exemple contre les
combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Toujours selon l'expert, la decision d'Ankara pourrait s'expliquer par
le fait que le Ministère turc de la defense n'ait pas voulu courir le
risque que la Suisse, hesitante, puisse au dernier moment decider de
stopper la livraison de ses PC-21. Ce scenario ne trouve aucun echo
au sein de la Berne federale.
La Suisse ecartee, les Forces aeriennes turques pourraient faire leur
choix entre Korea Aerospace Industries (KAI), la societe bresilienne
Embraer et l'americaine Raytheon. Comme candidate a l'adhesion a
l'UE, il y a fort a parier que la Turquie n'aurait pas ose exclure
un avionneur europeen de son appel d'offres comme elle l'a fait
avec Pilatus.
Encadre: "Oui, nous sommes otages d'une affaire politique"
Par Valerie de Graffenried
Oscar Schwenk, patron de l'avionneur nidwaldien Pilatus, s'exprime
prudemment sur le boycott d'Ankara. Pour sa societe, decrocher le
contrat des forces aeriennes turques permettrait d'empocher près
d'un demi-milliard de francs. Le Temps: Vous considerez la decision
turque comme une mesure de retorsion suite a la polemique entre Berne
et Ankara concernant le genocide armenien. Vous sentez-vous donc
"otages" d'une affaire strictement politique? Oscar Schwenk: Oui.
Pilatus n'a jamais ete touche par une telle affaire auparavant. -
Qu'attendez-vous maintenant des departements de Joseph Deiss et
de Micheline Calmy-Rey? - Le conseiller federal Joseph Deiss, le
Secretariat d'Etat a l'economie (Seco) et l'ambassade (de Suisse
a Ankara, ndlr) sont deja actifs depuis plusieurs mois dans cette
affaire.
- Que representait pour vous ce contrat de 500 millions de francs?-
Chaque appel d'offres des forces aeriennes d'un pays pour des avions
d'entraînement suscite une forte concurrence entre les differentes
societes en mesure de repondre a l'offre. Le fait qu'il ne nous soit,
dans ce cas, pas permis de deposer une offre est discutable. Il
semble que la Turquie, extremement fâchee de l'attitude politique de
la Suisse, ait choisi une mesure de retorsion qui, comme entreprise
suisse, nous frappe lourdement.
- Pilatus a par le passe dû faire face a plusieurs polemiques.
Comment auriez-vous pu garantir, en cas de contrat avec la Turquie,
que vos avions ne soient pas utilises a des fins militaires, contre la
minorite kurde par exemple? - Lorsque nous exportons nos produits,
nous tenons compte de l'ordonnance et de la loi federale sur le
contrôle des biens. La Turquie fait partie des Etats mentionnes dans
l'annexe 4 de l'ordonnance sur le contrôle des biens qui prevoit que
des avions d'entrainement peuvent etre livres a la Turquie.
--Boundary_(ID_t0lpGeBJWYliwy7c1PlekA)--
Le Temps, Suisse
21 avril 2006
TENSIONS. Si les autorites federales prefèrent ne pas faire de lien
avec le genocide armenien, des fonctionnaires du Ministère turc des
affaires etrangères le font. Dans la presse turque.
Pilatus peine toujours a comprendre la decision du Ministère turc de
la defense de l'exclure d'un appel d'offres pour de nouveaux avions
d'entraînement. La societe, qui s'etait preparee depuis plus de quatre
ans a la possibilite de vendre des PC-21 a la Turquie, a ete ecartee
en tant qu'entreprise suisse. Ce qui laisse penser qu'Ankara aurait
pu agir ainsi dans la seule intention d'exprimer son mecontentement a
propos de l'attitude de la Suisse face au genocide armenien de 1915. Le
Conseil federal ne le reconnaît pas officiellement, mais le Conseil
national a accepte en 2003 un postulat en ce sens. Et le Grand Conseil
vaudois a, la meme annee, egalement reconnu le genocide des Armeniens.
Pour ne pas fragiliser davantage les relations entre la Suisse et
la Turquie, le Departement federal des affaires etrangères (DFAE)
prefère pour l'instant ne pas faire de lien entre les deux affaires.
Du moins, pas officiellement. Mais il a demande des explications aux
autorites turques. De son côte, Joseph Deiss, patron du departement qui
chapeaute le Secretariat d'Etat a l'economie (Seco) charge du contrôle
des exportations, a promis a Pilatus de faire la lumière sur cette
affaire lors de sa prochaine visite en Turquie. Le conseiller federal
attend toujours l'invitation d'Ankara. Son voyage turc prevu en automne
2005 avait ete annule en raison de deux enquetes penales ouvertes en
Suisse contre des intellectuels turcs pour negation du genocide.
De nouveau sur la liste noire?
Les autorites federales font profil bas mais sont bien conscientes
qu'il sera difficile de faire revenir Ankara sur sa decision.
Contrairement a Berne, le Turkish Daily News n'hesite pas a faire
le rapprochement avec la delicate question du genocide armenien. Le
journal a cite, le 28 mars dernier, un fonctionnaire du Ministère
turc des affaires etrangères qui qualifie d'irrealiste le fait de
penser qu'une societe suisse puisse participer a un programme de
defense turc. "Surtout a un moment où la dispute bilaterale a propos
du genocide armenien a profondement affecte les relations entre Berne
et Ankara", precise le fonctionnaire sous le sceau de l'anonymat.
La Turquie dispose d'une "liste noire" de pays a partir desquels
elle refuse d'importer du materiel militaire. La Suisse y figurait
encore jusqu'en avril 2005. Un mois plus tôt, le Conseil federal
avait normalise les procedures d'exportation d'armes vers la Turquie,
se basant sur les progrès d'Ankara en matière de democratie. Aucune
exportation n'avait ete autorisee depuis 1992. L'affaire des Pilatus
laisse aujourd'hui penser que la Suisse figure a nouveau sur la fameuse
liste noire turque. Mais personne n'est en mesure de le confirmer.
Un expert militaire base a Ankara cite par le Turkish Daily News
juge "parfaitement normal" que la Suisse ait ete ecartee de l'appel
d'offres puisque quand il s'est avere que des Pilatus, en l'occurrence
des PC-7, avaient ete utilises durant la guerre Iran-Irak, l'affaire
avait provoque une polemique en Suisse.
Generalement consideres comme des avions civils, les Pilatus ne
tombent pas sous le coup de la loi sur l'exportation du materiel
de guerre. Ils peuvent en revanche etre equipes de bombes ou de
roquettes. Des Pilatus avaient ainsi defraye la chronique pour avoir
servi a bombarder des populations indigènes au Guatemala, en Angola ou
encore en Birmanie. L'expert turc insinue que le gouvernement suisse
pourrait craindre que les Pilatus puissent a nouveau etre utilises
a autre chose qu'a des fins d'entraînement, par exemple contre les
combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Toujours selon l'expert, la decision d'Ankara pourrait s'expliquer par
le fait que le Ministère turc de la defense n'ait pas voulu courir le
risque que la Suisse, hesitante, puisse au dernier moment decider de
stopper la livraison de ses PC-21. Ce scenario ne trouve aucun echo
au sein de la Berne federale.
La Suisse ecartee, les Forces aeriennes turques pourraient faire leur
choix entre Korea Aerospace Industries (KAI), la societe bresilienne
Embraer et l'americaine Raytheon. Comme candidate a l'adhesion a
l'UE, il y a fort a parier que la Turquie n'aurait pas ose exclure
un avionneur europeen de son appel d'offres comme elle l'a fait
avec Pilatus.
Encadre: "Oui, nous sommes otages d'une affaire politique"
Par Valerie de Graffenried
Oscar Schwenk, patron de l'avionneur nidwaldien Pilatus, s'exprime
prudemment sur le boycott d'Ankara. Pour sa societe, decrocher le
contrat des forces aeriennes turques permettrait d'empocher près
d'un demi-milliard de francs. Le Temps: Vous considerez la decision
turque comme une mesure de retorsion suite a la polemique entre Berne
et Ankara concernant le genocide armenien. Vous sentez-vous donc
"otages" d'une affaire strictement politique? Oscar Schwenk: Oui.
Pilatus n'a jamais ete touche par une telle affaire auparavant. -
Qu'attendez-vous maintenant des departements de Joseph Deiss et
de Micheline Calmy-Rey? - Le conseiller federal Joseph Deiss, le
Secretariat d'Etat a l'economie (Seco) et l'ambassade (de Suisse
a Ankara, ndlr) sont deja actifs depuis plusieurs mois dans cette
affaire.
- Que representait pour vous ce contrat de 500 millions de francs?-
Chaque appel d'offres des forces aeriennes d'un pays pour des avions
d'entraînement suscite une forte concurrence entre les differentes
societes en mesure de repondre a l'offre. Le fait qu'il ne nous soit,
dans ce cas, pas permis de deposer une offre est discutable. Il
semble que la Turquie, extremement fâchee de l'attitude politique de
la Suisse, ait choisi une mesure de retorsion qui, comme entreprise
suisse, nous frappe lourdement.
- Pilatus a par le passe dû faire face a plusieurs polemiques.
Comment auriez-vous pu garantir, en cas de contrat avec la Turquie,
que vos avions ne soient pas utilises a des fins militaires, contre la
minorite kurde par exemple? - Lorsque nous exportons nos produits,
nous tenons compte de l'ordonnance et de la loi federale sur le
contrôle des biens. La Turquie fait partie des Etats mentionnes dans
l'annexe 4 de l'ordonnance sur le contrôle des biens qui prevoit que
des avions d'entrainement peuvent etre livres a la Turquie.
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