Libération
10 août 2006
L'histoire veut être hors la loi;
Livre. Deux retours sur la controverse autour des législations
"mémorielles".
p ar VAULERIN Arnaud
Tout est figé. Le débat sur les lois mémorielles qui, en début
d'année, a opposé parlementaires, historiens et minorités oubliées
n'a pas abouti. Trop de passions, de pressions, d'empressements.
Quelques mois après la vive polémique, René Rémond, président de la
Fondation nationale des sciences politiques, revient sur la
controverse dans un entretien alerte et serein mené par l'historien
François Azouvi. Il examine les pièges laissés par les "lois
relatives à l'histoire" : c'est-à-dire la loi Gayssot du 13 juillet
1990 sur le négationnisme, la loi du 29 janvier 2001 sur la
reconnaissance du génocide arménien, la loi Taubira du 21 mai 2001
sur la traite négrière et le texte du 23 février 2005 reconnaissant
un "rôle positif" à la colonisation que le Conseil constitutionnel
déclassera sur injonction du président de la République.
René Rémond retrace la mobilisation des historiens qui a suivi la
mise en accusation d'un des leurs, Olivier Pétré-Grenouilleau. Au
titre de la loi Taubira, il était poursuivi pour avoir déclaré lors
d'une interview que les "traites négrières ne sont pas des
génocides". Une pétition avait été lancée, une association créée -
Liberté pour l'histoire -, les plaintes ont finalement été
abandonnées. Mais le malaise demeure, tout comme subsiste la
"contradiction objective entre l'application de la loi et
l'établissement de la vérité".
"Est-ce le rôle des représentants de la nation de se prononcer dans
un tel débat ? Sont-ils qualifiés à cette fin ?" interroge René
Rémond. Dans un "mouvement de longue durée qui vise à réécrire
l'histoire en fonction des minorités oubliées", il milite pour que la
discipline ne succombe pas au "péché d'anachronisme", ne verse pas
dans le "relativisme culturel". En chercheur prudent, René Rémond se
fait l'apôtre de l'ambivalence que "l'histoire nous apprend et que
l'enseignement doit mettre en lumière". Ainsi, "la colonisation a
produit des effets positifs et négatifs", dit-il, soulignant que le
"législateur ne rend pas justice à cette complexité".
Pis, avec la multiplication des lois particulières, celui-ci
participe insidieusement au délitement du corps social.
Dans un texte lapidaire, Emmanuel Terray se saisit, lui, avec fougue
de cette "contemplation du passé". L'anthropologue, directeur
d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, étrille
les "militants de la mémoire" et leur "exaltation". Et s'agace de la
prolifération des victimes indirectes qui ont tendance à "s'abriter
derrière les morts pour présenter leur propre cas". Certaines de ses
saillies sur la transmission des souffrances sont discutables.
D'autres réflexions comme le "devoir d'oubli" que prône Terray sont
plus étayées.
Quand l'Etat se mêle de l'histoire entretiens de François Azouvi avec
René Rémond, Stock, 108 pp., 12 euros.
Face aux abus de mémoire d'Emmanuel Terray, Actes Sud, 74 pp., 12
euros.
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
10 août 2006
L'histoire veut être hors la loi;
Livre. Deux retours sur la controverse autour des législations
"mémorielles".
p ar VAULERIN Arnaud
Tout est figé. Le débat sur les lois mémorielles qui, en début
d'année, a opposé parlementaires, historiens et minorités oubliées
n'a pas abouti. Trop de passions, de pressions, d'empressements.
Quelques mois après la vive polémique, René Rémond, président de la
Fondation nationale des sciences politiques, revient sur la
controverse dans un entretien alerte et serein mené par l'historien
François Azouvi. Il examine les pièges laissés par les "lois
relatives à l'histoire" : c'est-à-dire la loi Gayssot du 13 juillet
1990 sur le négationnisme, la loi du 29 janvier 2001 sur la
reconnaissance du génocide arménien, la loi Taubira du 21 mai 2001
sur la traite négrière et le texte du 23 février 2005 reconnaissant
un "rôle positif" à la colonisation que le Conseil constitutionnel
déclassera sur injonction du président de la République.
René Rémond retrace la mobilisation des historiens qui a suivi la
mise en accusation d'un des leurs, Olivier Pétré-Grenouilleau. Au
titre de la loi Taubira, il était poursuivi pour avoir déclaré lors
d'une interview que les "traites négrières ne sont pas des
génocides". Une pétition avait été lancée, une association créée -
Liberté pour l'histoire -, les plaintes ont finalement été
abandonnées. Mais le malaise demeure, tout comme subsiste la
"contradiction objective entre l'application de la loi et
l'établissement de la vérité".
"Est-ce le rôle des représentants de la nation de se prononcer dans
un tel débat ? Sont-ils qualifiés à cette fin ?" interroge René
Rémond. Dans un "mouvement de longue durée qui vise à réécrire
l'histoire en fonction des minorités oubliées", il milite pour que la
discipline ne succombe pas au "péché d'anachronisme", ne verse pas
dans le "relativisme culturel". En chercheur prudent, René Rémond se
fait l'apôtre de l'ambivalence que "l'histoire nous apprend et que
l'enseignement doit mettre en lumière". Ainsi, "la colonisation a
produit des effets positifs et négatifs", dit-il, soulignant que le
"législateur ne rend pas justice à cette complexité".
Pis, avec la multiplication des lois particulières, celui-ci
participe insidieusement au délitement du corps social.
Dans un texte lapidaire, Emmanuel Terray se saisit, lui, avec fougue
de cette "contemplation du passé". L'anthropologue, directeur
d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, étrille
les "militants de la mémoire" et leur "exaltation". Et s'agace de la
prolifération des victimes indirectes qui ont tendance à "s'abriter
derrière les morts pour présenter leur propre cas". Certaines de ses
saillies sur la transmission des souffrances sont discutables.
D'autres réflexions comme le "devoir d'oubli" que prône Terray sont
plus étayées.
Quand l'Etat se mêle de l'histoire entretiens de François Azouvi avec
René Rémond, Stock, 108 pp., 12 euros.
Face aux abus de mémoire d'Emmanuel Terray, Actes Sud, 74 pp., 12
euros.
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress