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Papiers D'Armenie

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    PAPIERS D'ARMENIE
    Par Christophe Boltanski

    Liberation, France
    28 Juin 2006

    Portrait
    Robert Guediguian, 53 ans, realisateur. Le Pagnol marxiste du cinema
    contemporain quitte avec les siens l'Estaque et Marseille pour un
    film sur ses origines armeniennes.

    La lumière revenue, le voila une fois de plus debout devant l'ecran,
    entoure de son cortège habituel. Faute de megaphone, il tient un micro,
    qu'il cède de temps en temps a ses collègues et amis pour le reprendre
    très vite. Cela se voit. Discourir, plaider, repondre aux questions,
    retourner une foule, il adore ca. Ce soir-la, il presente sa dernière
    oeuvre, a Montreuil, sa ville depuis vingt ans. Chacun de ses opus
    donne lieu aux memes manifestations publiques. Robert Guediguian
    fait des films pour en parler. Il avoue etre "un inconditionnel
    des debats", qu'il multiplie a travers la France. S'il transforme
    les salles obscures en tribunes, ce n'est pas par nostalgie du
    cine-club, mais par goût de la cite. Comme la guerre, le cinema est
    une continuation de la politique par d'autres moyens. Le natif de
    l'Estaque veut retrouver les rues populeuses de son enfance et leurs
    joutes oratoires. L'ancien communiste, l'orphelin du parti, provoque
    sans cesse des reunions de cellule.

    Peuplee de dockers, de patrons de bar, de riches, de pauvres, de
    chômeurs, de camarades, parfois de sympathisants du Front national, sa
    cellule fut longtemps identifiee a Marseille, son port, son accent,
    sa verve, sa violence. Il a mis cette fois plusieurs milliers
    de kilomètres entre sa camera et son Midi rouge. Dans le Voyage
    en Armenie, Ariane Ascaride, son actrice fetiche et epouse dans
    la vie, recherche un père parmi les hautes montagnes du Caucase,
    les chapelles ancestrales et les friches postsovietiques, sur fond
    de legendes et de cimes neigeuses et bibliques. Après le conteur
    de l'Estaque, Guediguian l'Armenien ? Cette quete des origines a
    travers l'Asie centrale etonne jusqu'a ces proches. "Ce thème est un
    peu surprenant. Il faisait partie de ces Armeniens de Marseille qui
    ne parlaient jamais de ca", raconte Pierre Ascaride, frère d'Ariane
    et directeur du theâtre de Malakoff. "Ca ne compte toujours pas",
    insiste son beau-frère, qui, en "vieux marxiste", continue de placer
    "la lutte des classes" au-dessus de tout. Mais les faits sont tetus.

    Les banlieues ont explose et la question de l'identite avec. "Il faut
    se coltiner au reel", repète Robert Guediguian, qui, toujours en bon
    marxiste, commence par sonder ses propres contradictions.

    Avant qu'il ne decouvre ce petit pays en 2000, de manière presque
    fortuite, lors d'une retrospective de ses films a Erevan, son
    armenite se resumait a quelques plats cuisines et a des souvenirs
    de famille lies au genocide. Des recits terrifiants d'un oncle
    recueilli a 11 ans par des Bedouins, d'une soeur de son grand-père
    morte suicidee pour ne pas etre violee par les Turcs, d'une tante
    qui avait traverse a pied le desert de pierres jusqu'a Deir ez-Zor
    (Syrie actuelle). Ne a Marseille, docker, militant CGT, son père
    n'a jamais cultive cette part de lui-meme. "Il ne s'entendait pas
    très bien avec mes grands-parents et il appartenait a cette première
    generation impatiente de s'integrer." Ce film est d'abord un don de
    son epouse, Ariane. Elle en a tisse le fil, ecrit le scenario avec
    la romancière Marie Desplechin. "C'est un cadeau qu'elle lui a fait",
    explique cette dernière. Ariane Ascaride dit etre "tombee amoureuse"
    de l'Armenie. Au point que sa fille, par derision, l'a rebaptise
    "Ascaridian". C'est aussi pour elle un substitut, une facon d'aborder
    ses propres origines : "Je suis italienne. Il m'est plus facile de
    parler de cette identite via l'Armenie."

    Et si, pour Robert Guediguian, cette contree lointaine servait
    egalement de derivatif ? Sa langue maternelle, insiste-t-il, n'est pas
    l'armenien, mais l'allemand. Sa part d'ombre, son point nevralgique
    est a rechercher de ce côte-la. La rencontre entre son père et sa mère
    tient a l'un de ces hasards que seules les guerres suscitent. STO,
    lui travaillait dans un hôpital en Westphalie. Elle venait voir
    un patient. "Un vrai coup de foudre." Elle l'a epouse et suivi a
    Marseille. Jeune Allemande dans la France de la Liberation, elle vit
    un calvaire. A l'Estaque, bastion communiste, "le parti des 100 000
    fusilles", on lui crache dessus dans la rue. Robert Guediguian apprend
    très vite a se battre. "A la maternelle, je me foutais sur la gueule
    avec des gamins qui me traitaient de sale Boche." Le pas de la porte
    franchi, il quitte le Sud pour entrer dans une Allemagne immuable où
    tout est propre et precis. Sa mère porte la blouse, invariablement
    blanche le dimanche. Elle entretient les traditions de son village,
    celèbre ses fetes, parle son patois.

    "C'etait une drôle de situation, declare son fils. Les genocidaires
    d'un côte, les genocides de l'autre. Je ne me suis jamais senti ni
    bourreau, ni victime. Je suis responsable de moi." Il en tire une
    position de principe simple sur le caractère indivisible de l'espèce
    humaine et revendique la possibilite de changer d'identite. Il
    a passe de nombreuses vacances enfant chez ses oncles et tantes
    en Westphalie. Il est germaniste. Malgre l'influence très forte de
    Brecht sur son travail, cette veine-la, trop proche, trop douloureuse,
    reste inexploitee.

    Et si son voyage en Armenie etait une fuite ? Une nouvelle echappee de
    l'Estaque ? La cellule peut parfois devenir une geôle. Juste avant,
    il y avait eu sa promenade du Champ-de-Mars. Une autre evasion. Le
    portrait d'un Mitterrand moribond, une reflexion sur le temps et
    la mort. Mais il se defend de prendre ses distances et prevoit de
    refaire un tournage a Marseille cet hiver. "Cela faisait longtemps
    que ca s'imposait." Qu'importe le lieu. L'Estaque ne le quitte jamais
    vraiment. Partout où il va, il emmène sa bande, ses amis acteurs et
    techniciens qui le suivent de film en film et avec qui il travaille
    de facon collegiale et plutôt egalitaire.

    Son arche a donc echoue au pied du mont Ararat. Il a meme reussi
    le tour de force de transformer Gerard Meylan, son presque frère,
    le Marius de Jeannette, l'infirmier de la Timone, en heros militaire
    armenien. Robert Guediguian ne supporte pas d'etre seul. Il lui faut
    un public. Il ne peut vivre que dans un collectif. "Etre toujours
    dans la rue, parler a tout le monde, c'est l'Estaque", dit-il.

    Toujours l'Estaque.

    Quand il travaille sur un scenario, au bout d'une demi-journee, il
    doit faire lire a quelqu'un ce qu'il a ecrit. A 14 ans, il a rejoint
    le PCF, cette famille aussi accueillante qu'exigeante et jalouse.

    Toute sa jeunesse, il n'a fait que militer. Puis il a pris du champ
    et a enfin dechire sa carte sur fond de glaciation, de rupture
    du programme commun, de fin de l'eurocommunisme et d'invasion
    de l'Afghanistan. "C'a ete très douloureux pour lui, aussi bien
    affectivement qu'intellectuellement", raconte Ariane Ascaride. Il
    finissait alors une thèse sur l'histoire du mouvement ouvrier
    francais. Il etait aussi cinephile. Aujourd'hui, il est cineaste et
    il est redevenu proche des positions d'un PC renove.

    Son envie de tournage part d'une envie de plateau, d'un besoin
    de retrouver une communaute. La cellule comme unite fondamentale
    de la vie. "J'ai fait du cinema pour que la tribu se perpetue",
    explique-t-il. Ariane etudiait les arts dramatiques a Paris. La
    belle equipe est nee de l'assemblage des copains d'enfance de Robert
    et d'une classe du conservatoire. La bande compose un generique où
    chacun connaît son rôle a l'avance. "Sur les films de Robert, on
    parle de tout sauf du tournage. On n'a pas besoin d'explications,
    car on a la meme origine, la meme vision du monde. Chacun sait ce
    qu'il doit faire", declare Ariane Ascaride.

    Dates Robert Guediguian en 6 dates 1953 Naissance a l'Estaque,
    quartier de Marseille.

    1968 Entre aux Jeunesses communistes.

    1980 Rompt avec le PCF. Tourne son premier film, Dernier Ete.

    1984 Rouge Midi est presente a Cannes.

    2004 Le Promeneur du Champ-de-Mars.

    2006 Le Voyage en Armenie.

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    From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
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