LES "VENGEURS" ARMENIENS
Gaïdz Minassian
Le Monde, France
28 Juin 2006
Qui le sait ? La Turquie a reconnu le genocide des Armeniens de 1915.
En juin 1919, lors de la Conference de la paix a Paris, Damad Ferid
Pacha, premier ministre turc, declare : "Presque tout le monde civilise
s'est emu au recit des crimes que les Turcs auraient commis.
Loin de moi la pensee de travestir ces forfaits (...). Je chercherai
encore moins a attenuer le degre de culpabilite des auteurs du grand
drame." Des mots qui brûlent encore la langue de ses successeurs a
Ankara, mais que l'on peut lire dans La Dette de sang, d'Archavir
Chiragian, que les editions Complexe reeditent a trois mois de
l'ouverture de l'Annee de l'Armenie en France (de septembre a juillet
2007), avec La Republique d'Armenie 1918-1920, d'Anahide Ter Minassian
(326 pages, 11,60 ~@), et Le Genocide des Armeniens : 1915-1917,
d'Yves Ternon et Gerard Chaliand (220 p., 8,99 ~@).
Comment ces Memoires d'un jeune Armenien de Turquie ne pourraient-ils
pas, vingt-quatre ans après leur première publication en francais
(Ramsay), seduire l'amateur de polar ? Archavir Chiragian est alors
membre de la Federation revolutionnaire armenienne (Dachnak), l'une
des formations qui, aujourd'hui justement, participe au pouvoir a
Erevan. Dans un style froid, il raconte comment ce parti a decide de
rendre justice lui-meme en eliminant les responsables jeunes-turcs du
genocide, condamnes a mort par contumace en 1919 a Constantinople,
mais auxquels la sentence n'a jamais ete appliquee, en raison des
reticences turques et des carences du droit international d'alors.
L'operation "Nemesis" commence.
A 19 ans, le jeune Archavir apprend qu'il doit abattre a Rome et
a Berlin trois dirigeants jeunes-turcs. Dans un minutieux recit a
la première personne, Archavir "le diabolique", comme l'appellent
les agents secrets turcs lances a sa poursuite, decrit filatures et
autres techniques clandestines avec une precision qui interessera
les specialistes du terrorisme. L'homme charge de tuer ne doit pas
apparaître dans les reunions preparatoires ; aucun membre du reseau ne
connaît sa "planque". "Mercure", comme le surnomment ses camarades,
parce qu'il parle et se deplace rapidement, court "brasseries, halls
d'hôtels et restaurants" pour mieux "se comporter en simple etudiant
ou touriste".
La taupe Hratch Papazian, alias "Mehmet Ali", infiltree au coeur des
cercles jeunes-turcs en exil a Berlin, ne neglige ainsi aucun detail
: pour devenir un parfait musulman, il se fait circoncire, parle un
turc limpide et partage le cafe avec les bourreaux, devenus pourtant
mefiants. Quelques annees plus tard, Hratch Papazian finira sa vie
comme depute au Parlement syrien après la seconde guerre mondiale.
Archavir Chiragian n'oublie pas le fetichisme prise par les
terroristes. A chaque operation, il porte en rituel la meme chemise
blanche sans col ; liquette qu'il conservera jusqu'a sa mort, en 1973
en Californie, où il a prospere comme homme d'affaires americain.
Ces Memoires de guerre ne sont pas exempts d'un certain manicheisme
: l'auteur ne dit rien, par exemple, du rôle d'informateur des
Britanniques, qui contrôlaient Constantinople, dans l'operation
"Nemesis", ou encore des raisons qui ont conduit le Dachnak a
interrompre les attentats.
S'ajoute enfin l'interet d'un temoignage quasi unique sur un genocide
vieux bientôt d'un siècle, mais qui continue ces derniers mois, y
compris en France, a alimenter la polemique. Et meme si, helas, comme
l'analyse Marc Nichanian, professeur a la Columbia University a New
York, dans La Perversion historiographique, une reflexion armenienne
(ed. Lignes-Manifestes, 212 p., 17 ~@), certains s'emploient encore a
nier methodiquement l'existence des chambres a gaz ou l'extermination
des Armeniens dans l'Empire ottoman.
LA DETTE DE SANG d'Archavir Chiragian, Complexe, 352 pages, 9,90 ~@.
--Boundary_(ID_9SWJ9hPYseB3XoNK72TTiw)--
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
Gaïdz Minassian
Le Monde, France
28 Juin 2006
Qui le sait ? La Turquie a reconnu le genocide des Armeniens de 1915.
En juin 1919, lors de la Conference de la paix a Paris, Damad Ferid
Pacha, premier ministre turc, declare : "Presque tout le monde civilise
s'est emu au recit des crimes que les Turcs auraient commis.
Loin de moi la pensee de travestir ces forfaits (...). Je chercherai
encore moins a attenuer le degre de culpabilite des auteurs du grand
drame." Des mots qui brûlent encore la langue de ses successeurs a
Ankara, mais que l'on peut lire dans La Dette de sang, d'Archavir
Chiragian, que les editions Complexe reeditent a trois mois de
l'ouverture de l'Annee de l'Armenie en France (de septembre a juillet
2007), avec La Republique d'Armenie 1918-1920, d'Anahide Ter Minassian
(326 pages, 11,60 ~@), et Le Genocide des Armeniens : 1915-1917,
d'Yves Ternon et Gerard Chaliand (220 p., 8,99 ~@).
Comment ces Memoires d'un jeune Armenien de Turquie ne pourraient-ils
pas, vingt-quatre ans après leur première publication en francais
(Ramsay), seduire l'amateur de polar ? Archavir Chiragian est alors
membre de la Federation revolutionnaire armenienne (Dachnak), l'une
des formations qui, aujourd'hui justement, participe au pouvoir a
Erevan. Dans un style froid, il raconte comment ce parti a decide de
rendre justice lui-meme en eliminant les responsables jeunes-turcs du
genocide, condamnes a mort par contumace en 1919 a Constantinople,
mais auxquels la sentence n'a jamais ete appliquee, en raison des
reticences turques et des carences du droit international d'alors.
L'operation "Nemesis" commence.
A 19 ans, le jeune Archavir apprend qu'il doit abattre a Rome et
a Berlin trois dirigeants jeunes-turcs. Dans un minutieux recit a
la première personne, Archavir "le diabolique", comme l'appellent
les agents secrets turcs lances a sa poursuite, decrit filatures et
autres techniques clandestines avec une precision qui interessera
les specialistes du terrorisme. L'homme charge de tuer ne doit pas
apparaître dans les reunions preparatoires ; aucun membre du reseau ne
connaît sa "planque". "Mercure", comme le surnomment ses camarades,
parce qu'il parle et se deplace rapidement, court "brasseries, halls
d'hôtels et restaurants" pour mieux "se comporter en simple etudiant
ou touriste".
La taupe Hratch Papazian, alias "Mehmet Ali", infiltree au coeur des
cercles jeunes-turcs en exil a Berlin, ne neglige ainsi aucun detail
: pour devenir un parfait musulman, il se fait circoncire, parle un
turc limpide et partage le cafe avec les bourreaux, devenus pourtant
mefiants. Quelques annees plus tard, Hratch Papazian finira sa vie
comme depute au Parlement syrien après la seconde guerre mondiale.
Archavir Chiragian n'oublie pas le fetichisme prise par les
terroristes. A chaque operation, il porte en rituel la meme chemise
blanche sans col ; liquette qu'il conservera jusqu'a sa mort, en 1973
en Californie, où il a prospere comme homme d'affaires americain.
Ces Memoires de guerre ne sont pas exempts d'un certain manicheisme
: l'auteur ne dit rien, par exemple, du rôle d'informateur des
Britanniques, qui contrôlaient Constantinople, dans l'operation
"Nemesis", ou encore des raisons qui ont conduit le Dachnak a
interrompre les attentats.
S'ajoute enfin l'interet d'un temoignage quasi unique sur un genocide
vieux bientôt d'un siècle, mais qui continue ces derniers mois, y
compris en France, a alimenter la polemique. Et meme si, helas, comme
l'analyse Marc Nichanian, professeur a la Columbia University a New
York, dans La Perversion historiographique, une reflexion armenienne
(ed. Lignes-Manifestes, 212 p., 17 ~@), certains s'emploient encore a
nier methodiquement l'existence des chambres a gaz ou l'extermination
des Armeniens dans l'Empire ottoman.
LA DETTE DE SANG d'Archavir Chiragian, Complexe, 352 pages, 9,90 ~@.
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From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress