Le Figaro, France
30 juin 2006
L'appel d'Erdogan aux Turcs de France
par Thierry Oberlé
LE FIGARO. - La marche de la Turquie vers l'Europe est semée
d'obstacles. Malgré tout, conservez-vous un enthousiasme intact pour
cette aventure ? Recep Tayyip ERDOGAN. - Nous savions dès le départ
que la route serait dure et nous avons eu le temps de nous habituer
aux difficultés. Notre avantage sur les candidats qui nous ont
précédés est d'être les seuls à avoir été acceptés dans l'Union
douanière avant l'ouverture des négociations.
Notre tche est ardue mais nous allons réussir. La Turquie est-elle
traitée par l'Union Européenne en candidat comme les autres ? Nos
amis nous disent que la Turquie est perçue comme un pays un peu
différent des autres nations récemment admises dans l'UE. Il y a des
petits pays d'un million d'habitants avec qui ils partagent des
valeurs et une civilisation identiques. Et puis il y a la Turquie, un
grand pays avec 73 millions d'habitants et, selon certains, une autre
civilisation. Mais cette approche commence à être dépassée. La
Turquie ne veut pas entrer dans l'Europe pour être un poids ; elle
veut au contraire alléger la charge de l'Europe. L'UE reproche à la
Turquie son refus d'ouvrir ses ports aux bateaux gréco-chypriotes.
Allez-vous prendre le risque d'une interruption des pourparlers ? On
ne peut pas imaginer que les négociations s'interrompent car il
s'agit de sujets différents. Il est tout à fait contraire à l'acquis
communautaire de mettre dans le même sac les négociations sur Chypre
et les négociations d'adhésion à l'UE. Les chapitres sont clairement
déterminés dans la feuille de route et il ne serait pas correct
d'avoir une approche politique de dossiers techniques. Parallèlement,
nous allons maintenir notre position tant que la Chypre du Nord sera
maintenue dans l'isolement. L'UE, l'ONU et nos amis américains
avaient insisté pour que nous fassions le nécessaire pour que les
Chypriotes turcs soutiennent le plan Annan. Nous avons fait pression
malgré une opposition interne et le plan a été approuvé par
référendum. Chypre du Nord a voté oui à la paix et à la cohabitation
sur l'île alors que Chypre du Sud a voté non. Aujourd'hui les
chypriotes turcs sont punis alors que les chypriotes grecs sont
récompensés. Est-ce juste ? Les négociations ne sont-elles pas un
marché de dupes dans la mesure où le dernier mot reviendra, par
référendum, aux Français qui sont plutôt hostiles à l'entrée de la
Turquie dans l'UE ? Le peuple français est notre ami. La France est
l'un des premiers investisseurs en Turquie et l'un de nos trois
principaux partenaires économiques. Paris a par le passé travaillé la
main dans la main avec Ankara dans le processus d'ouverture vers
l'Europe et l'Occident. Je suis persuadé que l'approche négative de
l'opinion française vis-à-vis de la Turquie est liée à un problème de
communication et de rupture entre les générations. Nous n'avons pas
réussi à bien nous présenter et à nous expliquer. Nous avons 500 000
citoyens qui vivent en France : il faut qu'ils s'organisent mieux
afin de rapprocher nos deux pays. Ils doivent jouer un rôle de pont.
Tant qu'ils n'auront pas de problème d'intégration nous pourrons
dépasser les difficultés. L'intégration des Turcs vous paraît-elle
réussie ? Notre population est propice à une intégration réussie.
Dans certaines régions comme l'Alsace, c'est le cas, mais cela n'est
pas encore vrai partout. Seuls 100 000 des 500 000 Turcs installés en
France sont devenus citoyens français. Il y a dans ce domaine une
espèce de conservatisme turc qu'il faut dépasser. Il faut les
convaincre d'avancer pour qu'ils deviennent dans le processus
d'intégration nos yeux, nos oreilles et notre coeur. Classez-vous la
France de l'après-référendum du 29 mai 2005 dans le camp des
«antiturcs» ? Il n'est pas question d'avoir ce genre de considération
parce qu'en politique et principalement en politique internationale
on ne peut se baser sur de la haine ou de la rancune. Mais parfois il
y a des états d'me, des humeurs. Où en sont vos relations avec Paris
au lendemain de l'affaire du projet de loi sur la criminalisation de
la négation du génocide arménien ? Les relations suivent leur cours,
mais il faut avouer que ce genre d'initiative nous attriste. Dans
aucun pays au monde le prétendu génocide arménien n'est aussi en
vogue qu'en France. Nous disons : laissons cette affaire aux
historiens. Nous ouvrons toutes nos archives, que l'Arménie et les
pays tiers qui détiennent des documents fassent de même pour
permettre d'engager ensuite un débat. J'ai envoyé une lettre au
président arménien Kocharian exprimant ce point de vue. Nous n'avons
pas eu pour le moment la réponse escomptée et je crains que la
diaspora arménienne joue un mauvais jeu.
30 juin 2006
L'appel d'Erdogan aux Turcs de France
par Thierry Oberlé
LE FIGARO. - La marche de la Turquie vers l'Europe est semée
d'obstacles. Malgré tout, conservez-vous un enthousiasme intact pour
cette aventure ? Recep Tayyip ERDOGAN. - Nous savions dès le départ
que la route serait dure et nous avons eu le temps de nous habituer
aux difficultés. Notre avantage sur les candidats qui nous ont
précédés est d'être les seuls à avoir été acceptés dans l'Union
douanière avant l'ouverture des négociations.
Notre tche est ardue mais nous allons réussir. La Turquie est-elle
traitée par l'Union Européenne en candidat comme les autres ? Nos
amis nous disent que la Turquie est perçue comme un pays un peu
différent des autres nations récemment admises dans l'UE. Il y a des
petits pays d'un million d'habitants avec qui ils partagent des
valeurs et une civilisation identiques. Et puis il y a la Turquie, un
grand pays avec 73 millions d'habitants et, selon certains, une autre
civilisation. Mais cette approche commence à être dépassée. La
Turquie ne veut pas entrer dans l'Europe pour être un poids ; elle
veut au contraire alléger la charge de l'Europe. L'UE reproche à la
Turquie son refus d'ouvrir ses ports aux bateaux gréco-chypriotes.
Allez-vous prendre le risque d'une interruption des pourparlers ? On
ne peut pas imaginer que les négociations s'interrompent car il
s'agit de sujets différents. Il est tout à fait contraire à l'acquis
communautaire de mettre dans le même sac les négociations sur Chypre
et les négociations d'adhésion à l'UE. Les chapitres sont clairement
déterminés dans la feuille de route et il ne serait pas correct
d'avoir une approche politique de dossiers techniques. Parallèlement,
nous allons maintenir notre position tant que la Chypre du Nord sera
maintenue dans l'isolement. L'UE, l'ONU et nos amis américains
avaient insisté pour que nous fassions le nécessaire pour que les
Chypriotes turcs soutiennent le plan Annan. Nous avons fait pression
malgré une opposition interne et le plan a été approuvé par
référendum. Chypre du Nord a voté oui à la paix et à la cohabitation
sur l'île alors que Chypre du Sud a voté non. Aujourd'hui les
chypriotes turcs sont punis alors que les chypriotes grecs sont
récompensés. Est-ce juste ? Les négociations ne sont-elles pas un
marché de dupes dans la mesure où le dernier mot reviendra, par
référendum, aux Français qui sont plutôt hostiles à l'entrée de la
Turquie dans l'UE ? Le peuple français est notre ami. La France est
l'un des premiers investisseurs en Turquie et l'un de nos trois
principaux partenaires économiques. Paris a par le passé travaillé la
main dans la main avec Ankara dans le processus d'ouverture vers
l'Europe et l'Occident. Je suis persuadé que l'approche négative de
l'opinion française vis-à-vis de la Turquie est liée à un problème de
communication et de rupture entre les générations. Nous n'avons pas
réussi à bien nous présenter et à nous expliquer. Nous avons 500 000
citoyens qui vivent en France : il faut qu'ils s'organisent mieux
afin de rapprocher nos deux pays. Ils doivent jouer un rôle de pont.
Tant qu'ils n'auront pas de problème d'intégration nous pourrons
dépasser les difficultés. L'intégration des Turcs vous paraît-elle
réussie ? Notre population est propice à une intégration réussie.
Dans certaines régions comme l'Alsace, c'est le cas, mais cela n'est
pas encore vrai partout. Seuls 100 000 des 500 000 Turcs installés en
France sont devenus citoyens français. Il y a dans ce domaine une
espèce de conservatisme turc qu'il faut dépasser. Il faut les
convaincre d'avancer pour qu'ils deviennent dans le processus
d'intégration nos yeux, nos oreilles et notre coeur. Classez-vous la
France de l'après-référendum du 29 mai 2005 dans le camp des
«antiturcs» ? Il n'est pas question d'avoir ce genre de considération
parce qu'en politique et principalement en politique internationale
on ne peut se baser sur de la haine ou de la rancune. Mais parfois il
y a des états d'me, des humeurs. Où en sont vos relations avec Paris
au lendemain de l'affaire du projet de loi sur la criminalisation de
la négation du génocide arménien ? Les relations suivent leur cours,
mais il faut avouer que ce genre d'initiative nous attriste. Dans
aucun pays au monde le prétendu génocide arménien n'est aussi en
vogue qu'en France. Nous disons : laissons cette affaire aux
historiens. Nous ouvrons toutes nos archives, que l'Arménie et les
pays tiers qui détiennent des documents fassent de même pour
permettre d'engager ensuite un débat. J'ai envoyé une lettre au
président arménien Kocharian exprimant ce point de vue. Nous n'avons
pas eu pour le moment la réponse escomptée et je crains que la
diaspora arménienne joue un mauvais jeu.