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Le Monde - Gianikian et Ricci Lucchi, defricheurs d'ar

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  • Le Monde - Gianikian et Ricci Lucchi, defricheurs d'ar

    http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3476,36- 750535@51-734175,0.html

    Gianikian et Ricci Lucchi, defricheurs d'archives

    Couple singulier dans le petit monde du cinema experimental italien, Yervant
    Gianikian et Angela Ricci Lucchi sont d'infatigables resistants qui filment,
    retravaillent et recadrent des archives oubliees du debut du XXe siècle.
    Pour en faire resurgir, photogramme après photogramme, l'histoire des
    guerres, des maux, des cruautes. Mais aussi la siderante beaute de certains
    paysages.
    Dans leur Trilogie de la guerre, ils montrent des images de batailles a
    Monte Pasubio entre soldats autrichiens et italiens pendant la première
    guerre mondiale, des prisonniers de guerre qui errent comme des fantômes,
    perdus dans la neige des Alpes. Des camps d'enfants orphelins, affames et
    mourants en Russie. Des corps mutiles. Le pauvre rafistolage des gueules
    cassees au nom d'une science positiviste. La silhouette si douce d'une
    infirmière qui vient en aide a des aveugles. Des images recolorisees - en
    bleu, rouge, jaune - a ne pas oublier pour ne plus permettre la repetition
    des catastrophes. Pour nommer les bourreaux, les victimes, les survivants.
    Leur oeuvre - diffusee dans le cadre d'une retrospective au Jeu de paume, a
    Paris - est grave, violente, eblouissante.
    Pourquoi voir et montrer autant de douleurs ? Savoir que dans chaque boîte
    de pellicule les maux du siècle sont tapis et peuvent surgir comme un
    serpent pret a mordre a nouveau. "Le monde est plein de dictateurs", dit
    Angela Ricci Lucchi, en ajoutant : "On a d'ailleurs notre propre dictateur
    mediatique en Italie." "Les artistes doivent montrer la guerre, affirmait
    deja Leonard de Vinci", explique Yervant Gianikian. Quitte a en tomber
    simultanement malades, a peine termine Oh, Uomo, le plus effroyable de tous
    leurs films, presente il y a deux ans au Festival de Cannes.
    Tous les deux sont nes en fevrier 1942. Le père de Yervant, chimiste, est
    armenien, l'un des rares survivants du genocide de 1915 en Turquie
    orientale. Sa mère est autrichienne. Yervant etudie l'architecture a Venise
    et passe une thèse atypique sur le cinema muet des annees 1920. De son côte,
    Angela Ricci Lucchi suit une formation de peintre a Salzbourg aux côtes
    d'Oskar Kokoschka avant de se lancer dans le mail art. Elle envoie des
    questions, et les reponses composent ses expositions. Une amie poète lui
    suggère d'aller voir quelqu'un qui travaille dans les Dolomites. "Tu me
    diras, c'est un fou ou un genie", la previent-elle. "C'est ainsi que j'ai
    rencontre Yervant en 1975", dit-elle. Ils ont decide de travailler ensemble
    et de faire du cinema. Leur premier film a quatre mains se nomme Erat-Stora,
    anagramme d'un poème d'Ezra Pound.
    Dans les annees 1970, ils collectionnent des milliers d'objets, de jouets,
    de cartes postales, des photographies qu'ils reorganisent dans des petites
    boîtes, mi-theâtres de poche, mi-paysages duchampiens. Ces objets sont
    filmes, catalogues. Fascines par cette idee de catalogue - qui leur vient
    d'une inclination pour le Siècle des lumières et les encyclopedistes -,
    Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi se lancent dans ces films poetiques
    de found footage (en retravaillant une pellicule deja impressionnee), comme
    Catalogue 9,5 Karagoëz.
    L'idee de liberer des parfums pendant la projection de ces films vient aussi
    du siècle des Lumières, du Traite des sensations de Condillac. Les cineastes
    s'inspirent des theories de ce philosophe contemporain de Diderot pour
    chauffer et diffuser des essences de rose, d'oeillet ou de framboise, en
    fonction des images diffusees a l'ecran. Le plus stupefiant, Cesare
    Lombroso, sur le parfum d'oeillet, rend hommage a un criminologue italien,
    convaincu que les femmes capables de tuer n'avaient pas d'odorat. Ces
    performances d'alchimie et de cinema experimental fascinent le public
    americain, mais lassent assez vite les cineastes. Ils ne veulent pas devenir
    des magiciens qui promènent de ville en ville leurs valises de films et de
    parfums.
    Tout bascule quand ils trouvent en 1977 des films muets de format Pathe
    Baby. Pour les lire, tous deux mettent au point une technique, "la camera
    analytique", qui leur permet de s'"approcher, de descendre en profondeur
    dans le photogramme, d'intervenir sur la vitesse de defilement, sur le
    detail, sur la couleur". Une manière de faire emerger le sens cache des
    actualites ou de decrypter des images de propagande. Personne ne connaît
    mieux qu'eux les fonds d'archives. L'histoire et la memoire. Ils ont utilise
    l'etonnante collection de Luca Comerio, pionnier du documentaire italien,
    decrypte les fonds russes, pragois, madrilènes, berlinois autant que ceux de
    la Cinemathèque francaise ou du Cinema des armees de Paris. Pour Du pôle a
    l'equateur, 347 000 images sur le thème du voyage ont ete retravaillees pour
    saisir un incroyable bazar d'exotisme où les marchandises peuvent etre aussi
    humaines. On y voit des conquistadors, des chasseurs, des pretres, des
    soldats et Mussolini.
    Dans Animali criminali, on assiste a des combats de coqs, au festin d'un
    serpent mangeant une grenouille ou celui, plus medusant, d'un boa avalant un
    petit cochon. Vision tetue, sans intention ni a priori, des combats
    effrayants comme des scènes de jours heureux. "Le travail, c'est une drogue.
    On n'arrete jamais", affirme ce couple qui presente desormais son oeuvre aux
    quatre coins du monde dans des installations museales ou des retrospectives
    cinematographiques.
    "Il existe toujours une part d'enfance dans leurs films. Chaque generique
    est d'ailleurs une etiquette d'un cahier d'ecolier", souligne Patrice
    Rollet, l'un des fondateurs de la revue de cinema Trafic. Danièle Hibon,
    responsable de la programmation cinematographique du Jeu de paume, a montre,
    la première, leur travail en France, en 1995. Elle a incite Yervant
    Gianikian a filmer son père, dans le très emouvant Retour a Khodorciur. A
    plus de 70 ans, ce dernier est retourne voir son pays perdu, a pied, seul,
    et raconte la tragique histoire de sa famille. Angela Ricci Lucchi et
    Yervant Gianikian sont, eux aussi, alles en Armenie. Ils ont ramene des
    stocks d'images. Pour faire un jour un film, le leur, qui ne provienne plus
    d'images d'archives. Sauf peut-etre celles laissees par le père de Yervant,
    qui avait pris le soin d'emporter une camera Super-8 dans son pèlerinage.
    Nicole Vulser
    Article paru dans l'edition du 15.03.06

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    From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
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