LE GOUVERNEMENT D'ANKARA S'APPRETE A RIPOSTER
Par Thierry Oberle
Le Figaro, France
18 mai 2006
SI LE PARLEMENT devait adopter la proposition de loi socialiste sur
la criminalisation de la negation du genocide armenien, la France
peut craindre des mesures de retorsion. " La patience a ses bornes.
Nous n'aurons pas de haine mais nous imposerons des sanctions ",
a prevenu Recep Tayyip Erdogan, le premier ministre turc.
La menace est a prendre au serieux. La Turquie a deja fait savoir
que les relations bilaterales pourraient souffrir des " dommages
incalculables ". Des degâts sans doute plus importants que ceux
provoques en 2001 par la reconnaissance par l'Assemblee nationale du
caractère genocidaire des massacres d'Armeniens de 1915. Car cette
fois, les autorites turques se sentent en position de force. Depuis
qu'elles ont le feu vert de l'Union europeenne, en 2001, pour
l'ouverture de negociations d'adhesion, elles ne cherchent plus a
s'attirer les grâces de Paris. Dans le meme temps, une course au
patriotisme s'est engagee dans la classe politique tout entière,
des islamistes a l'extreme droite.
" Insulte a la nation "
S'ils reconnaissent du bout des lèvres que les Armeniens ont bien ete
deportes en masse en 1915 et que des massacres ont eu lieu, les Turcs
recusent avec vehemence le terme de genocide. A en croire leur histoire
officielle, quelque 300 000 Armeniens - et non pas 1,5 million comme
l'affirment les Armeniens - auraient ete tues durant cette periode. Les
victimes seraient de surcroît mortes en grande partie de maladies,
de faim ou de froid durant leur marche vers l'exil. Leur nombre est
mis en balance avec les 400 000 soldats turcs morts durant la Première
Guerre mondiale. Ces arguments sont marteles dès le plus jeune âge
dans les ecoles de la Republique. La querelle ne porte pas seulement
sur les chiffres : le refus de reconnaître la dimension genocidaire
des tueries est un des elements federateurs du nationalisme.
La levee de boucliers traduit aussi des crispations plus generales.
Ankara redouble d'intransigeance sur Chypre comme sur les minorites.
Pas question d'ouvrir en 2006, comme le demande Bruxelles, les ports
turcs aux Chypriotes. Et, en janvier, la justice turque n'a renonce
a poursuivre le romancier Orhan Pamuk que sur pression des Europeens.
L'auteur de Neige risquait une peine de prison pour " insulte a la
nation ", après avoir declare dans une interview qu' " un million
d'Armeniens et 30 000 Kurdes ont ete tues " en 1915.
Un debat, riche de promesses, s'etait pourtant ouvert avec la tenue
a Istanbul a l'automne, après plusieurs reports, d'une conference
organisee par de prestigieuses universites stambouliotes. Une
soixantaine d'universitaires avaient remis en cause les dogmes en
exposant des analyses contradictoires sur cet episode. " En heurtant
de front les susceptibilites, la proposition de loi sur le genocide
risque malheureusement de freiner la societe civile dans sa recherche
historique ", deplore un diplomate francais en poste a Ankara. Un
point de vue que partagent de nombreux intellectuels turcs.
--Boundary_(ID_F9nY33wQy0loZ04H0+hVjQ)--
Par Thierry Oberle
Le Figaro, France
18 mai 2006
SI LE PARLEMENT devait adopter la proposition de loi socialiste sur
la criminalisation de la negation du genocide armenien, la France
peut craindre des mesures de retorsion. " La patience a ses bornes.
Nous n'aurons pas de haine mais nous imposerons des sanctions ",
a prevenu Recep Tayyip Erdogan, le premier ministre turc.
La menace est a prendre au serieux. La Turquie a deja fait savoir
que les relations bilaterales pourraient souffrir des " dommages
incalculables ". Des degâts sans doute plus importants que ceux
provoques en 2001 par la reconnaissance par l'Assemblee nationale du
caractère genocidaire des massacres d'Armeniens de 1915. Car cette
fois, les autorites turques se sentent en position de force. Depuis
qu'elles ont le feu vert de l'Union europeenne, en 2001, pour
l'ouverture de negociations d'adhesion, elles ne cherchent plus a
s'attirer les grâces de Paris. Dans le meme temps, une course au
patriotisme s'est engagee dans la classe politique tout entière,
des islamistes a l'extreme droite.
" Insulte a la nation "
S'ils reconnaissent du bout des lèvres que les Armeniens ont bien ete
deportes en masse en 1915 et que des massacres ont eu lieu, les Turcs
recusent avec vehemence le terme de genocide. A en croire leur histoire
officielle, quelque 300 000 Armeniens - et non pas 1,5 million comme
l'affirment les Armeniens - auraient ete tues durant cette periode. Les
victimes seraient de surcroît mortes en grande partie de maladies,
de faim ou de froid durant leur marche vers l'exil. Leur nombre est
mis en balance avec les 400 000 soldats turcs morts durant la Première
Guerre mondiale. Ces arguments sont marteles dès le plus jeune âge
dans les ecoles de la Republique. La querelle ne porte pas seulement
sur les chiffres : le refus de reconnaître la dimension genocidaire
des tueries est un des elements federateurs du nationalisme.
La levee de boucliers traduit aussi des crispations plus generales.
Ankara redouble d'intransigeance sur Chypre comme sur les minorites.
Pas question d'ouvrir en 2006, comme le demande Bruxelles, les ports
turcs aux Chypriotes. Et, en janvier, la justice turque n'a renonce
a poursuivre le romancier Orhan Pamuk que sur pression des Europeens.
L'auteur de Neige risquait une peine de prison pour " insulte a la
nation ", après avoir declare dans une interview qu' " un million
d'Armeniens et 30 000 Kurdes ont ete tues " en 1915.
Un debat, riche de promesses, s'etait pourtant ouvert avec la tenue
a Istanbul a l'automne, après plusieurs reports, d'une conference
organisee par de prestigieuses universites stambouliotes. Une
soixantaine d'universitaires avaient remis en cause les dogmes en
exposant des analyses contradictoires sur cet episode. " En heurtant
de front les susceptibilites, la proposition de loi sur le genocide
risque malheureusement de freiner la societe civile dans sa recherche
historique ", deplore un diplomate francais en poste a Ankara. Un
point de vue que partagent de nombreux intellectuels turcs.
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