GLASNOST TURQUE SUR LA QUESTION ARMENIENNE
La chronique d'Alexandre Adler
Le Figaro, France
18 mai 2006
Ala demande du groupe socialiste, le Parlement francais discute en
ce moment meme de la question du genocide armenien. Pour une fois,
il ne s'agira pas d'un acte de repentance, puisque, en 1915, date
du terrible massacre des Armeniens de Turquie, la France combattait
l'Empire ottoman, et aida, dès l'instauration de son mandat sur la
Syrie, les rescapes du genocide a se reinstaller plus au sud, voire
a combattre sous l'uniforme francais la nouvelle Republique turque
de Mustafa Kemal. En revanche, fidèle a sa vocation de protectrice
des droits de l'homme, la France viendrait a la rescousse d'une
petite nation longtemps humiliee, n'ecoutant ainsi que son courage
et ses principes, dont chacun sait que notre Parti socialiste est
le depositaire quasi perpetuel. Nous n'avons l'intention ni de nier
l'atrocite des crimes commis en 1915, ni meme la legitimite du peuple
armenien, en tant qu'Etat et dans sa diaspora, a demander a la justice
des hommes de reparer le premier crime contre l'humanite de grande
ampleur perpetre au XX e siècle.
Nos critiques a la demarche actuelle sont d'abord et avant tout d'ordre
politique : la Turquie, pour des raisons multiples, dont certaines
etaient legitimes, n'a pas su ouvrir une discussion honnete sur ce
sujet pendant de longues annees. Elle fut protegee dans cette attitude,
tout d'abord, par l'ampleur des devastations qu'elle eut a subir
entre 1911, date du declenchement des premières guerres balkaniques,
et 1922, achèvement de la restauration nationale par le mouvement
kemaliste. Au cours de ces annees de sang, l'Empire ottoman s'effondra,
nombreux furent les Turcs et autres musulmans massacres en Bulgarie et
en Macedoine par les Slaves chretiens armes par la Russie en 1912,
puis nombreux encore les Turcs qui durent quitter leurs terres
ancestrales. Comme en Union sovietique après 1945 où le souvenir
de Stalingrad servit a faire passer sous la table les repressions
des annees 30, le Goulag, mais aussi les crimes commis contre des
peuples allies des Allemands, notamment les Tchetchènes, la Turquie
de 1925 voulut tourner la page de l'Empire ottoman et de sa faillite
avec d'autant plus d'enthousiasme que les veritables instigateurs du
genocide, les Enver et les Talat, opposants de la première heure au
republicanisme francophile d'Ataturk, avaient, eux aussi, ete balayes
par le grand vent de l'histoire. Lorsque la question armenienne reparut
ailleurs que sous la plume de talentueux ecrivains de gauche tels Franz
Werfel dans la Prague des annees 30 ou Robert Merle dans le Paris des
annees 60, ce fut helas dans le cadre de manipulations politiques de
grande ampleur dirigees contre une Turquie qui opposait son tenace
verrou a l'expansionnisme sovietique et au modèle d'Etat totalitaire
sovieto-arabe, si populaire tout autour de ses frontières. Après la
liquidation de la presence sovietique en Egypte a la fin des annees
1970, une faction violente et terroriste des organes de securite
sovietiques mirent sur pied une vengeance dirigee contre ce pilier de
l'Otan qu'etait la Turquie, et qui passait par l'activation de tous
les objets contondants antiturcs qu'ils pouvaient ramasser sur leur
chemin depuis la Bulgarie islamophobe de Jivkov a d'ex-gauchistes
turcs ainsi qu'a certaines fractions extremes de l'extreme droite
dans lesquelles on recruta in fine Mohamed Ali Agca et, pour finir,
jusqu'a la mafia turque elle-meme et, bien sûr, un nouveau terrorisme
armenien. C'est un secret de Polichinelle que la montee des violences
de l'Asala, depuis son poste de commandement de Chypre, fut orchestree
de bout en bout par Damas, Moscou et Sofia dans des buts geopolitiques
peu acceptables et qui finirent dans l'attentat sanglant de mai 1981
contre Jean-Paul II. Pendant toute cette periode, la Turquie tint
bon, serra les dents quand ses jeunes diplomates et ses ouvriers qui
rentraient de vacances furent assassines sommairement et pour finir,
grâce a des hommes eclaires par l'ideal democratique et republicain
du kemalisme - l'amiral Koruturk, le general Evren, Turgut Ëzal -
reussit a eviter le basculement dans la dictature nationaliste et
la repression aveugle que les stratèges devoyes du KGB voulaient
provoquer. Il y eut aussi, au KGB et dans l'armee sovietique, des
hommes droits et honorables - Andropov ; Aliev, le defunt president
de l'Azerbaïdjan independant ; le marechal Ogarkov et le Bulgare
Alexandre Lillov qui le paya tardivement de sa vie -, pour s'opposer
a ces folies terroristes, notamment après 1981. De cela aussi, il
serait necessaire qu'Armeniens et Turcs en discutent aujourd'hui,
sereinement. Car nos socialistes francais, qui ont econduit sans meme
les entendre leurs amis de la gauche turque, semblent faire comme si
la Turquie, par la voix de son premier ministre Erdogan, n'avait pas
considerablement evolue en la matière en proposant un debat ouvert et
sans tabous entre historiens turcs et armeniens, y compris ceux de la
diaspora de toute evidence, et pourquoi pas d'autres nationalites. Le
grand ecrivain turc Orhan Pamuk, qui eut le courage de parler sans
barguigner de la tragedie armenienne, vient de voir le procès qui lui
avait ete intente, annule par un procureur. Est-ce bien le moment de
poignarder dans le dos cette formidable glasnost turque pour le seul
benefice de quelques electoralistes gaulois, qui croient avoir trouve
dans la rhetorique humanitaire un moyen imparable de creer de toutes
pièces un "villierisme de gauche" en croyant, comme tous les pervers
le font volontiers, que personne ne les comprend ni ne les voit ?
--Boundary_(ID_wMbfqPu6vm5MnzXGtUuSaA)--
La chronique d'Alexandre Adler
Le Figaro, France
18 mai 2006
Ala demande du groupe socialiste, le Parlement francais discute en
ce moment meme de la question du genocide armenien. Pour une fois,
il ne s'agira pas d'un acte de repentance, puisque, en 1915, date
du terrible massacre des Armeniens de Turquie, la France combattait
l'Empire ottoman, et aida, dès l'instauration de son mandat sur la
Syrie, les rescapes du genocide a se reinstaller plus au sud, voire
a combattre sous l'uniforme francais la nouvelle Republique turque
de Mustafa Kemal. En revanche, fidèle a sa vocation de protectrice
des droits de l'homme, la France viendrait a la rescousse d'une
petite nation longtemps humiliee, n'ecoutant ainsi que son courage
et ses principes, dont chacun sait que notre Parti socialiste est
le depositaire quasi perpetuel. Nous n'avons l'intention ni de nier
l'atrocite des crimes commis en 1915, ni meme la legitimite du peuple
armenien, en tant qu'Etat et dans sa diaspora, a demander a la justice
des hommes de reparer le premier crime contre l'humanite de grande
ampleur perpetre au XX e siècle.
Nos critiques a la demarche actuelle sont d'abord et avant tout d'ordre
politique : la Turquie, pour des raisons multiples, dont certaines
etaient legitimes, n'a pas su ouvrir une discussion honnete sur ce
sujet pendant de longues annees. Elle fut protegee dans cette attitude,
tout d'abord, par l'ampleur des devastations qu'elle eut a subir
entre 1911, date du declenchement des premières guerres balkaniques,
et 1922, achèvement de la restauration nationale par le mouvement
kemaliste. Au cours de ces annees de sang, l'Empire ottoman s'effondra,
nombreux furent les Turcs et autres musulmans massacres en Bulgarie et
en Macedoine par les Slaves chretiens armes par la Russie en 1912,
puis nombreux encore les Turcs qui durent quitter leurs terres
ancestrales. Comme en Union sovietique après 1945 où le souvenir
de Stalingrad servit a faire passer sous la table les repressions
des annees 30, le Goulag, mais aussi les crimes commis contre des
peuples allies des Allemands, notamment les Tchetchènes, la Turquie
de 1925 voulut tourner la page de l'Empire ottoman et de sa faillite
avec d'autant plus d'enthousiasme que les veritables instigateurs du
genocide, les Enver et les Talat, opposants de la première heure au
republicanisme francophile d'Ataturk, avaient, eux aussi, ete balayes
par le grand vent de l'histoire. Lorsque la question armenienne reparut
ailleurs que sous la plume de talentueux ecrivains de gauche tels Franz
Werfel dans la Prague des annees 30 ou Robert Merle dans le Paris des
annees 60, ce fut helas dans le cadre de manipulations politiques de
grande ampleur dirigees contre une Turquie qui opposait son tenace
verrou a l'expansionnisme sovietique et au modèle d'Etat totalitaire
sovieto-arabe, si populaire tout autour de ses frontières. Après la
liquidation de la presence sovietique en Egypte a la fin des annees
1970, une faction violente et terroriste des organes de securite
sovietiques mirent sur pied une vengeance dirigee contre ce pilier de
l'Otan qu'etait la Turquie, et qui passait par l'activation de tous
les objets contondants antiturcs qu'ils pouvaient ramasser sur leur
chemin depuis la Bulgarie islamophobe de Jivkov a d'ex-gauchistes
turcs ainsi qu'a certaines fractions extremes de l'extreme droite
dans lesquelles on recruta in fine Mohamed Ali Agca et, pour finir,
jusqu'a la mafia turque elle-meme et, bien sûr, un nouveau terrorisme
armenien. C'est un secret de Polichinelle que la montee des violences
de l'Asala, depuis son poste de commandement de Chypre, fut orchestree
de bout en bout par Damas, Moscou et Sofia dans des buts geopolitiques
peu acceptables et qui finirent dans l'attentat sanglant de mai 1981
contre Jean-Paul II. Pendant toute cette periode, la Turquie tint
bon, serra les dents quand ses jeunes diplomates et ses ouvriers qui
rentraient de vacances furent assassines sommairement et pour finir,
grâce a des hommes eclaires par l'ideal democratique et republicain
du kemalisme - l'amiral Koruturk, le general Evren, Turgut Ëzal -
reussit a eviter le basculement dans la dictature nationaliste et
la repression aveugle que les stratèges devoyes du KGB voulaient
provoquer. Il y eut aussi, au KGB et dans l'armee sovietique, des
hommes droits et honorables - Andropov ; Aliev, le defunt president
de l'Azerbaïdjan independant ; le marechal Ogarkov et le Bulgare
Alexandre Lillov qui le paya tardivement de sa vie -, pour s'opposer
a ces folies terroristes, notamment après 1981. De cela aussi, il
serait necessaire qu'Armeniens et Turcs en discutent aujourd'hui,
sereinement. Car nos socialistes francais, qui ont econduit sans meme
les entendre leurs amis de la gauche turque, semblent faire comme si
la Turquie, par la voix de son premier ministre Erdogan, n'avait pas
considerablement evolue en la matière en proposant un debat ouvert et
sans tabous entre historiens turcs et armeniens, y compris ceux de la
diaspora de toute evidence, et pourquoi pas d'autres nationalites. Le
grand ecrivain turc Orhan Pamuk, qui eut le courage de parler sans
barguigner de la tragedie armenienne, vient de voir le procès qui lui
avait ete intente, annule par un procureur. Est-ce bien le moment de
poignarder dans le dos cette formidable glasnost turque pour le seul
benefice de quelques electoralistes gaulois, qui croient avoir trouve
dans la rhetorique humanitaire un moyen imparable de creer de toutes
pièces un "villierisme de gauche" en croyant, comme tous les pervers
le font volontiers, que personne ne les comprend ni ne les voit ?
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