LES FRANCO-TURCS SAISIS PAR LE NEGATIONNISME
Cecilia Gabizon
Le Figaro, France
18 mai 2006
"IL N'Y A PAS EU de genocide armenien." Mehmet, cinquante ans dont
vingt dans la confection en banlieue parisienne, est categorique.
"C'etait la guerre. Il y a eu des morts de part et d'autre." Plus
d'un million du côte armenien. Qu'importe : autour de Mehmet, les
parents turcs venus assister ce week-end a une reunion de soutien
scolaire organisee a Aubervilliers par une association d'etudiants
franco-turcs approuvent.
Tous se disent choques par la proposition socialiste qui entend
sanctionner la negation du genocide armenien. "C'est a l'Etat
turc d'ouvrir les archives" A l'amertume suscitee par le debat sur
l'entree de la Turquie dans l'Europe, s'ajoute desormais la rage de
se voir accuse de genocide, "sans pouvoir se defendre", regrette
encore Ayse. La revolte enfle parmi les Turcs immigres en France
et reveille le nationalisme de la deuxième generation. "Je ne suis
pas un assassin. J'en ai marre que l'on me juge parce que Turc",
commente Ilkan, 22 ans, etudiant a la Sorbonne. Marre que "Turc
ne renvoie qu'a Kebab ou genocide". Il refuse que l'on "abîme" son
histoire. "Je suis fier de l'empire ottoman. Je ne connais pas beaucoup
d'empires qui ont domine des regions entières en laissant le choix de
religion". La reconnaissance du genocide briserait ce mythe. Alors,
il veut bien admettre des massacres, mais sans planification : juste
des represailles dans un contexte de guerre. La plupart des jeunes
nes en France defendent cette position. "Nous grandissons dans un
ghetto culturel. C'est un reseau extremement chaleureux, avec des
amities magnifiques, explique Ohran, ingenieur de trente ans, mais cet
enfermement freine l'integration en France." En mars dernier, beaucoup
de jeunes participaient a la manifestation contre l'inauguration d'un
memorial a Lyon. Plusieurs lancaient meme : "S'il y avait eu genocide,
il n'y aurait plus d'Armeniens", comme une preuve absolue. En realite,
a l'instar des autres communautes, certains adolescents cherchent,
dans leurs racines, a "contrer l'humiliation qu'ils vivent en France",
avance Ali, vingt ans, ouvrier dans le bâtiment. Ceux-la s'imprègnent
des codes, de la fierte du pays, a l'occasion d'evenements festifs,
de matches de foot suivis dans les cafes turcs et surtout des mariages
qui ponctuent tous les week-ends, de mai a juillet. Des organisations
comme le reseau religieux Nur Dju relaient foi et amour de la patrie,
au cours de concerts, notamment, de derviches tourneurs auxquels
assistent ostensiblement les autorites consulaires turques. Or,
personne dans ces cercles ne veut ouvrir le debat sur ce printemps
1915. Par crainte de represailles, parfois. "Je n'ai pas envie de me
faire arreter lors d'un sejour en Turquie, comme c'est arrive a un
copain", avance un militant associatif. Mais le plus souvent, c'est par
ignorance, que "tout le monde suit la version de l'Etat turc". "Nous
ne sommes pas des experts, poursuit, Eric, etudiant en ecole de
commerce. Il n'y aura pas de reconnaissance individuelle du genocide.
C'est a l'Etat turc d'ouvrir les archives, de dire sa position." En
attendant, parents comme enfants refusent absolument que la France
s'en mele. "Quelle est cette democratie qui pretend museler les
opinions ?" interroge Ibrahim, retoucheur a Aubervilliers. "Je n'ai
pas les moyens de payer 45 000 euros d'amende [la peine maximale
prevue par la proposition de loi], simplement pour dire ce que je
pense." Et d'accuser finalement les Armeniens d' "exacerber les
tensions entre les communautes". Chaque nouveau memorial inaugure
en hommage au genocide, comme recemment a Valence, est vecu comme
une "provocation". Et certains jeunes Franco-Turcs assurent qu'ils
"voteront contre le genocide" aux prochaines elections.
--Boundary_(ID_ZMspHj+d5DxsdapD2IitpA) --
Cecilia Gabizon
Le Figaro, France
18 mai 2006
"IL N'Y A PAS EU de genocide armenien." Mehmet, cinquante ans dont
vingt dans la confection en banlieue parisienne, est categorique.
"C'etait la guerre. Il y a eu des morts de part et d'autre." Plus
d'un million du côte armenien. Qu'importe : autour de Mehmet, les
parents turcs venus assister ce week-end a une reunion de soutien
scolaire organisee a Aubervilliers par une association d'etudiants
franco-turcs approuvent.
Tous se disent choques par la proposition socialiste qui entend
sanctionner la negation du genocide armenien. "C'est a l'Etat
turc d'ouvrir les archives" A l'amertume suscitee par le debat sur
l'entree de la Turquie dans l'Europe, s'ajoute desormais la rage de
se voir accuse de genocide, "sans pouvoir se defendre", regrette
encore Ayse. La revolte enfle parmi les Turcs immigres en France
et reveille le nationalisme de la deuxième generation. "Je ne suis
pas un assassin. J'en ai marre que l'on me juge parce que Turc",
commente Ilkan, 22 ans, etudiant a la Sorbonne. Marre que "Turc
ne renvoie qu'a Kebab ou genocide". Il refuse que l'on "abîme" son
histoire. "Je suis fier de l'empire ottoman. Je ne connais pas beaucoup
d'empires qui ont domine des regions entières en laissant le choix de
religion". La reconnaissance du genocide briserait ce mythe. Alors,
il veut bien admettre des massacres, mais sans planification : juste
des represailles dans un contexte de guerre. La plupart des jeunes
nes en France defendent cette position. "Nous grandissons dans un
ghetto culturel. C'est un reseau extremement chaleureux, avec des
amities magnifiques, explique Ohran, ingenieur de trente ans, mais cet
enfermement freine l'integration en France." En mars dernier, beaucoup
de jeunes participaient a la manifestation contre l'inauguration d'un
memorial a Lyon. Plusieurs lancaient meme : "S'il y avait eu genocide,
il n'y aurait plus d'Armeniens", comme une preuve absolue. En realite,
a l'instar des autres communautes, certains adolescents cherchent,
dans leurs racines, a "contrer l'humiliation qu'ils vivent en France",
avance Ali, vingt ans, ouvrier dans le bâtiment. Ceux-la s'imprègnent
des codes, de la fierte du pays, a l'occasion d'evenements festifs,
de matches de foot suivis dans les cafes turcs et surtout des mariages
qui ponctuent tous les week-ends, de mai a juillet. Des organisations
comme le reseau religieux Nur Dju relaient foi et amour de la patrie,
au cours de concerts, notamment, de derviches tourneurs auxquels
assistent ostensiblement les autorites consulaires turques. Or,
personne dans ces cercles ne veut ouvrir le debat sur ce printemps
1915. Par crainte de represailles, parfois. "Je n'ai pas envie de me
faire arreter lors d'un sejour en Turquie, comme c'est arrive a un
copain", avance un militant associatif. Mais le plus souvent, c'est par
ignorance, que "tout le monde suit la version de l'Etat turc". "Nous
ne sommes pas des experts, poursuit, Eric, etudiant en ecole de
commerce. Il n'y aura pas de reconnaissance individuelle du genocide.
C'est a l'Etat turc d'ouvrir les archives, de dire sa position." En
attendant, parents comme enfants refusent absolument que la France
s'en mele. "Quelle est cette democratie qui pretend museler les
opinions ?" interroge Ibrahim, retoucheur a Aubervilliers. "Je n'ai
pas les moyens de payer 45 000 euros d'amende [la peine maximale
prevue par la proposition de loi], simplement pour dire ce que je
pense." Et d'accuser finalement les Armeniens d' "exacerber les
tensions entre les communautes". Chaque nouveau memorial inaugure
en hommage au genocide, comme recemment a Valence, est vecu comme
une "provocation". Et certains jeunes Franco-Turcs assurent qu'ils
"voteront contre le genocide" aux prochaines elections.
--Boundary_(ID_ZMspHj+d5DxsdapD2IitpA) --