Le Temps
20 mai 2006
Les tensions s'apaisent entre Paris et Ankara;
FRANCE. Les députés ont ajourné le vote d'une loi pour pénaliser la
négation du génocide arménien.
La crise entre Ankara et Paris a été évitée de justesse. Les députés
français ont reporté à une date ultérieure (qui pourrait être au mois
d'octobre) le vote d'une proposition de loi qui vise à pénaliser à
hauteur de 45 000 euros d'amende et d'un an de prison la négation du
génocide arménien de 1915.
La Turquie, qui reconnaît la réalité de massacres mais rejette le
concept de génocide, avait réagi de manière très vive ces dernières
semaines face aux intentions françaises. L'ambassadeur turc à Paris a
été rappelé pour «consultation», tandis qu'une délégation
parlementaire s'est rendue en France pour tenter d'infléchir le vote
des députés. Le premier ministre Recep Tayyip Erdogan avait quant à
lui annoncé le week-end dernier que «la patience a ses limites. Nous
n'aurons pas de haine, mais nous imposerons nos sanctions».
Les moyens de pressions turcs notamment économiques semblent avoir
porté leurs fruits, même si la crise n'est peut-être qu'en suspend.
Comme en 2001 - lorsque le parlement français avait reconnu la
réalité du génocide - les entreprises tricolores pourraient être
mises hors course dans certains gros dossiers si cette nouvelle loi
était adoptée. Areva redoute ainsi de ne pouvoir participer à l'appel
d'offres concernant le projet de centrale nucléaire turque. Une
expérience vécue par le constructeur d'avion suisse Pilatus.
Des appels au boycott, lancés de manière individuelle, circulent
également sur Internet et inquiétaient ces derniers jours le
directeur de la cChambre de commerce française en Turquie, Raphaël
Esposito. «Les échanges entre les deux pays ont triplé en dix ans et
avec une croissance économique turque de 7,5% en 2005, on ne peut
plus faire n'importe quoi» estime-t-il.
«Cette loi est contraire à l'esprit de la révolution française»
s'insurge de son côté Hifzi Topuz. Cet écrivain turc, parfaitement
francophone, a travaillé pendant vingt-cinq ans à l'Unesco à Paris et
en tant «qu'ami de la France», un pays qui l'a «adopté», il se dit
«choqué» par la proposition de loi déposée par le Parti socialiste.
«Il faut interdire d'interdire» lance-t-il. Cette opinion est
partagée par de nombreux intellectuels turcs qui ont lancé la semaine
dernière un appel à la France. Parmi eux, se trouvent deux
journalistes d'origine arménienne, Hrant Dink et Etyen Mahcupyan,
connus pour leurs prises de position courageuse. Eux aussi se disent
«inquiets» de cette loi qui ne peut que «nuire à l'avancée du travail
de mémoire et de réflexion sur l'Histoire entamé aujourd'hui» dans le
pays. En septembre dernier, une conférence unique dans l'histoire du
pays, réunissant des tenants de la thèse du génocide, avait en effet
eu lieu à Istanbul.
La population turque se fait quant à elle peu d'illusion sur les
motivations françaises. «Elle instrumentalise ce dossier car elle ne
veut pas de nous dans l'Union européenne», explique Yigit Cetin. Ce
lycéen stambouliote de 16 ans avoue ne pas croire à la thèse du
génocide et se dit prêt, s'il le faut, à suivre l'appel au boycott
lancé contre les produits français... même dans six mois.
20 mai 2006
Les tensions s'apaisent entre Paris et Ankara;
FRANCE. Les députés ont ajourné le vote d'une loi pour pénaliser la
négation du génocide arménien.
La crise entre Ankara et Paris a été évitée de justesse. Les députés
français ont reporté à une date ultérieure (qui pourrait être au mois
d'octobre) le vote d'une proposition de loi qui vise à pénaliser à
hauteur de 45 000 euros d'amende et d'un an de prison la négation du
génocide arménien de 1915.
La Turquie, qui reconnaît la réalité de massacres mais rejette le
concept de génocide, avait réagi de manière très vive ces dernières
semaines face aux intentions françaises. L'ambassadeur turc à Paris a
été rappelé pour «consultation», tandis qu'une délégation
parlementaire s'est rendue en France pour tenter d'infléchir le vote
des députés. Le premier ministre Recep Tayyip Erdogan avait quant à
lui annoncé le week-end dernier que «la patience a ses limites. Nous
n'aurons pas de haine, mais nous imposerons nos sanctions».
Les moyens de pressions turcs notamment économiques semblent avoir
porté leurs fruits, même si la crise n'est peut-être qu'en suspend.
Comme en 2001 - lorsque le parlement français avait reconnu la
réalité du génocide - les entreprises tricolores pourraient être
mises hors course dans certains gros dossiers si cette nouvelle loi
était adoptée. Areva redoute ainsi de ne pouvoir participer à l'appel
d'offres concernant le projet de centrale nucléaire turque. Une
expérience vécue par le constructeur d'avion suisse Pilatus.
Des appels au boycott, lancés de manière individuelle, circulent
également sur Internet et inquiétaient ces derniers jours le
directeur de la cChambre de commerce française en Turquie, Raphaël
Esposito. «Les échanges entre les deux pays ont triplé en dix ans et
avec une croissance économique turque de 7,5% en 2005, on ne peut
plus faire n'importe quoi» estime-t-il.
«Cette loi est contraire à l'esprit de la révolution française»
s'insurge de son côté Hifzi Topuz. Cet écrivain turc, parfaitement
francophone, a travaillé pendant vingt-cinq ans à l'Unesco à Paris et
en tant «qu'ami de la France», un pays qui l'a «adopté», il se dit
«choqué» par la proposition de loi déposée par le Parti socialiste.
«Il faut interdire d'interdire» lance-t-il. Cette opinion est
partagée par de nombreux intellectuels turcs qui ont lancé la semaine
dernière un appel à la France. Parmi eux, se trouvent deux
journalistes d'origine arménienne, Hrant Dink et Etyen Mahcupyan,
connus pour leurs prises de position courageuse. Eux aussi se disent
«inquiets» de cette loi qui ne peut que «nuire à l'avancée du travail
de mémoire et de réflexion sur l'Histoire entamé aujourd'hui» dans le
pays. En septembre dernier, une conférence unique dans l'histoire du
pays, réunissant des tenants de la thèse du génocide, avait en effet
eu lieu à Istanbul.
La population turque se fait quant à elle peu d'illusion sur les
motivations françaises. «Elle instrumentalise ce dossier car elle ne
veut pas de nous dans l'Union européenne», explique Yigit Cetin. Ce
lycéen stambouliote de 16 ans avoue ne pas croire à la thèse du
génocide et se dit prêt, s'il le faut, à suivre l'appel au boycott
lancé contre les produits français... même dans six mois.