QUI VEUT TORPILLER LA TURQUIE?
Par Alexandre Adler
Le Figaro, France
18 novembre 2006
L'opinion publique europeenne, francaise en particulier, l'ignore
parfaitement, mais nous assistons en direct a la mise en oeuvre d'une
veritable conspiration dont l'aboutissement devrait etre le torpillage
pur et simple de la candidature turque a l'Union europeenne. Il y a
toujours eu de nombreux adversaires de cette candidature, quelles
que soient les precautions que ses partisans ont pu prendre pour
la faire accepter (longs delais des negociations, eventualite de'un
referendum si la negociation devait aboutir), mais cela ne suffit pas
aux adversaires europeens de la Turquie, qui considèrent, peut-etre
a juste titre, que la negociation, une fois engagee, ne peut aboutir,
a terme, qu'a un accord. Ils ont donc decide d'agir beaucoup plus vite
et de multiplier les obstacles juridiques et culturels a l'adhesion
turque de manière a provoquer, d'abord en Turquie, une reaction de
rejet de l'Europe qui leur evitera d'avoir a assumer un non franc et
argumente. Mais qui sont ces adversaires ? Les Armeniens ?
À n'en pas douter, la diaspora armenienne, qui vit toujours dans la
souffrance des souvenirs de 1915, est facilement mobilisable pour peu
que l'on vienne reveiller ses cauchemars comme l'ont fait les deputes
socialistes francais, secondes, il est vrai, par un bon nombre de leurs
collègues conservateurs, en votant l'absurde loi sur le genocide. Mais,
il faut le souligner, il y a des intellectuels armeniens d'Istanbul,
de citoyennete turque, qui luttent pour la reconnaissance de l'histoire
par l'Etat turc et qui ne souhaitaient en rien ce vote qui bloque
les esprits et demolit les chances de dialogue que la Turquie avait
permis en acceptant une serie de tables rondes d'historiens. Il
faut aussi savoir que le president Kotcharian, qui n'est pas un
nationaliste tiède, avait pourtant evoque devant des emissaires turcs
la possibilite pour l'Armenie de s'inserer dans l'Union europeenne,
au côte de la Georgie et peut-etre de l'Azerbaïdjan, a la faveur
d'une adhesion turque. Les Grecs ? Mais l'avènement d'une nouvelle
generation politique a Athènes a bien change la donne. Aujourd'hui,
les elites politiques et patronales grecques, beaucoup plus sûres de
leur avenir et bien mieux integrees au processus de decision europeen,
notamment a Francfort avec leur grand banquier central Papademos,
considèrent l'adhesion de la Turquie comme un processus inevitable
dont la Grèce pourrait tirer avantage dans tous les domaines. Restent
les Chypriotes grecs qui, gouvernes par une coalition de la gauche et
des nationalistes intransigeants, ont, eux, refuse par referendum le
plan de reunification de l'île elabore par Kofi Annan, au moment meme
où les Chypriotes turcs l'approuvaient massivement par conviction
veritablement europeenne. Que croyez-vous qu'il arrivât ? Ce n'est
pas le gouvernement Papadopoulos, a Nicosie, que l'on sanctionne
de son intransigeance, mais les Turcs auxquels on demande a present
une genuflexion sans contrepartie, dans le seul but evident de leur
tendre un piège. Mais les vrais lobbies, on l'aura compris, ne sont ni
armeniens ni grecs. Les veritables adversaires de l'adhesion turque,
il faut les rechercher en Europe meme parmi les chretiens integristes a
tendance raciste et, a l'autre bout de la chaîne, chez les amis d'une
alliance etroite de l'Europe et du monde arabe. Les uns, en Allemagne
et en Autriche particulièrement, refusent l'entree d'un pays musulman
dans l'Europe, comme ils refusaient naguère le droit de citoyennete
pour les immigres turcs de la seconde generation. Les autres, en
harmonie avec les courants nationalistes et islamistes du monde arabe,
qu'ils courtisent, ne veulent pas non plus d'un pays musulman qui
pratique aujourd'hui une democratie exemplaire dont les succès sont
profondement destabilisants pour les dictatures voisines. Si l'on
ajoute que cette grande democratie musulmane, tolerante et dynamique,
est aussi l'alliee strategique d'Israël dans la region, sans pour
autant s'aligner en toutes circonstances sur l'Etat hebreu, on a
l'expose complet des raisons pour lesquelles on constate aujourd'hui
un tel acharnement contre la Turquie. La-dessus, le Prix Nobel de
litterature, - qui est venu recompenser l'oeuvre d'Orhan Pamuk, qui
incarne la modernite turque -, est tombe comme une paire de claques
sonores adressees a tous ces philistins qui ont, de surcroît, la betise
d'imaginer que personne ne voit et ne comprend leurs machinations. Au
stade où nous en sommes, rien ne dit qu'ils ne touchent pas au but,
malgre les efforts de la diplomatie finlandaise, des gouvernements
anglais et scandinaves, espagnol et italien, pour eviter la rupture
programmee. Mais dans l'opinion publique turque, le mal est fait. La
gauche laïque commence a se detacher de la perspective europeenne, les
islamistes non reconcilies avec le cours modere de leur parti veulent
avancer leur projet alternatif de califat socio-economique, modernise
sous la forme d'une conference islamique. Ce jour-la, les democrates
turcs, mais aussi l'opinion europeenne, devront demander des comptes a
ces mauvais bergers qui veulent, aujourd'hui, saborder un grand projet
de civilisation. Ajoutons ce dernier codicille : comment la France
a-t-elle pu trouver le moindre avantage a cette fuite en avant qui
n'est pas seulement en train de lui faire perdre les marches turcs,
mais aussi l'estime de ce grand peuple qui, jusqu'alors, s'etait
toujours tourne vers Paris a chaque grand moment de son histoire. "
Il faut chercher les vrais adversaires de l'adhesion d'Ankara en
Europe, parmi les chretiens integristes a tendance raciste"
--Boundary_(ID_7tdbtbUtI1mAMCSfOiXa uQ)--
From: Baghdasarian
Par Alexandre Adler
Le Figaro, France
18 novembre 2006
L'opinion publique europeenne, francaise en particulier, l'ignore
parfaitement, mais nous assistons en direct a la mise en oeuvre d'une
veritable conspiration dont l'aboutissement devrait etre le torpillage
pur et simple de la candidature turque a l'Union europeenne. Il y a
toujours eu de nombreux adversaires de cette candidature, quelles
que soient les precautions que ses partisans ont pu prendre pour
la faire accepter (longs delais des negociations, eventualite de'un
referendum si la negociation devait aboutir), mais cela ne suffit pas
aux adversaires europeens de la Turquie, qui considèrent, peut-etre
a juste titre, que la negociation, une fois engagee, ne peut aboutir,
a terme, qu'a un accord. Ils ont donc decide d'agir beaucoup plus vite
et de multiplier les obstacles juridiques et culturels a l'adhesion
turque de manière a provoquer, d'abord en Turquie, une reaction de
rejet de l'Europe qui leur evitera d'avoir a assumer un non franc et
argumente. Mais qui sont ces adversaires ? Les Armeniens ?
À n'en pas douter, la diaspora armenienne, qui vit toujours dans la
souffrance des souvenirs de 1915, est facilement mobilisable pour peu
que l'on vienne reveiller ses cauchemars comme l'ont fait les deputes
socialistes francais, secondes, il est vrai, par un bon nombre de leurs
collègues conservateurs, en votant l'absurde loi sur le genocide. Mais,
il faut le souligner, il y a des intellectuels armeniens d'Istanbul,
de citoyennete turque, qui luttent pour la reconnaissance de l'histoire
par l'Etat turc et qui ne souhaitaient en rien ce vote qui bloque
les esprits et demolit les chances de dialogue que la Turquie avait
permis en acceptant une serie de tables rondes d'historiens. Il
faut aussi savoir que le president Kotcharian, qui n'est pas un
nationaliste tiède, avait pourtant evoque devant des emissaires turcs
la possibilite pour l'Armenie de s'inserer dans l'Union europeenne,
au côte de la Georgie et peut-etre de l'Azerbaïdjan, a la faveur
d'une adhesion turque. Les Grecs ? Mais l'avènement d'une nouvelle
generation politique a Athènes a bien change la donne. Aujourd'hui,
les elites politiques et patronales grecques, beaucoup plus sûres de
leur avenir et bien mieux integrees au processus de decision europeen,
notamment a Francfort avec leur grand banquier central Papademos,
considèrent l'adhesion de la Turquie comme un processus inevitable
dont la Grèce pourrait tirer avantage dans tous les domaines. Restent
les Chypriotes grecs qui, gouvernes par une coalition de la gauche et
des nationalistes intransigeants, ont, eux, refuse par referendum le
plan de reunification de l'île elabore par Kofi Annan, au moment meme
où les Chypriotes turcs l'approuvaient massivement par conviction
veritablement europeenne. Que croyez-vous qu'il arrivât ? Ce n'est
pas le gouvernement Papadopoulos, a Nicosie, que l'on sanctionne
de son intransigeance, mais les Turcs auxquels on demande a present
une genuflexion sans contrepartie, dans le seul but evident de leur
tendre un piège. Mais les vrais lobbies, on l'aura compris, ne sont ni
armeniens ni grecs. Les veritables adversaires de l'adhesion turque,
il faut les rechercher en Europe meme parmi les chretiens integristes a
tendance raciste et, a l'autre bout de la chaîne, chez les amis d'une
alliance etroite de l'Europe et du monde arabe. Les uns, en Allemagne
et en Autriche particulièrement, refusent l'entree d'un pays musulman
dans l'Europe, comme ils refusaient naguère le droit de citoyennete
pour les immigres turcs de la seconde generation. Les autres, en
harmonie avec les courants nationalistes et islamistes du monde arabe,
qu'ils courtisent, ne veulent pas non plus d'un pays musulman qui
pratique aujourd'hui une democratie exemplaire dont les succès sont
profondement destabilisants pour les dictatures voisines. Si l'on
ajoute que cette grande democratie musulmane, tolerante et dynamique,
est aussi l'alliee strategique d'Israël dans la region, sans pour
autant s'aligner en toutes circonstances sur l'Etat hebreu, on a
l'expose complet des raisons pour lesquelles on constate aujourd'hui
un tel acharnement contre la Turquie. La-dessus, le Prix Nobel de
litterature, - qui est venu recompenser l'oeuvre d'Orhan Pamuk, qui
incarne la modernite turque -, est tombe comme une paire de claques
sonores adressees a tous ces philistins qui ont, de surcroît, la betise
d'imaginer que personne ne voit et ne comprend leurs machinations. Au
stade où nous en sommes, rien ne dit qu'ils ne touchent pas au but,
malgre les efforts de la diplomatie finlandaise, des gouvernements
anglais et scandinaves, espagnol et italien, pour eviter la rupture
programmee. Mais dans l'opinion publique turque, le mal est fait. La
gauche laïque commence a se detacher de la perspective europeenne, les
islamistes non reconcilies avec le cours modere de leur parti veulent
avancer leur projet alternatif de califat socio-economique, modernise
sous la forme d'une conference islamique. Ce jour-la, les democrates
turcs, mais aussi l'opinion europeenne, devront demander des comptes a
ces mauvais bergers qui veulent, aujourd'hui, saborder un grand projet
de civilisation. Ajoutons ce dernier codicille : comment la France
a-t-elle pu trouver le moindre avantage a cette fuite en avant qui
n'est pas seulement en train de lui faire perdre les marches turcs,
mais aussi l'estime de ce grand peuple qui, jusqu'alors, s'etait
toujours tourne vers Paris a chaque grand moment de son histoire. "
Il faut chercher les vrais adversaires de l'adhesion d'Ankara en
Europe, parmi les chretiens integristes a tendance raciste"
--Boundary_(ID_7tdbtbUtI1mAMCSfOiXa uQ)--
From: Baghdasarian