Announcement

Collapse
No announcement yet.

La Turquie Moderne Aux Prises Avec Ses Demons

Collapse
X
 
  • Filter
  • Time
  • Show
Clear All
new posts

  • La Turquie Moderne Aux Prises Avec Ses Demons

    LA TURQUIE MODERNE AUX PRISES AVEC SES DEMONS

    Le Monde, France
    6 octobre 2006 vendredi

    Le pays peine a se defaire de son ultranationalisme et de ses pratiques
    policières brutales. Il y a urgence

    Un père affectionne nous offre la main de sa fille malade en mariage.

    La belle est eblouissante. Et, comble de bonheur, ce père nous assure
    que la promise, soignee, est en voie de guerison. " Je ne minimise
    pas le travail qui nous reste a accomplir ", ajoute-t-il, comme s'il
    s'agissait d'un detail secondaire. C'est ce qu'ecrit M. Abdullah Gul,
    vice-premier ministre, et ministre des affaires etrangères de Turquie
    (le Monde du 26 septembre). Il nous accorde que les obstacles ne
    manquent pas sur le chemin de l'adhesion de son pays a l'Union
    europeenne.

    Mais M. Gul nous passe sous silence la disgrâce qui consume la
    fiancee, envahie d'horribles demons a exorciser. Lorsqu'une personne
    se trouve etre la proie de deux personnalites contradictoires, on dit
    qu'elle est atteinte de schizophrenie. Il faut la traiter d'urgence,
    car elle souffre d'une terrifiante crise d'identite. Beaucoup, en
    Turquie, cherchent a democratiser ce pays et, c'est le cas, bien sûr,
    de M. Abdullah Gul et de son ami le premier ministre Recep Tayyip
    Erdogan. Mais leurs opposants règnent dans tout l'appareil d'Etat turc,
    les partis, le Parlement, l'armee et l'administration publique.

    Le 21 septembre, j'assistais au procès de la romancière Elif Safak,
    a la cour d'assises de Beyoglu, a Istanbul. Elle etait accusee
    par l'avocat ultranationaliste Kemal Kerincsiz d'avoir " insulte
    l'identite turque " dans son dernier roman où elle raconte l'histoire
    d'orphelins armeniens dont les parents ont ete massacres par les Turcs
    en 1915. Devant le palais de justice, une trentaine de nationalistes
    hurlaient leur haine de l'Union europeenne. Ils agitaient des drapeaux
    bleus de l'UE agrementes de la croix gammee, proclamant ainsi que
    l'Union, remplie de nazis, ne cherchaient qu'a detruire la Turquie.

    Proteges par 200 policiers, arrivaient le president du groupe
    parlementaire de l'UE, Joost Lagendijk, les observateurs d'Amnesty
    International et du Pen International, ainsi que des dizaines de
    journalistes du monde entier. Etait-ce cette pression internationale
    ? Comme l'ecrivain Orhan Pamuk l'an passe, Elif Safak a ete
    acquittee. Pour les observateurs presents, cette sentence mediatisee
    n'avait guère de sens, au regard des 120 procès intentes cette annee
    contre des journalistes, des ecrivains, des editeurs moins connus.

    Dix-huit ont ete acquittes, mais beaucoup retournent en assises.

    D'autres subissent une peine d'amende, des journaux sont suspendus.

    Le journaliste Hrant Dink, qui parle librement du massacre des
    Armeniens, retourne pour la troisième fois devant les tribunaux,
    mais il risque cette fois la prison, car il a deja ete condamne avec
    sursis. Il reste 45 procès de ce genre avant la fin de l'annee.

    D'un côte, le premier ministre Erdogan telephone a la romancière Elif
    Safak, acquittee, pour lui declarer sa satisfaction. De l'autre, il
    laisse les partis nationalistes faire exclure des prochaines reformes
    le fameux article 301 du code penal, celui qui envoie en prison toute
    personne " denigrant l'identite turque ". Les termes de cette loi
    sont si vagues qu'ils permettent aux nationalistes de fouler aux pieds
    les engagements de la Turquie envers l'UE sur la liberte d'expression.

    D'un côte, Erdogan proclame une politique de " torture, tolerance zero
    ". De l'autre, les cas de tortures allegues se poursuivent, confortes
    par les nouvelles techniques d'interrogatoire des Americains. Dans
    le sud-est de la Turquie, se multiplient executions sommaires,
    enlèvements, attentats et tortures perpetres par les services de
    securite, qui alimentent ainsi en nouveaux sympathisants les troupes
    de la guerilla (le PKK). Dans cette region, près de 15 millions de
    Kurdes sont pris en otage entre la guerilla et l'armee.

    Pour les experts de l'UE, et pour le gouvernement turc, le problème
    de la minorite kurde n'est qu'une question de niveau de vie...

    D'un côte, M. Abdullah Gul assure a Bruxelles que des reformes sont
    en cours, de l'autre, les legislateurs turcs ignorent les règles
    de precision et d'exactitude en vigueur dans toute legislation
    democratique. Ainsi, la nouvelle loi antiterroriste, votee en juin,
    est si mal redigee qu'elle peut faire inculper comme terroriste
    n'importe quel Kurde pacifique, n'importe quel journaliste exercant
    son metier. La Turquie, prochaine fiancee de l'Europe selon les voeux
    de M. Abdullah Gul, est en pleine crise d'identite. Elle est certes
    malade. Mais ne la rejetons pas : aidons-la plutôt a guerir.

    Claude Edelmann

    Cineaste,membre du Collectif pour les droits de l'homme en Turquie

    --Boundary_(ID_RegUsEdm50zKekbRajp6Cg)--
Working...
X