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Eloge du politiquement correct. Pourquoi pas une loi sur le genocide

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    Le Point
    26 octobre 2006

    Eloge du politiquement correct. Pourquoi pas une loi sur le génocide
    arménien ? La Turquie doit attendre. Le Lawrence des frères Poivre
    d'Arvor. La haine de l'Occident est une vieille idée des fascistes.;
    Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy

    par Bernard-Henri Lévy


    Conférence à Milan, dans la « Aula Magna » de l'Université, là même
    où, il y a trente ans, je venais expliquer à une jeunesse tentée par
    l'extraparlementarisme que le terrorisme était un fascisme. Le sujet,
    ce matin, c'est le « politiquement correct ». Et je surprends en
    disant que d'accord la liberté de parole sans limite ; d'accord le
    ridicule des campus américains où l'on censure Blanche-Neige par
    respect pour les nains ; d'accord encore, cent fois d'accord, sur la
    folie de ces féministes réécrivant la Bible en remplaçant « Dieu le
    père » par « Dieu le père-mère » ; mais, en même temps... ; est-ce
    qu'elle est si folle que cela, en même temps, l'idée que c'est dans
    la langue que se sédimente l'archive du malheur ? est-ce que, dans le
    sud des Etats-Unis par exemple, l'assimilation du parler raciste à un
    délit n'a pas changé les choses ? est-ce qu'une dose de politiquement
    correct n'est pas, autrement dit, la bienvenue sur les deux ou trois
    fronts - racisme donc, antisémitisme, reconnaissance des génocides -
    où se noue et joue le lien social ?

    Y compris les Arméniens ? Je veux dire : y compris s'agissant de ce
    génocide arménien dont un récent projet de loi, adopté en première
    lecture, propose de criminaliser la négation ? Eh bien oui, après
    tout. Je ne vois pas au nom de quoi l'on traiterait, sur ce point au
    moins, différemment les génocides. Et le grand argument en faveur de
    la loi Gayssot, l'argument développé par Claude Lanzmann par exemple
    dans un éditorial récent des Temps modernes, l'argument qui, en gros,
    rappelle que, dans le cas de la Shoah, la négation était dans le
    crime, qu'elle en faisait partie intégrante et que c'est dans le même
    geste que l'on tuait et que l'on effaçait la trace de la tuerie, cet
    argument-là, je ne vois pas comment l'on refuserait de l'opposer à un
    négationnisme dont le principe est, hélas, strictement identique. La
    liberté de l'historien est une chose, la loi en est une autre. Jamais
    la loi Gayssot n'a empêché un historien de travailler - une loi sur
    le génocide de 1915 réduirait au silence les braillards turcs
    néofascistes, elle ne gênerait nullement le libre travail de la
    recherche.

    Je n'ai rien, je l'ai souvent dit, contre le principe de l'adhésion
    de la Turquie aux traités européens. Mais quant aux faits... Comment,
    quand on s'en tient aux faits et que l'on voit l'état de fureur où
    cette affaire de génocide continue de mettre les élites turques,
    comment, quand on voit leur colère à l'annonce de l'attribution du
    Nobel à un compatriote, Orhan Pamuk, dont le crime est de « croire »
    au génocide en question, comment, face à la montée de l'islamisme
    radical dans le pays qui fut celui de Mustafa Kemal, comment, face au
    néoantisémitisme qui se répand, au mensonge d'Etat qui fait loi sur
    les questions kurde et chypriote, comment, face aux violations des
    droits de l'homme dans les prisons d'Ankara, envisager la chose à
    court ou même moyen terme ? Les critères économiques d'adhésion sont
    une chose : on peut y arriver assez vite. Les critères moraux en sont
    une autre : elle suppose évolution profonde, conversion, révolution
    des mes et des coeurs - tout le contraire du « vous voulez un mot
    sur les Arméniens ? une déclaration de conformité ? les voici » dont
    les Turcs sont capables mais qui ne seront jamais que l'oblique
    génuflexion du dévot pressé d'entrer dans la maison commune et qui,
    donc, ne vaudraient rien.

    Turquie toujours. Sur la route de Milan à Rome - où l'on présente une
    version film d'« American Vertigo » - le hasard des lectures me fait
    tomber sur « Disparaître », le roman d'Olivier et Patrick Poivre
    d'Arvor (Gallimard). C'est le pari, qui m'a toujours passionné, de
    reconstituer les dernières pensées d'un grand esprit réduit au
    silence (Lawrence, dans le petit hôpital du Dorset après son accident
    de moto). C'est, entre confidences chuchotées, récits imaginés, faux
    documents, articles apocryphes, tout le mystère de l'auteur des «
    Sept piliers de la sagesse », que revisitent les deux frères
    (particulièrement réussi, le personnage de Lowell Thomas, l'inventeur
    de la légende dont on voit se mettre en place l'aigre, la folle, la
    presque comique haine de son objet). Mais c'est aussi, par la force
    des choses et du décor, une plongée dans cette scène du début du
    dernier siècle (Levant, révolte contre les Turcs, fin des empires,
    naissance des nationalismes arabe et juif) où nous sommes, à
    l'évidence, plus que jamais.

    Autre lecture qui n'a rien à voir - encore que... « L'occidentalisme
    » de Ian Buruma et Avishai Margalit, chez Flammarion. Sous-titre : «
    Une brève histoire de la guerre contre l'Occident ». Et, sous ces
    titre et sous-titre, une thèse - que dis-je ? une démonstration -
    dont je n'ai pas besoin de souligner, non plus, la brûlante actualité
    : cette guerre contre l'Occident, cette haine de l'Europe et de
    l'Amérique en passe de devenir religion planétaire, le relativisme
    culturel, l'idée que l'universalisation des valeurs de démocratie et
    de droits de l'homme ne sera jamais qu'un abus de pouvoir des peuples
    riches contre les peuples prolétaires, l'anti-impérialisme pavlovisé
    sur fond de prétendu respect des identités, bref, tout cela, toute
    cette soupe idéologique qui est l'ordinaire du progressisme
    contemporain, a une généalogie qui n'est autre - mais oui ! - que
    celle des fascismes européens
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