"LE FOND DU PROBLEME ENTRE AKP ET KEMALISTES N'EST PAS TRANCHE"
par Caroline Stevan
Le Temps
Samedi 02 Août 2008
Suisse
TURQUIE. Le parti au pouvoir sanctionne par la Cour constitutionnelle.
Dorothee Schmid, directrice de recherche a l'Institut francais des
relations internationales (IFRI), analyse la situation en Turquie
apres la decision mercredi de la Cour constitutionnelle de ne
pas dissoudre le Parti de la justice et du developpement (AKP, au
pouvoir depuis 2002) accuse d'activites anti-laïques. La formation
du premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, a cependant ecope de
sanctions financieres. Un avertissement qui risque d'influer sur la
vie politique du pays.
Le Temps: A quels genres de compromis sera pousse l'AKP apres la
decision de la Cour constitutionnelle?
Dorothee Schmid: Le president de la Cour constitutionnelle a souligne
que l'objectif des juges etait d'envoyer un message clair a l'AKP,
qu'il esperait que les acteurs politiques en tiendraient compte et
regleraient a l'avenir leurs problemes entre eux. Les kemalistes sont
d'assez mauvaise foi en affirmant que la crise politique n'est ainsi
pas resolue mais confirmee. Ce genre de declaration montre qu'ils ne
sont pas prets au compromis. La question aujourd'hui est donc: "Qui
doit donner du mou?" L'AKP a certes provoque la crise en autorisant
le foulard islamique a l'universite, mais ce sont les autres qui
l'ont nourrie. La decision des juges implique cependant pour le
parti au pouvoir d'aller plus doucement sur les sujets lies a la
laecite. Personne ne dispose d'elements precis concernant un agenda
islamiste de l'AKP, mais ce qui est ser, c'est que le gouvernement
ne doit pas revenir en fanfare avec la question du voile.
- Laïcite et paix sociale sont-elles preservees pour un moment?
- C'est difficile a dire. La crise a polarise la societe, entre
ceux qui soutiennent l'AKP et les autres. La reponse de la Cour
constitutionnelle n'est pas motivee, mais seulement destinee a calmer
le jeu. Six juges sur 11 se sont prononces pour la dissolution, mais
10 etaient pour des sanctions. Tout cela n'est pas très clair. Le
fond du probleme, des lors, n'est pas tranche.
- On a l'impression d'un debat pris en otage entre ceux qui se veulent
garants de la Constitution, et donc de la laïcite, et les religieux
de l'AKP. Qu'en est-il de la population?
- Les derniers sondages affirment que, en cas d'elections anticipees,
plus de 40% des votants se prononceraient pour l'AKP. Cela dit,
c'est aussi parce qu'il n'y a pas d'opposition credible pour l'instant.
- L'autorisation du foulard islamique a l'universite avait ete l'une
des causes de la crise. Quelle est la ligne rouge a ne pas franchir?
- Le voile est une ligne symbolique très importante. L'AKP devra y
aller prudemment sur ce sujet. Les autres lignes rouges sont plutôt
liees aux exigences europeennes. La Turquie doit faire des efforts
concernant la liberte d'expression et les "atteintes a l'interet
national". Chypre est egalement une question sensible. D'une maniere
generale, le pays est plutet mieux au niveau diplomatique; il y a la
mediation Syrie-Israel, les efforts avec l'Armenie, le positionnement
face a l'Iran. Tout semble en meilleure voie, sauf les dossiers sur
lesquels l'armee conserve la main, comme l'Irak.
- Le kemalisme est-il vraiment menace a court terme?
- Juste apres la decision de la Cour, Recep Tayyip Erdogan a affirme
que l'AKP suivait la voie de la modernisation d'Ataturk et que cette
voie menait a l'Europe. Il a compris que le moment n'etait pas a
deboulonner les symboles, et essaie plutôt de ne pas laisser ce
patrimoine aux seules mains des kemalistes.
--Boundary_(ID_RIr4dEPFGUwehznRDt5STQ )--
par Caroline Stevan
Le Temps
Samedi 02 Août 2008
Suisse
TURQUIE. Le parti au pouvoir sanctionne par la Cour constitutionnelle.
Dorothee Schmid, directrice de recherche a l'Institut francais des
relations internationales (IFRI), analyse la situation en Turquie
apres la decision mercredi de la Cour constitutionnelle de ne
pas dissoudre le Parti de la justice et du developpement (AKP, au
pouvoir depuis 2002) accuse d'activites anti-laïques. La formation
du premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, a cependant ecope de
sanctions financieres. Un avertissement qui risque d'influer sur la
vie politique du pays.
Le Temps: A quels genres de compromis sera pousse l'AKP apres la
decision de la Cour constitutionnelle?
Dorothee Schmid: Le president de la Cour constitutionnelle a souligne
que l'objectif des juges etait d'envoyer un message clair a l'AKP,
qu'il esperait que les acteurs politiques en tiendraient compte et
regleraient a l'avenir leurs problemes entre eux. Les kemalistes sont
d'assez mauvaise foi en affirmant que la crise politique n'est ainsi
pas resolue mais confirmee. Ce genre de declaration montre qu'ils ne
sont pas prets au compromis. La question aujourd'hui est donc: "Qui
doit donner du mou?" L'AKP a certes provoque la crise en autorisant
le foulard islamique a l'universite, mais ce sont les autres qui
l'ont nourrie. La decision des juges implique cependant pour le
parti au pouvoir d'aller plus doucement sur les sujets lies a la
laecite. Personne ne dispose d'elements precis concernant un agenda
islamiste de l'AKP, mais ce qui est ser, c'est que le gouvernement
ne doit pas revenir en fanfare avec la question du voile.
- Laïcite et paix sociale sont-elles preservees pour un moment?
- C'est difficile a dire. La crise a polarise la societe, entre
ceux qui soutiennent l'AKP et les autres. La reponse de la Cour
constitutionnelle n'est pas motivee, mais seulement destinee a calmer
le jeu. Six juges sur 11 se sont prononces pour la dissolution, mais
10 etaient pour des sanctions. Tout cela n'est pas très clair. Le
fond du probleme, des lors, n'est pas tranche.
- On a l'impression d'un debat pris en otage entre ceux qui se veulent
garants de la Constitution, et donc de la laïcite, et les religieux
de l'AKP. Qu'en est-il de la population?
- Les derniers sondages affirment que, en cas d'elections anticipees,
plus de 40% des votants se prononceraient pour l'AKP. Cela dit,
c'est aussi parce qu'il n'y a pas d'opposition credible pour l'instant.
- L'autorisation du foulard islamique a l'universite avait ete l'une
des causes de la crise. Quelle est la ligne rouge a ne pas franchir?
- Le voile est une ligne symbolique très importante. L'AKP devra y
aller prudemment sur ce sujet. Les autres lignes rouges sont plutôt
liees aux exigences europeennes. La Turquie doit faire des efforts
concernant la liberte d'expression et les "atteintes a l'interet
national". Chypre est egalement une question sensible. D'une maniere
generale, le pays est plutet mieux au niveau diplomatique; il y a la
mediation Syrie-Israel, les efforts avec l'Armenie, le positionnement
face a l'Iran. Tout semble en meilleure voie, sauf les dossiers sur
lesquels l'armee conserve la main, comme l'Irak.
- Le kemalisme est-il vraiment menace a court terme?
- Juste apres la decision de la Cour, Recep Tayyip Erdogan a affirme
que l'AKP suivait la voie de la modernisation d'Ataturk et que cette
voie menait a l'Europe. Il a compris que le moment n'etait pas a
deboulonner les symboles, et essaie plutôt de ne pas laisser ce
patrimoine aux seules mains des kemalistes.
--Boundary_(ID_RIr4dEPFGUwehznRDt5STQ )--