Le Monde, France
20 décembre 2008 samedi
Editorial;
Réveil des consciences
Il faut du courage pour " demander pardon " à ses " frères et soeurs
arméniens " pour le génocide de 1915 en Turquie. C'est ce que viennent
de faire quatre intellectuels turcs de premier plan, à l'origine d'une
pétition sur Internet. Habituellement, le négationnisme de l'Etat turc
s'oppose à quiconque prétend s'écarter d'une version officielle qui
nie toute tuerie intentionnelle et organisée. Le sort de plus d'un
million d'Arméniens, massacrés de 1915 à 1916 dans ce qui a été le
premier génocide du XXe siècle, demeure un sujet tabou en Turquie.
L'amnésie collective est pratiquée depuis la création de la
République, en 1923 : " Un lavage de cerveau ", dit Baskin Oran, un
des instigateurs de cette pétition, pour qui " une telle ignorance ne
peut venir que de l'éducation ". Mais les fantômes reviennent. La
Turquie ne peut plus, aujourd'hui, échapper à son introspection, car
la part arménienne de son identité, niée pendant quatre-vingt-dix ans,
réapparaît au grand jour. Le contexte politique y est plus favorable.
Depuis que le pays est candidat à l'Union européenne, la parole s'est
libérée. Les projets artistiques, les romans et les films explorant
cette zone d'ombre, fleurissent. Une conférence universitaire, en
2005, à Istanbul, a ouvert la voie à la reconnaissance du martyre subi
par les Arméniens sous l'Empire ottoman. Les initiatives
individuelles, comme cette pétition, font petit à petit sauter des
verrous psychologiques.
Le président Abdullah Gül, qui s'est rendu en Arménie en septembre,
jette un oeil bienveillant sur ces débats. Ils montrent, selon lui,
que la démocratie turque arrive à maturité. Mais une députée kémaliste
a conseillé aux journalistes de s'intéresser au passé de la mère du
président, implicitement soupçonné d'avoir des racines arméniennes. En
Turquie, le mot " Arménien " reste une insulte, régulièrement proférée
dans les stades, dans les cours de récréation et dans les couloirs du
Parlement. En demandant pardon à titre individuel, des milliers de
Turcs s'estiment aujourd'hui responsables d'avoir laissé s'installer
ce silence lourd de sens. En cela, l'assassinat du journaliste
d'origine arménienne Hrant Dink, en janvier 2007, a joué le rôle
d'accélérateur de l'histoire. Ce n'est pas un hasard si les quatre
intellectuels repentants étaient des proches d'Hrant Dink.
20 décembre 2008 samedi
Editorial;
Réveil des consciences
Il faut du courage pour " demander pardon " à ses " frères et soeurs
arméniens " pour le génocide de 1915 en Turquie. C'est ce que viennent
de faire quatre intellectuels turcs de premier plan, à l'origine d'une
pétition sur Internet. Habituellement, le négationnisme de l'Etat turc
s'oppose à quiconque prétend s'écarter d'une version officielle qui
nie toute tuerie intentionnelle et organisée. Le sort de plus d'un
million d'Arméniens, massacrés de 1915 à 1916 dans ce qui a été le
premier génocide du XXe siècle, demeure un sujet tabou en Turquie.
L'amnésie collective est pratiquée depuis la création de la
République, en 1923 : " Un lavage de cerveau ", dit Baskin Oran, un
des instigateurs de cette pétition, pour qui " une telle ignorance ne
peut venir que de l'éducation ". Mais les fantômes reviennent. La
Turquie ne peut plus, aujourd'hui, échapper à son introspection, car
la part arménienne de son identité, niée pendant quatre-vingt-dix ans,
réapparaît au grand jour. Le contexte politique y est plus favorable.
Depuis que le pays est candidat à l'Union européenne, la parole s'est
libérée. Les projets artistiques, les romans et les films explorant
cette zone d'ombre, fleurissent. Une conférence universitaire, en
2005, à Istanbul, a ouvert la voie à la reconnaissance du martyre subi
par les Arméniens sous l'Empire ottoman. Les initiatives
individuelles, comme cette pétition, font petit à petit sauter des
verrous psychologiques.
Le président Abdullah Gül, qui s'est rendu en Arménie en septembre,
jette un oeil bienveillant sur ces débats. Ils montrent, selon lui,
que la démocratie turque arrive à maturité. Mais une députée kémaliste
a conseillé aux journalistes de s'intéresser au passé de la mère du
président, implicitement soupçonné d'avoir des racines arméniennes. En
Turquie, le mot " Arménien " reste une insulte, régulièrement proférée
dans les stades, dans les cours de récréation et dans les couloirs du
Parlement. En demandant pardon à titre individuel, des milliers de
Turcs s'estiment aujourd'hui responsables d'avoir laissé s'installer
ce silence lourd de sens. En cela, l'assassinat du journaliste
d'origine arménienne Hrant Dink, en janvier 2007, a joué le rôle
d'accélérateur de l'histoire. Ce n'est pas un hasard si les quatre
intellectuels repentants étaient des proches d'Hrant Dink.