Le Figaro, France
Mercredi 17 Décembre 2008
Des intellectuels turcs demandent pardon pour le massacre arménien
TURQUIE. La campagne intervient à un moment crucial du rapprochement
entre les autorités des deux pays, qui négocient une réouverture de
leur frontière.
par Nicole Pope, Istanbul
Plusieurs milliers de Turcs ont signé une déclaration par le biais
d'Internet, demandant pardon aux Arméniens pour les massacres de
1915. «Ma conscience n'accepte pas le négationnisme et l'indifférence
envers la Grande Catastrophe subie par les Arméniens ottomans en
1915», déclarent les signataires. «Pour ma part, je refuse cette
injustice, je partage les émotions et la douleur de mes frères
arméniens, et je m'excuse auprès d'eux.»
L'initiative, lancée par 200 intellectuels turcs, vise à briser le
tabou officiel sur les événements sanglants qui se sont déroulés en
Anatolie. Parmi les pétitionnaires figurent notamment le codirigeant
du parti vert allemand Cem Özdemir, l'écrivain Nedim Gürsel et la
sociologue Nilüfer Göle.
«Il fallait sortir des pétitions classiques, qui sont ouvertes
quelques jours et sont toujours signées par les mêmes personnes»,
explique Cengiz Aktar, un des organisateurs du projet, professeur à
l'université Bahçesehir. «Nous voulions une initiative de longue
haleine, qui va durer un an, pour que les gens de la rue puissent y
participer.»
Alors que les pronostics les plus optimistes envisageaient 10000
signatures à l'issue d'un an, près de 8000 pétitionnaires avaient déjà
démontré leur soutien 36 heures après le lancement de la pétition le
15 décembre.
Cette démarche intervient à un moment crucial, puisque les autorités
turques et arméniennes sont en train de négocier les termes d'une
reprise éventuelle des relations diplomatiques.
Le président turc Abdullah Gül s'était rendu à Erevan en septembre
dernier à l'invitation de son homologue arménien Serge Sarkissian,
pour assister au match de qualification pour le Mondial 2010 qui
opposait les deux équipes nationales de football. Cette visite, la
première d'un président turc depuis l'indépendance de l'Arménie, avait
marqué le début du dégel entre les deux pays.
La réouverture de la frontière, fermée depuis 1993, est au centre des
pourparlers en cours, qui portent également sur la formation d'une
commission mixte d'historiens turcs et arméniens pour examiner les
événements de 1915.
Les autorités turques admettent que des massacres et la déportation
d'Arméniens ont eu lieu en Anatolie durant la Première Guerre
mondiale, mais elles rejettent la thèse du génocide et affirment que
de nombreux Turcs ont également trouvé la mort durant cette
période. Selon les Turcs, environ 300000 ont péri en 1915. La diaspora
arménienne, elle, place ce chiffre à près de 1,5 million. Quelque
60000 Arméniens vivent en Turquie.
Le contentieux entre l'Azerbaïdjan turcophone et Erevan était
également un obstacle de taille au rapprochement turco-arménien, mais
Ankara semble avoir adouci sa position. «La normalisation des
relations turco-arméniennes aurait un impact positif sur les
discussions entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie sur le Nagorno-Karabakh»,
déclarait récemment le ministre turc des Affaires étrangères, Ali
Babacan.
Au-delà des démarches diplomatiques, la déclaration de pardon confirme
l'érosion progressive des tabous érigés par l'idéologie officielle en
Turquie.
L'assassinat, en janvier 2007, du journaliste turc d'origine
arménienne Hrant Dink, abattu par un jeune ultranationaliste, avait
causé de fortes réactions. Plus de 100000 Turcs étaient descendus dans
la rue pour manifester leur solidarité.
Au cours des dernières années, de nombreux Turcs ont découvert un
passé et une diversité culturelle, qui figure peu dans leurs manuels
scolaires.
Dans Le livre de ma grand-mère, qui avait rencontré un succès
populaire, l'avocate Fethiye Çetin avait raconté l'histoire de son
aïeule, sauvée et élevée par des Turcs, qui n'avait révélé ses
origines arméniennes qu'à la fin de sa vie. Une exposition de cartes
postales ottomanes, documentant la vie des Arméniens d'Anatolie, avait
attiré une foule de visiteurs. La tragédie de 1915 avait également été
discutée publiquement lors d'une conférence très controversée, qui
s'était tenue à Istanbul en 2005.
Ces développements sont cependant loin de faire l'unanimité en
Turquie, où le nationalisme est toujours à fleur de peau et l'Etat
maintient sa rigidité.
Un groupe de diplomates à la retraite s'est publiquement opposé à la
déclaration de pardon, affirmant que la démarche était «injuste,
erronée et contraire aux intérêts de la nation».
Mercredi 17 Décembre 2008
Des intellectuels turcs demandent pardon pour le massacre arménien
TURQUIE. La campagne intervient à un moment crucial du rapprochement
entre les autorités des deux pays, qui négocient une réouverture de
leur frontière.
par Nicole Pope, Istanbul
Plusieurs milliers de Turcs ont signé une déclaration par le biais
d'Internet, demandant pardon aux Arméniens pour les massacres de
1915. «Ma conscience n'accepte pas le négationnisme et l'indifférence
envers la Grande Catastrophe subie par les Arméniens ottomans en
1915», déclarent les signataires. «Pour ma part, je refuse cette
injustice, je partage les émotions et la douleur de mes frères
arméniens, et je m'excuse auprès d'eux.»
L'initiative, lancée par 200 intellectuels turcs, vise à briser le
tabou officiel sur les événements sanglants qui se sont déroulés en
Anatolie. Parmi les pétitionnaires figurent notamment le codirigeant
du parti vert allemand Cem Özdemir, l'écrivain Nedim Gürsel et la
sociologue Nilüfer Göle.
«Il fallait sortir des pétitions classiques, qui sont ouvertes
quelques jours et sont toujours signées par les mêmes personnes»,
explique Cengiz Aktar, un des organisateurs du projet, professeur à
l'université Bahçesehir. «Nous voulions une initiative de longue
haleine, qui va durer un an, pour que les gens de la rue puissent y
participer.»
Alors que les pronostics les plus optimistes envisageaient 10000
signatures à l'issue d'un an, près de 8000 pétitionnaires avaient déjà
démontré leur soutien 36 heures après le lancement de la pétition le
15 décembre.
Cette démarche intervient à un moment crucial, puisque les autorités
turques et arméniennes sont en train de négocier les termes d'une
reprise éventuelle des relations diplomatiques.
Le président turc Abdullah Gül s'était rendu à Erevan en septembre
dernier à l'invitation de son homologue arménien Serge Sarkissian,
pour assister au match de qualification pour le Mondial 2010 qui
opposait les deux équipes nationales de football. Cette visite, la
première d'un président turc depuis l'indépendance de l'Arménie, avait
marqué le début du dégel entre les deux pays.
La réouverture de la frontière, fermée depuis 1993, est au centre des
pourparlers en cours, qui portent également sur la formation d'une
commission mixte d'historiens turcs et arméniens pour examiner les
événements de 1915.
Les autorités turques admettent que des massacres et la déportation
d'Arméniens ont eu lieu en Anatolie durant la Première Guerre
mondiale, mais elles rejettent la thèse du génocide et affirment que
de nombreux Turcs ont également trouvé la mort durant cette
période. Selon les Turcs, environ 300000 ont péri en 1915. La diaspora
arménienne, elle, place ce chiffre à près de 1,5 million. Quelque
60000 Arméniens vivent en Turquie.
Le contentieux entre l'Azerbaïdjan turcophone et Erevan était
également un obstacle de taille au rapprochement turco-arménien, mais
Ankara semble avoir adouci sa position. «La normalisation des
relations turco-arméniennes aurait un impact positif sur les
discussions entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie sur le Nagorno-Karabakh»,
déclarait récemment le ministre turc des Affaires étrangères, Ali
Babacan.
Au-delà des démarches diplomatiques, la déclaration de pardon confirme
l'érosion progressive des tabous érigés par l'idéologie officielle en
Turquie.
L'assassinat, en janvier 2007, du journaliste turc d'origine
arménienne Hrant Dink, abattu par un jeune ultranationaliste, avait
causé de fortes réactions. Plus de 100000 Turcs étaient descendus dans
la rue pour manifester leur solidarité.
Au cours des dernières années, de nombreux Turcs ont découvert un
passé et une diversité culturelle, qui figure peu dans leurs manuels
scolaires.
Dans Le livre de ma grand-mère, qui avait rencontré un succès
populaire, l'avocate Fethiye Çetin avait raconté l'histoire de son
aïeule, sauvée et élevée par des Turcs, qui n'avait révélé ses
origines arméniennes qu'à la fin de sa vie. Une exposition de cartes
postales ottomanes, documentant la vie des Arméniens d'Anatolie, avait
attiré une foule de visiteurs. La tragédie de 1915 avait également été
discutée publiquement lors d'une conférence très controversée, qui
s'était tenue à Istanbul en 2005.
Ces développements sont cependant loin de faire l'unanimité en
Turquie, où le nationalisme est toujours à fleur de peau et l'Etat
maintient sa rigidité.
Un groupe de diplomates à la retraite s'est publiquement opposé à la
déclaration de pardon, affirmant que la démarche était «injuste,
erronée et contraire aux intérêts de la nation».