Le Monde, France
26 juillet 2008 samedi
Visite historique du président turc près de la frontière avec
l'Arménie, fermée depuis 1993
par Guillaume Perrier
Les deux pays, qui ont rompu leurs relations il y a quinze ans,
amorcent un rapprochement qui pourrait se concrétiser, en septembre, à
l'occasion d'un match de football en Arménie
C'est donc là l'Arménie ? Si près ? " Surpris, le président de la
République turque, Abdullah Gül, s'est arrêté un instant en surplomb
du canyon au fond duquel coule la rivière Araxe, la ligne naturelle
qui sépare la Turquie de l'Arménie. Un regard de l'autre côté, d'où
émergent quelques baraquements et des miradors occupés par les soldats
russes et arméniens qui gardent cette frontière.
De passage dans la région de Kars, mercredi 23 et jeudi 24 juillet,
aux confins orientaux de la Turquie, M. Gül a marché une petite heure
dans le site majestueux d'Ani : l'ancienne " cité aux 1 001 églises "
est le vestige le plus important de la présence arménienne en
Anatolie. Des églises, il n'en reste que cinq ou six, en ruine,
disséminées dans les herbes folles. Les visiteurs peuvent venir les
admirer depuis 2004. Auparavant, la zone, sous contrôle militaire,
était totalement bouclée.
Ani, à la limite du territoire turc, fut la capitale du royaume
bagratide d'Arménie, au Xe siècle. Le symbole de cette visite n'est
donc pas passé inaperçu, ni d'un côté ni de l'autre de la frontière,
fermée depuis 1993 : Abdullah Gül est le premier président turc à s'y
rendre.
L'Arménie et la Turquie ont rompu leurs relations il y a quinze ans,
quand la guerre a éclaté au Nagorny Karabakh, une province
d'Azerbaïdjan, peuplée en majorité d'Arméniens, toujours occupée par
Erevan. Dans ce conflit, la Turquie a pris fait et cause pour
l'Azerbaïdjan, un pays de souche turque. Mais depuis quelques
semaines, de part et d'autre, les petits gestes d'ouverture se sont
multipliés.
Début juillet, le président arménien, Serge Sarkissian, a invité son
homologue turc à assister au match de football entre l'Arménie et la
Turquie qui doit avoir lieu à Erevan, le 6 septembre, évoquant " une
nouvelle phase de dialogue avec le gouvernement et le peuple de
Turquie ". M. Gül réserve sa réponse, suspendue aux troubles
politiques qui agitent Ankara. Quelques jours plus tard, on apprenait
que des négociations bilatérales " secrètes " avaient eu lieu, le 8
juillet à Berne, en Suisse. D'autres rencontres sont prévues en août
et septembre et, cette semaine, le ministre des Affaires étrangères,
Ali Babacan, a participé à une réunion, aux Nations unies, en présence
d'un ambassadeur arménien.
DIPLOMATIE DU FROMAGE
Les Etats-Unis mais aussi l'Iran, partenaire stratégique d'Erevan,
soutiennent ardemment ce dialogue. Enfin, dernier geste en date, le
gouvernement turc a démis de ses fonctions, mercredi, le directeur de
l'institut turc d'histoire, Yusuf Halaçoglu, connu pour sa rhétorique
anti-arménienne et antigénocide. A Kars, la capitale de la province
turque frontalière de l'Arménie, cela fait bien longtemps que l'on
veut rétablir des relations avec le voisin honni. Coincée au fond d'un
cul-de-sac, Kars est la première à souffrir de la situation. Ses rues
défoncées et ses maisons russes du XIXe siècle décrépies trahissent
une situation économique difficile.
Le maire (Parti de la justice et du développement, AKP) de la ville,
Naif Alibeyoglu, avait rassemblé, en 2000, plus de 50 000 signatures
pour la réouverture de la frontière et se démène pour organiser des
rencontres culturelles ou des foires commerciales qui réunissent des
ressortissants de tous les pays du Caucase. " Nous cherchons depuis
des années à ramener la paix dans la région ", dit-il. Ces positions
lui attirent régulièrement les foudres des nationalistes turcs et
azéris. Une députée du parti au pouvoir à Bakou l'a traité, mercredi,
de " provocateur " et " d'ami des Arméniens ".
Mais en 2007, un salon des entrepreneurs, à Kars, a fait naître un
projet transfrontalier. Des producteurs turcs, géorgiens et arméniens,
ont lancé leur fromage " caucasien ", fabriqué depuis février. " Nous
voulons sauvegarder notre culture commune qui est caucasienne,
explique Ilhan Koçulu, le promoteur du projet. La terre ne fait pas de
discrimination. Je suis très peiné de voir ces conflits dans notre
région. Nous envoyons un message aux politiciens et aux populations
locales : nous sommes tous des enfants de la terre du Caucase. " La
diplomatie du fromage montrera peut-être la voie à suivre.
26 juillet 2008 samedi
Visite historique du président turc près de la frontière avec
l'Arménie, fermée depuis 1993
par Guillaume Perrier
Les deux pays, qui ont rompu leurs relations il y a quinze ans,
amorcent un rapprochement qui pourrait se concrétiser, en septembre, à
l'occasion d'un match de football en Arménie
C'est donc là l'Arménie ? Si près ? " Surpris, le président de la
République turque, Abdullah Gül, s'est arrêté un instant en surplomb
du canyon au fond duquel coule la rivière Araxe, la ligne naturelle
qui sépare la Turquie de l'Arménie. Un regard de l'autre côté, d'où
émergent quelques baraquements et des miradors occupés par les soldats
russes et arméniens qui gardent cette frontière.
De passage dans la région de Kars, mercredi 23 et jeudi 24 juillet,
aux confins orientaux de la Turquie, M. Gül a marché une petite heure
dans le site majestueux d'Ani : l'ancienne " cité aux 1 001 églises "
est le vestige le plus important de la présence arménienne en
Anatolie. Des églises, il n'en reste que cinq ou six, en ruine,
disséminées dans les herbes folles. Les visiteurs peuvent venir les
admirer depuis 2004. Auparavant, la zone, sous contrôle militaire,
était totalement bouclée.
Ani, à la limite du territoire turc, fut la capitale du royaume
bagratide d'Arménie, au Xe siècle. Le symbole de cette visite n'est
donc pas passé inaperçu, ni d'un côté ni de l'autre de la frontière,
fermée depuis 1993 : Abdullah Gül est le premier président turc à s'y
rendre.
L'Arménie et la Turquie ont rompu leurs relations il y a quinze ans,
quand la guerre a éclaté au Nagorny Karabakh, une province
d'Azerbaïdjan, peuplée en majorité d'Arméniens, toujours occupée par
Erevan. Dans ce conflit, la Turquie a pris fait et cause pour
l'Azerbaïdjan, un pays de souche turque. Mais depuis quelques
semaines, de part et d'autre, les petits gestes d'ouverture se sont
multipliés.
Début juillet, le président arménien, Serge Sarkissian, a invité son
homologue turc à assister au match de football entre l'Arménie et la
Turquie qui doit avoir lieu à Erevan, le 6 septembre, évoquant " une
nouvelle phase de dialogue avec le gouvernement et le peuple de
Turquie ". M. Gül réserve sa réponse, suspendue aux troubles
politiques qui agitent Ankara. Quelques jours plus tard, on apprenait
que des négociations bilatérales " secrètes " avaient eu lieu, le 8
juillet à Berne, en Suisse. D'autres rencontres sont prévues en août
et septembre et, cette semaine, le ministre des Affaires étrangères,
Ali Babacan, a participé à une réunion, aux Nations unies, en présence
d'un ambassadeur arménien.
DIPLOMATIE DU FROMAGE
Les Etats-Unis mais aussi l'Iran, partenaire stratégique d'Erevan,
soutiennent ardemment ce dialogue. Enfin, dernier geste en date, le
gouvernement turc a démis de ses fonctions, mercredi, le directeur de
l'institut turc d'histoire, Yusuf Halaçoglu, connu pour sa rhétorique
anti-arménienne et antigénocide. A Kars, la capitale de la province
turque frontalière de l'Arménie, cela fait bien longtemps que l'on
veut rétablir des relations avec le voisin honni. Coincée au fond d'un
cul-de-sac, Kars est la première à souffrir de la situation. Ses rues
défoncées et ses maisons russes du XIXe siècle décrépies trahissent
une situation économique difficile.
Le maire (Parti de la justice et du développement, AKP) de la ville,
Naif Alibeyoglu, avait rassemblé, en 2000, plus de 50 000 signatures
pour la réouverture de la frontière et se démène pour organiser des
rencontres culturelles ou des foires commerciales qui réunissent des
ressortissants de tous les pays du Caucase. " Nous cherchons depuis
des années à ramener la paix dans la région ", dit-il. Ces positions
lui attirent régulièrement les foudres des nationalistes turcs et
azéris. Une députée du parti au pouvoir à Bakou l'a traité, mercredi,
de " provocateur " et " d'ami des Arméniens ".
Mais en 2007, un salon des entrepreneurs, à Kars, a fait naître un
projet transfrontalier. Des producteurs turcs, géorgiens et arméniens,
ont lancé leur fromage " caucasien ", fabriqué depuis février. " Nous
voulons sauvegarder notre culture commune qui est caucasienne,
explique Ilhan Koçulu, le promoteur du projet. La terre ne fait pas de
discrimination. Je suis très peiné de voir ces conflits dans notre
région. Nous envoyons un message aux politiciens et aux populations
locales : nous sommes tous des enfants de la terre du Caucase. " La
diplomatie du fromage montrera peut-être la voie à suivre.