LA CHRONIQUE DE CHRISTIAN MAKARIAN: DEGEL TACTIQUE
par Makarian Christian
L'Express
11 Septembre 2008
France
On est très loin de Camp David et de l'accolade entre Sadate et
Begin. Mais la courte escapade du president turc, Abdullah Gul,
a Erevan n'en represente pas moins une date historique. Non pas en
raison de ce qui s'est produit, ce 6 septembre 2008, mais pour ce
que cette journee inaugure.
On peut d'abord esperer un dialogue bilateral, peut-etre enfin "
normal ", entre deux Etats voisins ayant traverse tant de haine que
les limites sont atteintes. Habilement, un soft agenda a ete fixe :
les ministres turc et armenien des Affaires etrangères se rencontreront
a New York, a la fin de septembre, et le president Serge Sarkissian est
invite en Turquie pour le match retour de qualification a l'occasion du
Mondial 2010. On peut ensuite escompter l'ouverture de la frontière,
exigence de l'Union europeenne envers Ankara, qui decreta un blocus,
en 1993, par solidarite avec l'Azerbaïdjan, defait par les Armeniens
sur leurs terres ancestrales du Haut-Karabakh. Cette normalisation
est de l'interet des deux pays. L'Armenie est, a l'heure actuelle,
obligee de faire transiter l'essentiel de ses echanges par la Georgie,
redevenue très instable, soit un surcoût global de 30 %. La Turquie,
elle, y voit surtout un moyen d'ameliorer son image de candidate a
l'integration europeenne et d'aider au desenclavement de son Far East
anatolien. Mais tout cela ne pèserait pas lourd si Moscou ne poussait
pas Erevan a se rapprocher des Turcs, avec des arrière-pensees tant
economiques que strategiques, et si Washington n'encourageait pas
Ankara a s'eriger en geant diplomatique moyen-oriental destine a
damer le pion a l'Iran.
A supposer que ces avancees se realisent, elles ne doivent pas occulter
ce qu'il ne faut pas attendre de sitôt : la reconnaissance par la
Turquie du genocide de 1915, perpetre par l'Empire ottoman. En optant
pour le rapprochement avec l'Armenie (3 millions d'habitants), la
Turquie vise aussi a isoler la diaspora armenienne (4 millions d'âmes),
très active, que rien ne pourra faire renoncer a la reconnaissance du
genocide. Or ce projet, brûlant, se poursuit independamment du degel
entre Ankara-Erevan : Barack Obama et Joe Biden se sont prononces
recemment en faveur de cette reconnaissance. L'elite turque doit
encore mediter cette phrase de Nietzsche : " L'homme de l'avenir est
celui qui aura la memoire la plus longue. "
--Boundary_(ID_o/1fkxC/UkwPKxEeaVGAtg)--
par Makarian Christian
L'Express
11 Septembre 2008
France
On est très loin de Camp David et de l'accolade entre Sadate et
Begin. Mais la courte escapade du president turc, Abdullah Gul,
a Erevan n'en represente pas moins une date historique. Non pas en
raison de ce qui s'est produit, ce 6 septembre 2008, mais pour ce
que cette journee inaugure.
On peut d'abord esperer un dialogue bilateral, peut-etre enfin "
normal ", entre deux Etats voisins ayant traverse tant de haine que
les limites sont atteintes. Habilement, un soft agenda a ete fixe :
les ministres turc et armenien des Affaires etrangères se rencontreront
a New York, a la fin de septembre, et le president Serge Sarkissian est
invite en Turquie pour le match retour de qualification a l'occasion du
Mondial 2010. On peut ensuite escompter l'ouverture de la frontière,
exigence de l'Union europeenne envers Ankara, qui decreta un blocus,
en 1993, par solidarite avec l'Azerbaïdjan, defait par les Armeniens
sur leurs terres ancestrales du Haut-Karabakh. Cette normalisation
est de l'interet des deux pays. L'Armenie est, a l'heure actuelle,
obligee de faire transiter l'essentiel de ses echanges par la Georgie,
redevenue très instable, soit un surcoût global de 30 %. La Turquie,
elle, y voit surtout un moyen d'ameliorer son image de candidate a
l'integration europeenne et d'aider au desenclavement de son Far East
anatolien. Mais tout cela ne pèserait pas lourd si Moscou ne poussait
pas Erevan a se rapprocher des Turcs, avec des arrière-pensees tant
economiques que strategiques, et si Washington n'encourageait pas
Ankara a s'eriger en geant diplomatique moyen-oriental destine a
damer le pion a l'Iran.
A supposer que ces avancees se realisent, elles ne doivent pas occulter
ce qu'il ne faut pas attendre de sitôt : la reconnaissance par la
Turquie du genocide de 1915, perpetre par l'Empire ottoman. En optant
pour le rapprochement avec l'Armenie (3 millions d'habitants), la
Turquie vise aussi a isoler la diaspora armenienne (4 millions d'âmes),
très active, que rien ne pourra faire renoncer a la reconnaissance du
genocide. Or ce projet, brûlant, se poursuit independamment du degel
entre Ankara-Erevan : Barack Obama et Joe Biden se sont prononces
recemment en faveur de cette reconnaissance. L'elite turque doit
encore mediter cette phrase de Nietzsche : " L'homme de l'avenir est
celui qui aura la memoire la plus longue. "
--Boundary_(ID_o/1fkxC/UkwPKxEeaVGAtg)--