CAUCASE LE COURANT PASSE ENTRE ANKARA ET EREVAN
Gaïané Movsesian
Courrier International
19/09/08
France
Longtemps ennemies, la Turquie et l'Arménie opèrent un rapprochement
spectaculaire qui se traduit par une coopération accrue, notamment
dans le domaine énergétique. Un journal arménien analyse la nouvelle
posture de la Turquie dans une région en crise.
Le président turc Abdullah Gul et son homologue arménien Serge
Sarkissian, 6 septembre 2008 AFP
A partir de l'année prochaine, l'Arménie livrera directement de
l'électricité a la Turquie, par la ville de Kars. Armen Movsisian,
le ministre de l'Energie et des Ressources naturelles de l'Arménie,
a annoncé qu'un accord a ce sujet avait été conclu samedi dernier
entre son administration, associée a la compagnie Lignes a haute
tension, et la compagnie électrique turque privée Unit, qui importe
et achemine de la haute tension a travers la Turquie. Le 6 septembre,
ses émissaires étaient a Erevan dans le cadre de la visite du
président Abdullah Gul [qui s'est rendu a Erevan a l'occasion du
match de football Arménie-Turquie].
Cet accord prévoit que la partie turque passera d'abord quatre a
cinq mois a remettre en état toutes les infrastructures nécessaires
en Turquie. Dans les premiers temps, les quantités d'électricité
a transférer ont été fixées a 1,5 milliard de kilowattheures
par an, un chiffre qui devrait par la suite être progressivement
porté a 3,5 milliards, a mesure que les capacités de transport
progresseront. Pour l'Arménie, cela représente un tout nouveau
marché. Elle dispose des capacités énergétiques nécessaires,
et le récent accord permettra de valoriser au mieux ce potentiel.
Ali Babadjan, le ministre des Affaires étrangères de la Turquie,
a déclaré a l'agence Reuters que "l'Arménie pourrait devenir une
alternative a l'itinéraire du gazoduc censé desservir l'Occident
depuis la mer Caspienne par le territoire géorgien, devenu peu sÃ"r
après l'intervention russe" (il évoquait les événements survenus
en Géorgie le mois dernier). Le ministre a par ailleurs noté que
la coopération entre Ankara et Erevan pourrait a la fois assurer
la sécurité des projets concernant l'énergie dans la région de
la mer Caspienne, mais aussi renforcer l'influence de l'Occident
dans le Caucase du Sud. Il songeait au projet Nabucco, dans lequel la
Turquie endosse le rôle de pays principal de transit. Pour l'instant,
l'Arménie n'a pas réagi a ses paroles. Elle doit sans doute consulter
préalablement la Russie, jusqu'a présent opposée a ce projet,
qui ne répond pas a ses intérêts.
Troisiè ;me grande nouvelle, qui est loin d'être la dernière par
ordre d'importance : Volkan Vural, ancien ambassadeur de Turquie en
Russie et ancien représentant de la Russie a l'ONU, a déclaré a
des journalistes turcs que son pays devait demander pardon au peuple
arménien pour ce qui s'est passé au début du XXe siècle. Lorsqu'ils
lui ont demandé si la Turquie allait officiellement évoquer la
question du génocide des Arméniens, il a répondu que, en cas
de développement des relations entre les deux pays, il serait
indispensable d'aborder le sujet. Le diplomate a avancé que, même
s'il était peu probable que la Turquie reconnaisse le génocide, elle
devrait sans tarder présenter ses excuses pour la déportation et
le massacre des Arméniens, pour la grande douleur causée au peuple
arménien. Quant a d'éventuels dédommagements, il a précisé
que la restitution des biens et le versement de compensations
financières étaient des problèmes complexes, mais qu'un geste
symbolique pourrait être fait. M. Vural a aussi fait remarquer que
la commission mixte d'historiens des deux pays ne saurait résoudre
la question arménienne, qu'elle ne pourrait qu'apporter un éclairage
sur certains épisodes et aider a aboutir a une solution.
Il serait évidemment naïf de parler de changements radicaux
dans la psychologie et la vision des officiels turcs, mais les
événements qui ont eu lieu en Géorgie au mois d'aoÃ"t ont ouvert
a Ankara de sérieuses possibilités de concrétiser au moins deux
de ses objectifs principaux : accéder a un statut de leader dans la
région du Caucase et jouer un rôle d'intermédiaire dans les zones
de conflit. C'est dans cette perspective qu'il faut considérer les
"surprises" évoquées ci-dessus. A un moment où d'autres acteurs font
un retour spectaculaire sur la scène internationale, Ankara s'efforce
d'apparaître comme un partenaire de même niveau. La situation est
compliquée, et il est difficile de prévoir ce qui va advenir. Dans
ce processus, l'Arménie devra mener sa barque avec une délicatesse
d'horloger afin de ne pas heurter une mine géopolitique immergée. Et
la route en est truffée.
--Boundary_(ID_5Jo5UKYtknrAav 8IncNujg)--
Gaïané Movsesian
Courrier International
19/09/08
France
Longtemps ennemies, la Turquie et l'Arménie opèrent un rapprochement
spectaculaire qui se traduit par une coopération accrue, notamment
dans le domaine énergétique. Un journal arménien analyse la nouvelle
posture de la Turquie dans une région en crise.
Le président turc Abdullah Gul et son homologue arménien Serge
Sarkissian, 6 septembre 2008 AFP
A partir de l'année prochaine, l'Arménie livrera directement de
l'électricité a la Turquie, par la ville de Kars. Armen Movsisian,
le ministre de l'Energie et des Ressources naturelles de l'Arménie,
a annoncé qu'un accord a ce sujet avait été conclu samedi dernier
entre son administration, associée a la compagnie Lignes a haute
tension, et la compagnie électrique turque privée Unit, qui importe
et achemine de la haute tension a travers la Turquie. Le 6 septembre,
ses émissaires étaient a Erevan dans le cadre de la visite du
président Abdullah Gul [qui s'est rendu a Erevan a l'occasion du
match de football Arménie-Turquie].
Cet accord prévoit que la partie turque passera d'abord quatre a
cinq mois a remettre en état toutes les infrastructures nécessaires
en Turquie. Dans les premiers temps, les quantités d'électricité
a transférer ont été fixées a 1,5 milliard de kilowattheures
par an, un chiffre qui devrait par la suite être progressivement
porté a 3,5 milliards, a mesure que les capacités de transport
progresseront. Pour l'Arménie, cela représente un tout nouveau
marché. Elle dispose des capacités énergétiques nécessaires,
et le récent accord permettra de valoriser au mieux ce potentiel.
Ali Babadjan, le ministre des Affaires étrangères de la Turquie,
a déclaré a l'agence Reuters que "l'Arménie pourrait devenir une
alternative a l'itinéraire du gazoduc censé desservir l'Occident
depuis la mer Caspienne par le territoire géorgien, devenu peu sÃ"r
après l'intervention russe" (il évoquait les événements survenus
en Géorgie le mois dernier). Le ministre a par ailleurs noté que
la coopération entre Ankara et Erevan pourrait a la fois assurer
la sécurité des projets concernant l'énergie dans la région de
la mer Caspienne, mais aussi renforcer l'influence de l'Occident
dans le Caucase du Sud. Il songeait au projet Nabucco, dans lequel la
Turquie endosse le rôle de pays principal de transit. Pour l'instant,
l'Arménie n'a pas réagi a ses paroles. Elle doit sans doute consulter
préalablement la Russie, jusqu'a présent opposée a ce projet,
qui ne répond pas a ses intérêts.
Troisiè ;me grande nouvelle, qui est loin d'être la dernière par
ordre d'importance : Volkan Vural, ancien ambassadeur de Turquie en
Russie et ancien représentant de la Russie a l'ONU, a déclaré a
des journalistes turcs que son pays devait demander pardon au peuple
arménien pour ce qui s'est passé au début du XXe siècle. Lorsqu'ils
lui ont demandé si la Turquie allait officiellement évoquer la
question du génocide des Arméniens, il a répondu que, en cas
de développement des relations entre les deux pays, il serait
indispensable d'aborder le sujet. Le diplomate a avancé que, même
s'il était peu probable que la Turquie reconnaisse le génocide, elle
devrait sans tarder présenter ses excuses pour la déportation et
le massacre des Arméniens, pour la grande douleur causée au peuple
arménien. Quant a d'éventuels dédommagements, il a précisé
que la restitution des biens et le versement de compensations
financières étaient des problèmes complexes, mais qu'un geste
symbolique pourrait être fait. M. Vural a aussi fait remarquer que
la commission mixte d'historiens des deux pays ne saurait résoudre
la question arménienne, qu'elle ne pourrait qu'apporter un éclairage
sur certains épisodes et aider a aboutir a une solution.
Il serait évidemment naïf de parler de changements radicaux
dans la psychologie et la vision des officiels turcs, mais les
événements qui ont eu lieu en Géorgie au mois d'aoÃ"t ont ouvert
a Ankara de sérieuses possibilités de concrétiser au moins deux
de ses objectifs principaux : accéder a un statut de leader dans la
région du Caucase et jouer un rôle d'intermédiaire dans les zones
de conflit. C'est dans cette perspective qu'il faut considérer les
"surprises" évoquées ci-dessus. A un moment où d'autres acteurs font
un retour spectaculaire sur la scène internationale, Ankara s'efforce
d'apparaître comme un partenaire de même niveau. La situation est
compliquée, et il est difficile de prévoir ce qui va advenir. Dans
ce processus, l'Arménie devra mener sa barque avec une délicatesse
d'horloger afin de ne pas heurter une mine géopolitique immergée. Et
la route en est truffée.
--Boundary_(ID_5Jo5UKYtknrAav 8IncNujg)--